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avec Despréménil, Chapellier avec la vieille duchesse de Grammont : des générations disparoissoient en un jour; le respectable Malesherbes, âgé de quatre-vingt ans, périt avec sa sœur, sa fille, son gendre, la fille et le gendre de sa fille. La jeunesse et les grâces d'un sexe foible, au lieu d'attendrir les bourreaux, sembloient au contraire rallumer leur soif du sang. Quatorze jeunes filles furent condamnées à mort pour avoir assisté à un bal donné par le roi de Prusse, à Verdun, et lui avoir présenté des dragées; elles avoient, en allant à l'échafaud, l'air de jeunes vierges qu'on a parées pour l'hyménée. Vingt paysanes, amenées du Poitou, entendirent leur sentence, sans faire paroître aucune émotion, à l'exception d'une d'entre elles qui allaitoit un jeune enfant : on le lui arracha au moment même qu'il suçoit une nourriture dont le bourreau alloit tarir la source: l'infortunée fit retentir les airs de cris perçans; ce fut en vain, elle ne trouva de terme à ses déchiremens que dans le coup qui lui ôta la vie.

C'étoit peu pour les scélérats patentés,

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qui égorgeoient juridiquement au tribunal révolutionnaire, que de frapper leurs victimes par milliers et sans le plus léger prétexte; souvent ils ajoutoient le sarcasme er la plaisanterie au coup de poignard qu'ils vous portoient, Une vieille femme sourde et aveugle, traduite devant ces bourreaux, ne savoit point où elle étoit, ni ce qu'on lui vouloit on parvint à force de crier bien haut, à lui faire entendre qu'elle étoit devant un tribunal criminel, qui l'accu soit de conspiration : « Eh! comment aurois-je pu conspirer, s'écrie cette femme octogénaire, je suis sourde. Vous l'entendeg, s'écrie un des juges assassins, elle avoue son crime, elie a conspiré SOURDEMENT. En prononçant un arrêt de mort contre un maître en fait d'armes, un autre juge dit à cet infortuné: « Allons, pare sette botte-là ».

Plus le tribunal révolutionnaire vuidoit les prisons, plus les prisons se remplissoient. Depuis la loi qui vouloit que les conspirateurs arrivassent à Paris, de tous les points de la république, les routes étoient encombrées de charriots chargés

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dè suspects, que l'on amenoit dans la capitale, des quatre coins de la France; des femmes, des vieillards, des filles, des enfans chargés de chaînés, tel étoit le spectacle dont on étoit frappé sur les routes. La fatigue, les mauvais traitemens, le manque de subsistance, et plus que tout cela, la barbarie des conducteurs faisoient périr en chemin une partie des victimes; celles qui échappoient, étoient, en arrivant à Paris, plongées dans des maisons d'arrêt, où alloient les prendre, pendant la nuit, des charriots couverts et cadenassés qui les transféroient dans les prisons de la Conciergerie, près de laquelle siégeoit le tribunal révolutionnaire, qui ne laissoit pas long-tems languit ces malheureux dévoués au supplice. Cependant beaucoup périrent dans les cachots, de douleur et de misère.

Mais c'est assez : oublions tant d'atroci

tés, pour nous soulager par quelques traits tublimes nés du sein de ces horreurs. Rome ancienne, ne sur point prononcer sur la moralité de l'action de Brutus envoyant son fils à la mort ; il fut indécis, chez elle, si ce père, surmontant les affections du

sang, fut un martyr de son amour pour la liberté, ou s'il ne fut qu'un monstre dévoré d'ambition ; il n'appartenoit qu'au règne de la terreur de déifier cet être amphibie et d'en faire un homme vertueux; mais ce qui n'est pas douteux, c'est que, quel que soit le sentiment qui ait fait agir le farouche Brutus, la postérité lui préférera le sublime et vertueux Loiserol.

Loiserol et son fils étoient détenus dans la même prison; un huissier de ces maisons infernales, un précurseur de la mort appelle Loiserol le fils, et lui remet son acte d'accusation; quelque tems après, on vient le chercher, l'appeler de nouveau pour monter au tribunal révolutionnaire ; de père s'apperçoit que son fils s'est éloigné de la salle des détenus dans ce moment, et qu'il s'est absenté pour quelque chose; il suit le guichetier, se présente au tribunal pour son fils, il est condamné comme tel et va subir la mort pour lui, sans détromper ses juges. Un frère fait le même sacrifice pour son frère. La femme du commandant de Longwi étoit dans la salle où le tribunal tenoit ses audiences, lorsque ces bourreaux condamnent

condamnent son mari, elle s'écrie aussitôt : Vive le roi. A ces mots, les juges la font monter sur le siége fatal, et au lieu d'attribuer cette action au désespoir qu'éprouvoit cette femme, en entendant l'arrêt de mort de son mari, ils la condamnent à perdre la tête avec lui : « C'est tout ce que je demandois, leur répondit-elle, en sou

riant ».

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Rarement les victimes insultoient à ces juges féroces; quand les condamnés avoient entendu leur arrêt, ils saluoient ordinai rement et remercioient leurs assassins. L'ancien greffier du parlement de Paris nommé Isabeau, leur fir une superbe, réponse. Comme le président du tribunal révolutionnaire lui demandoit, lors de son interrogatoire, s'il reconnoissoit la salle où il se trouvoit ( cette salle étoit celle où le parlement avoit tenu ses audiences), Isabeau lui répondit: Oui je la reconnois ; c'est ici où, naguère, la vertu jugeoit le crime; et où le crime aujourd'hui égorge l'innocence. Le comte d'Estaing, patriote dès le principe de la révolution, et qui s'é toit distingué dans la guerre contre les An

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