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festin de la licorne, le vou du paon, ou du faisan. On y voyait des convives non moins mystérieux, les chevaliers du Cygne, de l'Écu-Blanc, de la Lance-d'Or, du Silence; guerriers qui n'étaient connus que par les devises de leurs boucliers, et par les pénitences auxquelles ils s'étaient soumis.

Des troubadours, ornés des plumes du paon, entraient dans la salle vers la fin de la fête, et chantaient des lay's d'amour :

Armes, amours, déduit, joie et plaisance,
Espoir, désir, souvenir, hardement,
Jeunesse, aussi manière et contenance,
Humble regard, trait amoureusement,
Gents corps, jolis, parez très richement;
A visez bien cette saison nouvelle;
Le jour de may, cette grand' feste et belle,
Qui par le Roy se fait à Saint-Denys;
A bien jouter, gardez votre querelle,

Et vous serez honorez et chéris.

Le principe du métier des armes chevaleresques, était

1. Hist. du maréchal de Boucicaut.

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Grand bruit au champ, et grand' joie au logis.

Bruits es chans, et joie à l'ostel.

Mais le chevalier arrivé au château, n'y trouvait pas toujours des fêtes; c'était quelquefois l'habitation d'une piteuse dame qui gémissait dans les fers d'un jaloux: Le biau sire, noble, courtois et preux, à qui l'on avait refusé l'entrée du manoir, passait la nuit au pied d'une tour d'où il entendait les soupirs de quelque Gabrielle qui appelait en vain le valeureux Couci. Le chevalier, aussi tendre que brave, jurait par sa durandal et son aquilain, sa fidèle épée et son coursier rapide, de défier en combat singulier le félon qui tourmentait la beauté contre toute loi d'honneur et de chevalerie.

S'il était reçu dans ces sombres forteresses, c'était alors qu'il avait besoin de tout son grand cœur. Des varlets silencieux, aux regards farouches, l'introduisaient, par de longues galeries à peine éclairées, dans la chambre solitaire qu'on lui destinait. C'était quelque donjon qui

gardait le souvenir d'une fameuse histoire; on l'appelait la chambre du roi Richard, ou de la dame des Sept Tours. Le plafond en était marqueté de vieilles armoiries peintes, et les murs couverts de tapisseries à grands personnages, qui semblaient suivre des yeux le chevalier, et qui servaient à cacher des portes secrètes. Vers minuit, on entendait un bruit léger, les tapisseries s'agitaient, la lampe du paladin s'éteignait, un cercueil s'élevait auprès de sa couche.

par

La lance et la masse d'armes étant inutiles contre les morts, le chevalier avait recours à des vœux de pèlerinage. Délivré la faveur divine, il ne manquait point d'aller consulter l'ermite du rocher qui lui disait : « Si tu avais autant de possession comme en avait le roi Alexandre, et de sens comme le sage Salomon, et de chevalerie comme le preux Hector de Troye; seul orgueil s'il régnait en toi, détruirait tout'. »

1. Sainte-Palaye.

Le bon chevalier comprenait par ces paroles que les visions qu'il avait eues n'étaient que la punition de ses fautes, et il travaillait à se rendre sans peur et sans reproche.

Ainsi chevauchant, il mettait à fin, par cent coups de lance, toutes ces aventures chantées par nos poètes, et recordées dans nos chroniques. Il délivrait des princesses retenues dans des grottes, punissait des mécréants, secourait les orphelins et les veuves, et se défendait à la fois de la perfidie des nains, et de la force des géants. Conservateur des mœurs comme protecteur des faibles, quand il passait devant le château d'une dame de mauvaise renommée, il faisait aux portes une note d'infamie 1. Si, au contraire, la dame de céans avait bonne grace et vertu, il lui criait : «< Ma bonne amie, ou ma bonne dame, ou damoiselle, je prie à Dieu que en ce bien et en cet honneur, il vous veuille maintenir

1. Du Cange, gloss.

au nombre des bonnes, car bien devez être louée et honorée. »

L'honneur de ces chevaliers allait quelquefois jusqu'à cet excès de vertu qu'on admire et qu'on déteste dans les premiers Romains. Quand la reine Marguerite, femme de saint Louis, apprit à Damiette, où elle était près d'accoucher, la défaite de l'armée chrétienne, et la prise du roi son époux, <«< elle fit wuidier hors toute sa chambre, »> `dit Joinville, «< fors que le chevalier (un chevalier àgé de quatre-vingts ans), et s'agenoilla devant li, et li requist un don : et le chevalier li otria par son serment : et elle li dit: Je vous demande, fist-elle, par la foy que vous m'avez baillée, que se les Sarrazins prennent ceste ville, que vous me copez la tête avant qu'ils me preignent.» Et le chevalier respondit: « Soiés certeinne que je le ferai volontiers, car je l'avoie jà bien enpensé que vous occiraie avant qu'ils nous eussent prins 1. »

1. Joinville, édit. de Capperonnier, p. 84.

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