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peuple, et expose aux yeux
des hommes, à leur
censure et à leurs éloges, sont même capables
de sortir par effort de leur tempérament, s'il
ne les portoit pas à la vertu ; et cette disposi-
tion de cœur et d'esprit, qui passe des aïeux
par les pères dans leurs descendants, est cette
bravoure si familière aux personnes nobles, et
peut-être la noblesse même.

Jetez-moi dans les troupes comme un simple soldat, je suis THERSITE; mettez-moi à la tête d'une armée dont j'aie à répondre à toute l'Europe, je suis ACHILLE.

Les princes, sans autre science ni autre règle, ont un goût de comparaison: ils sont nés et élevés au milieu et comme dans le centre des meilleures choses, à quoi ils rapportent ce qu'ils lisent, ce qu'ils voient, et ce qu'ils entendent. Tout ce qui s'éloigne trop de LULLI, de RACINE et de LE BRUN est condamné.

Ne parler aux jeunes princes que du soin de leur rang est un excès de précaution, lorsque toute une cour met son devoir et une partie de sa politesse à les respecter, et qu'ils sont bien moins sujets à ignorer aucun des égards dus à leur naissance qu'à confondre les personnes et les traiter indifféremment et sans distinction des conditions et des titres. Ils ont une fierté naturelle qu'ils retrouvent dans les occasions; il ne leur faut de leçons que pour la régler, que pour leur inspirer la bonté, l'honnêteté, et l'esprit de discernement.

C'est une pure hypocrisie à un homme d'une certaine élévation de ne pas prendre d'abord le rang qui lui est dû, et que tout le monde lui cède. Il ne lui coûte rien d'être modeste, de se mêler dans la multitude qui va s'ouvrir pour lui, de prendre dans une assemblée une dernière place, afin que tous l'y voient et s'empressent de l'en ôter. La modestie est d'une pratique plus amère aux hommes d'une condition ordinaire s'ils se jettent dans la foule, on les écrase; s'ils choisissent un poste incommode, il leur demeure.

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Aristarque1 se transporte dans la place avec un héraut et un trompette; celui-ci commence,

toute la multitude accourt et se rassemble. Écoutez, peuple, dit le héraut; soyez attentif ; silênce, silence: Aristarque, que vous voyez présent, doit faire demain une bonne action. Je dirai plus simplement et sans figure: Quelqu'un fait bien; veut-il faire mieux? que je ne sache pas qu'il fait bien, ou que je ne le soupçonne pas du moins de me l'avoir appris.

Les meilleures actions s'altèrent et s'affoiblissent par la manière dont on les fait, et laissent même douter des intentions. Celui qui protège ou qui loue la vertu pour la vertu, qui corrige ou qui blâme le vice à cause du vice, agit simplement, naturellement, sans aucun tour, sans nulle singularité, sans faste, sans affectation: il n'use point de réponses graves et sentencieuses, encore moins de traits piquants et satiriques ; ce n'est jamais une scène qu'il joue pour le public, c'est un bon exemple qu'il donne et un devoir dont il s'acquitte; il ne fournit rien aux visites des femmes, ni au cabinet 1, ni aux nouvellistes ; il ne donne point à un homme agréable la matière d'un joli conte. Le bien qu'il vient de faire est un peu moins su, à la vérité; mais il a fait ce bien : que voudroit-il davantage?

Les grands ne doivent point aimer les premiers temps; ils ne leur sont point favorables: il est triste pour eux d'y voir que nous sortions tous du frère et de la sœur. Les hommes composent ensemble une même famille: il n'y a que le plus ou le moins dans le degré de parenté.

Théognis est recherché dans son ajustement, et il sort paré comme une femme : il n'est pas hors de sa maison qu'il a déja ajusté ses yeux et son visage, afin que ce soit une chose faite quand il sera dans le public, qu'il y paroisse tout concerté, que ceux qui passent le trouvent déja gracieux et leur souriant, et que nul ne lui échappe. Marche-t-il dans les salles, il se tourne à droite où il y a un grand monde, et à gauche où il n'y a personne; il salue ceux qui y sont et ceux qui n'y sont pas. Il embrasse un homme qu'il trouve sous sa main ; il lui presse la tête contre sa poitrine: il demande ensuite qui est celui qu'il a embrassé. Quelqu'un a be

Ce trait, dit-on, appartient au premier président de Harlay, soin de lui dans une affaire qui est facile, il va

qui, ayant reçu un legs de vingt-cinq mille livres, se transporta tout exprès de sa terre à Fontainebleau, pour y faire donation de cette somme aux pauvres en présence de toute la cour.

Rendez-vous à Paris de quelques honnêtes gens pour la conversation. (La Bruyère.)

le trouver, lui fait sa prière : Théognis l'écoute | tre fois, et il ne s'arrête pas; il se fait suivre, favorablement ; il est ravi de lui être bon à quel- vous parle si haut que c'est une scène pour ceux que chose, il le conjure de faire naître des oc- qui passent. Aussi les Pamphiles sont-ils toujours casions de lui rendre service; et, comme celui- comme sur un théâtre; gens nourris dans le ci insiste sur son affaire, il lui dit qu'il ne la faux, et qui ne haïssent rien tant que d'être nafera point; il le prie de se mettre en sa place, turels; vrais personnages de comédie, des Floil l'en fait juge: le client sort reconduit, ca- ridors, des Mondoris. ressé, confus, presque content d'être refusé.

C'est avoir une très mauvaise opinion des hommes, et néanmoins les bien connoître, que de croire dans un grand poste leur imposer par des caresses étudiées, par de longs et stériles embrassements.

Pamphile nes'entretient pas avec les gens qu'il rencontre dans les salles ou dans les cours: si l'on en croit sa gravité et l'élévation de sa voix, il les reçoit, leur donne audience, les congédie. Il a des termes tout à-la-fois civils et hautains, une honnêteté impérieuse et qu'il emploie sans discernement : il a une fausse grandeur qui l'abaisse, et qui embarrasse fort ceux qui sont ses amis, et qui ne veulent pas le mépriser.

Un Pamphile est plein de lui-même, ne se perd pas de vue, ne sort point de l'idée de sa grandeur, de ses alliances, de sa charge, de sa dignité: il ramasse, pour ainsi dire, toutes ses pièces, s'en enveloppe pour se faire valoir, il dit: Mon ordre, mon cordon bleu; il l'étale, ou il le cache par ostentation: un Pamphile, en un mot, veut être grand; il croit l'être, il ne l'est pas, il est d'après un grand. Si quelquefois il sourit à un homme du dernier ordre, à un homme d'esprit, il choisit son temps si juste qu'il n'est jamais pris sur le fait : aussi la rougeur lui monteroit-elle au visage s'il étoit malheureusement surpris dans la moindre familiarité avec quelqu'un qui n'est ni opulent, ni puissant, ni ami d'un ministre, ni son allié, ni son domestique. Il est sévère et inexorable à qui n'a point encore fait sa fortune il vous aperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit; et le lendemain s'il vous trouve en un endroit moins public, ou, s'il est public, en la compagnie d'un grand, il prend courage, il vient à vous, et il vous dit: Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir. Tantôt il vous quitte brusquement pour joindre un seigneur ou un premier commis; et tantôt, s'il les trouve avec vous en conversation, il vous coupe et vous les enlève. Vous l'abordez une au

On ne tarit point sur les Pamphiles : ils sont bas et timides devant les princes et les ministres, pleins de hauteur et de confiance avec ceux qui n'ont que de la vertu, muets et embarrassés avec les savants; vifs, hardis, et décisifs, avec ceux qui ne savent rien. Ils parlent de guerre à un homme de robe, et de politique à un financier; ils savent l'histoire avec les femmes; ils sont poètes avec un docteur, et géomètres avec un poète. De maximes, ils ne s'en chargent pas; de principes, encore moins : ils vivent à l'aventure, poussés et entraînés par le vent de la faveur, et par l'attrait des richesses. Ils n'ont point d'opinion qui soit à eux, qui leur soit propre : ils en empruntent à mesure qu'ils en ont besoin ; et celui à qui ils ont recours n'est guère un homme sage, ou habile, ou vertueux ; c'est un homme à la mode.

Nous avons pour les grands et pour les gens en place une jalousie stérile, ou une haine impuissante qui ne nous venge point de leur splendeur et de leur élévation, et qui ne fait qu'ajouter à notre propre misère le poids insupportable du bonheur d'autrui que faire contre une maladie de l'ame si invétérée et si contagieuse? Contentons-nous de peu, et de moins encore, s'il est possible; sachons perdre dans l'occasion; la recette est infaillible, et je consens à l'éprouver : j'évite par-là d'apprivoiser un suisse, ou de fléchir un commis; d'être repoussé à une porte par la foule innombrable de clients ou de courtisans dont la maison d'un ministre se dégorge plusieurs fois le jour; de languir dans sa salle d'audience, de lui demander en tremblant et en balbutiant une chose juste; d'essuyer sa gravité, son ris amer et son laconisme. Alors je ne le hais plus, je ne lui porte plus d'envie; il ne me fait aucune prière, je ne lui en fais pas; nous sommes égaux, si ce n'est peut-être qu'il n'est pas tranquille, et que je le suis.

Si les grands ont les occasions de nous faire

du bien, ils en ont rarement la volonté; et, s'ils impression. Une chose arrive, ils en parlent desirent de nous faire du mal, ils n'en trouvent trop, bientôt ils en parlent peu, ensuite ils n'en pas toujours les occasions. Ainsi l'on peut être parlent plus, et ils n'en parleront plus : action, trompé dans l'espèce de culte qu'on leur rend, conduite, ouvrage, évènement, tout est oublié ; s'il n'est fondé que sur l'espérance ou sur la ne leur demandez ni correction, ni prévoyance, crainte; et une longue vie se termine quelque- ni réflexion, ni reconnoissance, ni récompense. fois sans qu'il arrive de dépendre d'eux pour le L'on se porte aux extrémités opposées à l'émoindre intérêt, ou qu'on leur doive sa bonne gard de certains personnages. La satire, après ou mauvaise fortune. Nous devons les honorer leur mort, court parmi le peuple, pendant que parcequ'ils sont grands, et que nous sommes les voûtes des temples retentissent de leurs élopetits; et qu'il y en a d'autres plus petits que ges. Ils ne méritent quelquefois ni libelles, ni nous, et qui nous honorent. discours funèbres; quelquefois aussi ils sont dignes de tous les deux.

L'on doit se taire sur les puissants: il y a presque toujours de la flatterie à en dire du bien; il y a du péril à en dire du mal pendant qu'ils vivent, et de la lâcheté, quand ils sont morts.

CHAPITRE X.

Du souverain ou de la république.

A la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes foiblesses, mêmes petitesses, mêmes travers d'esprit, mêmes brouilleries dans les familles et entre les proches, mêmes envies, mêmes antipathies: par-tout des brus et des belles-mères, des maris et des femmes, des divorces, des ruptures, et de mauvais raccommodements; par-tout des humeurs, des colères, des partialités, des rapports, et ce qu'on appelle de mauvais discours : avec de bons yeux on voit sans peine la petite ville, la rue Saint-Denis, comme transportées à V** * ou à F**2. Ici l'on croit se haïr avec plus de fierté et de hauteur, et peut-être avec plus de dignité: on se nuit réciproquement avec plus d'habileté et de finesse; les colères sont plus éloquentes, et l'on se dit des injures plus poliment et en meilleurs termes; l'on n'y blesse point la pureté de la langue; l'on n'y offense que les hommes ou que leur réputation : tous les dehors du vice y sont spécieux; mais le fond, encore une fois, y est le même que dans les conditions les plus ravalées : tout le bas, tout le foible et tout l'in-nement; elle inspire de tuer ceux dont la vie est digne s'y trouvent. Ces hommes, si grands ou par leur naissance, ou par leurs faveurs, ou par leurs dignités, ces têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spirituelles, tous méprisent le peuple; et ils sont peuple.

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Quand on parcourt sans la prévention de son pays toutes les formes de gouvernement, l'on ne sait à laquelle se tenir; il y a dans toutes le moins bon et le moins mauvais. Ce qu'il y a de plus raisonnable et de plus sûr, c'est d'estimer celle où l'on est né la meilleure de toutes, et de s'y soumettre.

Il ne faut ni art ni science pour exercer la tyrannie; et la politique qui ne consiste qu'à répandre le sang est fort bornée et de nul raffi

un obstacle à notre ambition: un homme né cruel fait cela sans peine ; c'est la manière la plus horrible et la plus grossière de se maintenir ou de s'agrandir.

C'est une politique sûre et ancienne dans les républiques que d'y laisser le peuple s'endormir dans les fêtes, dans les spectacles, dans le luxe, dans le faste, dans les plaisirs, dans la vanité et la mollesse : le laisser se remplir du vide, et savourer la bagatelle; quelles grandes démarches ne fait-on pas au despotique par cette indulgence!

Il n'y a point de patrie dans le despotique; d'autres choses y suppléent, l'intérêt, la gloire, le service du prince.

Quand on veut changer et innover dans une république, c'est moins les choses que le temps que l'on considère. Il y a des conjonctures où l'on sent bien qu'on ne sauroit trop attenter contre le peuple; et il y en a d'autres où il est clair qu'on ne peut trop le ménager. Vous pouvez aujourd'hui ôter à cette ville ses franchises, ses droits, ses priviléges; mais demain ne songez pas même à réformer ses enseignes.

Quand le peuple est en mouvement, on ne comprend pas par où le calme peut y entrer; et, quand il est paisible, on ne voit pas par où le calme peut en sortir.

Il y a de certains maux dans la république qui y sont soufferts, parcequ'ils préviennent ou empêchent de plus grands maux; il y a d'autres maux qui sont tels seulement par leur établissement, et qui, étant dans leur origine un abus ou un mauvais usage, sont moins pernicieux dans leurs suites et dans la pratique qu'une loi plus juste, ou une coutume plus raisonnable. L'on voit une espèce de maux que l'on peut corriger par le changement ou la nouveauté, qui est un mal, et fort dangereux; il y en a d'autres cachés et enfoncés comme des ordures dans un cloaque, je veux dire ensevelis sous la honte, sous le secret, et dans l'obscurité : on ne peut les fouiller et les remuer qu'ils n'exhalent le poison et l'infamie; les plus sages doutent quelquefois s'il est mieux de connoître ces maux que de les ignorer. L'on tolère quelquefois dans un état un assez grand mal, mais qui détourne un million de petits maux ou d'inconvénients, qui tous seroient inévitables et irremediables. II se trouve des maux dont chaque particulier gémit, et qui deviennent néanmoins un bien public, quoique le public ne soit autre chose que tous les particuliers. Il y a des maux personnels qui concourent au bien et à l'avantage de chaque famille.

Il y en a qui affligent, ruinent, ou déshonorent les familles, mais qui tendent au bien et à la conservation de la machine de l'état et du gouvernement. D'autres maux renversent des états, et sur leurs ruines en élèvent de nouveaux. On en a vu enfin qui ont sapé par les fondements de grands empires, et qui les ont fait évanouir de dessus la terre, pour varier et renouveler la face de l'univers.

qu'il ait des chiens qui arrêtent bien, qu'il crée les modes sur les équipages et sur les habits, qu'il abonde en superfluités? Où il s'agit de l'intérêt et des commodités de tout le public, le particulier est-il compté? La consolation des peuples dans les choses qui leur pèsent un peu est de savoir qu'ils soulagent le prince, ou qu'ils n'enrichissent que lui : ils ne se croient point redevables à Ergaste de l'embellissement de sa fortune.

La guerre a pour elle l'antiquité; elle a été dans tous les siècles : on l'a toujours vue remplir le monde de veuves et d'orphelins, épuiser les familles d'héritiers, et faire périr les frères à une même bataille. Jeune SOYECOUR1, je regrette ta vertu, ta pudeur, ton esprit déja mûr, pénétrant, élevé, sociable; je plains cette mort prématurée, qui te joint à ton intrépide frère, et t'enlève à une cour où tu n'as fait que te montrer: malheur déplorable, mais ordinaire! De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s'égorger les uns les autres, et, pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu'on appelle l'art militaire : ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire, ou la plus solide réputation; et ils ont depuis enchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De l'injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eût pu s'abstenir du bien de ses voisins, on avoit pour toujours la paix et la liberté.

Le peuple paisible dans ses foyers, au milieu des siens, et dans le sein d'une grande ville où il n'a rien à craindre ni pour ses biens ni pour sa vie, respire le feu et le sang, s'occupe de guerres, de ruines, d'embrasements et de massacres, souffre impatiemment que des armées qui tiennent la campagne ne viennent point à se rencontrer, ou si elles sont une fois en présence, qu'elles ne combattent point, ou si elles se

Le chevalier de Soyecour, dont le frère avoit été tué à la bataille de Fleurus, en juillet 1690, et qui mourut trois jours apres

Qu'importe à l'état qu'Ergaste soit riche, lui des blessures qu'il avoit reçues à cette même bataille.

mêlent, que le combat ne soit pas sanglant, et qu'il y ait moins de dix mille hommes sur la place. Il va même souvent jusqu'à oublier ses intérêts les plus chers, le repos et la sûreté, par l'amour qu'il a pour le changement, et par le goût de la nouveauté ou des choses extraordinaires. Quelques uns consentiroient à voir une autre fois les ennemis aux portes de Dijon ou de Corbie, à voir tendre des chaînes, et faire des barricades, pour le seul plaisir d'en dire ou d'en apprendre la nouvelle.

Démophile, à ma droite, se lamente et s'écrie: Tout est perdu, c'est fait de l'état; il est du moins sur le penchant de sa ruine. Comment résister à une si forte et si générale conjuration? Quel moyen, je ne dis pas d'être supérieur, mais de suffire seul à tant et de si puissants ennemis? Cela est sans exemple dans la monarchie. Un héros, un ACHILLE y succomberoit. On a fait, ajoute-t-il, de lourdes fautes je sais bien ce que je dis, je suis du métier, j'ai vu la guerre, et l'histoire m'en a beaucoup appris. Il parle là-dessus avec admiration d'Olivier Le Daim et de Jacques Coeur : c'étoient là des hommes, dit-il, c'étoient des ministres. Il débite ses nouvelles, qui sont toutes les plus tristes et les plus désavantageuses que l'on pourroit feindre tantôt un parti des nôtres a été attiré dans une embuscade, et taillé en pièces; tantôt quelques troupes renfermées dans un château se sont rendues aux ennemis à discrétion, et ont passé par le fil de l'épée. Et, si vous lui dites que ce bruit est faux, et qu'il ne se confirme point, il ne vous écoute pas il ajoute qu'un tel général a été tué; et bien qu'il soit vrai qu'il n'a reçu qu'une légère blessure, et que vous l'en assuriez, il déplore sa mort, il plaint sa veuve, ses enfants, l'état; il se plaint luimême il a perdu un bon ami et une grande protection. Il dit que la cavalerie allemande est invincible: il pâlit au seul nom des cuirassiers de l'empereur. Si l'on attaque cette place, continue-t-il, on lèvera le siége, ou l'on demeurera

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sur la défensive sans livrer de combat; ou, si on le livre, on le doit perdre; et, si on le perd, voilà l'ennemi sur la frontière. Et, comme Démophile le fait voler, le voilà dans le cœur du royaume : il entend déja sonner le beffroi des villes, et crier à l'alarme; il songe à son bien et à ses terres où conduira-t-il son argent, ses meubles, sa famille? où se réfugiera-t-il ? en Suisse, ou à Venise!

Mais à ma gauche Basilide met tout d'un coup sur pied une armée de trois cent mille hommes; il n'en rabattroit pas une seule brigade : il a la liste des escadrons et des bataillons, des généraux et des officiers; il n'oublie pas l'artillerie ni le bagage. Il dispose absolument de toutes ces troupes : il en envoie tant en Allemagne et tant en Flandre; il réserve un certain nombre pour les Alpes, un peu moins pour les Pyrénées, et il fait passer la mer à ce qui lui reste. Il connoît les marches de ces armées, il sait ce qu'elles feront et ce qu'elles ne feront pas; vous diriez qu'il ait l'oreille du prince ou le secret du ministre. Si les ennemis viennent de perdre une bataille où il soit demeuré sur la place quelques neuf à dix mille hommes des leurs, il en compte jusqu'à trente mille, ni plus ni moins; car ces nombres sont toujours fixes et certains, comme de celui qui est bien informé. S'il apprend le matin que nous avons perdu une bicoque, non seulement il envoie s'excuser à ses amis qu'il a la veille conviés à dîner, mais même ce jour-là il ne dîne point; et, s'il soupe, c'est sans appétit. Si les nôtres assiégent une place très forte, très régulière, pourvue de vivres et de munitions, qui a une bonne garnison, commandée par un homme d'un grand courage, il dit que la ville a des endroits foibles et mal fortifiés, qu'elle manque de poudre, que son gouverneur manque d'expérience, et qu'elle capitulera après huit jours de tranchée ouverte. Une autre fois il accourt tout hors d'haleine, et après avoir respiré un peu : Voilà, s'écrie-t-il, une grande nouvelle; ils sont défaits, et à plate couture; le général, les chefs, du moins une bonne partie, tout est tué, tout a péri. Voilà, Continue-t-il, un grand massacre, et il faut convenir que nous jouons d'un grand bonheur. Il s'assit', il souffle après avoir débité sa nou

Il s'assil, pour il s'assied. C'est ce que portent toutes les

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