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perfonne; je fuis fait pour en recevoir; c'est à moi qu'il eft permis de fe tromper; & c'eft à vous de me redreffer.

Auffi vous me reprochez, pour justifier le cardinal de Richelieu, ou plutôt Bourzeys & Dageant; vous me reprochez, dis-je, que j'ai dit dans l'Effai fur les mœurs &c., que Conflance de Naples était fille de Guillaume 11; non, Monfieur, je ne l'ai point dit : l'édition que j'ai fous mes yeux, imprimée à Genève en 1761, porte au tome II, page 12: Il ne reftait de la race légitime des conquérans normands, que Conflance fille du roi Roger premier du nom. Si on a mis Vidor II pour Victor IV, ce n'eft pas ma faute, & cela ne prouve rien pour le teftament du cardinal. Je ne fais pas de quelle édition vous vous êtes fervi. Si je pouvais encore avoir quelque amour propre dans ma vieillesse, en connaissant, comme je fais, le néant de la plupart des livres, & furtout des miens, je pourrais me plaindre de la manière dont on défigure à Paris tous mes ouvrages, jusque-là que plufieurs de mes tragédies font remplies de vers qui ne font pas de moi, & que je n'ai reconnu ni Tancrede ni Olympie dans les éditions des libraires de cette ville.

Je me juftifie auprès de vous, Monfieur, moins par vanité que par mon amour pour la vérité, qui affurément eft égal au vôtre; amour qui ne doit jamais s'affaiblir, qui ne doit céder à aucune complaifance, contre lequel l'envie & la calomnie s'élèvent trop fouvent, mais qu'elles font forcées de respecter en fecret.

J'avoue que vous avez très-grande raison quand vous relevez la faute que j'avais faite de prendre un Leopold d'Autriche pour un autre Léopold d'Autriche, dans l'Effai fur les mœurs &c. Que DIEU vous conserve les yeux, dont la privation prefque entière me fait faire bien des fautes! il m'a jufqu'ici confervé un peu de mémoire; elle m'a fervi depuis long-temps à corriger cette bévue; & fi vous aviez pris la peine de lire mes Remarques fur l'hiftoire générale, imprimées en 1753, vous auriez vu ces paroles à la page 85.

Je me fuis trompé fur un duc d'Autriche qui enchaina & vendit Richard II roi d'Angleterre : ce n'eft pas ce duc qui fit la guerre aux Suiffes. Il y a quelques erreurs pareilles dont les lecteurs favans s'aperçoivent, & dont les autres doivent être informés.

Ainfi, Monfieur, étant d'accord avec moi fur une de mes erreurs que vous relevez près de deux ans après moi, foyons auffi d'accord ensemble fur les fautes innombrables de Mrs Dageant & Bourzeys. Il y a une petite différence entre eux & moi; c'eft qu'on loue le cardinal de Richelieu d'un ouvrage qu'ont fait ces meffieurs, & qu'on m'impute à moi tous les jours des ouvrages dont on ne loue perfonne. Jamais on ne parla à Louis XIII du teftament politique, attribué au cardinal de Richelieu; & on parle quelquefois à Louis XV & à fa cour d'écrits qu'on m'attribue, & auxquels je n'ai pas la moindre part. Ce malheur eft le partage des gens de lettres; on les calomnic pendant leur vie, on leur rend quelquefois justice après leur mort. Je vous prie, Monfieur, de me la rendre de mon vivant; cette juftice eft furtout

d'être bien perfuadé de mes fentimens refpectueux pour vous, & de ma très-fincère eftime;

Si quid novifti rectius iftis,

Candidus imperti, fi non, his utere mecum.

Vous semblez penser que la narration fuccincte fut écrite par ordre du cardinal de Richelieu, & que le teftament politique a été compofé en partie par Dageant & en partie par Bourzeys, ou quelque autre; fi vous trouvez des raisons convaincantes pour vous rétracter, je vous promets de me rétracter auffi, & de me foumettre à votre jugement.

Aux Délices, près de Genève, 23 octobre 1764.

LETTRE

ECRITE DEPUIS L'IMPRESSION DES DOUTES.

EN N vous envoyant, Monfieur, la réponse que j'ai faite à M. de Foncemagne, je n'en fens pas moins l'extrême futilité de la plupart de ces difputes. Il n'importe guère de qui foit un livre, pourvu qu'il foit bon. Notre véritable intérêt eft d'y puifer des instructions; le nom de l'auteur n'eft qu'un objet de curiofité. Que gagnerons-nous à favoir qui font les fauffaires qui ont fabriqué les teftamens de Louvois, de Colbert, du duc de Lorraine, du cardinal Albéroni, du maréchal de Belle-Ifle? Les teflamens politiques font devenus fi fort à la mode, qu'on a fait enfin celui de Mandrin.

Lorfque le teftament du cardinal Albéroni parut, je crus d'abord qu'il avait été publié par l'abbé de Montgon, parce qu'en effet il y a un chapitre fur l'Espagne, beaucoup plus vrai & plus inftructif que tout ce que j'ai lu dans toutes les rapfodies auxquelles on a donné le nom de teflament. Je fouhaitai à l'auteur qu'il eût été couché fur celui du cardinal Albéroni pour quelque bonne penfion : il fe trouva que cet auteur était un capucin échappé de fon couvent, à qui perfonne n'avait fait de legs, & qui, n'ayant pas de quoi fubfifter, fefait des teftamens pour gagner fa vie.

M de Bois-Guillebert s'avifa d'abord d'imprimer la Dixme royale fous le nom de Teftament politique du maréchal de Vauban: ce Bois-Guillebert, auteur du Détail de la France en deux volumes, n'était pas fans mérite; il avait une grande connaiffance des finances du royaume; mais la paffion de critiquer toutes les opérations du grand Colbert l'emporta trop loin; on jugea que c'était un homme fort inftruit qui s'égarait toujours, un fefeur de projets qui exagérait les maux du royaume, & qui propofait de mauvais remèdes. Le peu de fuccès de ce livre auprès du miniftère lui fit prendre le parti de mettre fa Dixme royale à l'abri d'un nom refpecté; il prit celui du maréchal de Vauban, & ne pouvait mieux choisir. Presque toute la France croit encore que le projet de la Dixme royale eft de ce maréchal si zélé pour le bien public; mais la tromperie eft aifée à connaître.

Les louanges que Bois-Guillebert fe donne à luimême dans la préface, le trahiffent; il y loue trop fon livre du Détail de la France; il n'était pas vraifemblable que le maréchal eût donné tant d'éloges à un livre rempli de tant d'erreurs; on voit dans cette préface un père qui loue fon fils, pour faire bien recevoir un de fes bâtards.

L'abbé de Saint-Pierre, d'ailleurs excellent citoyen, s'y prenait d'une autre façon pour faire goûter fes idées; il les donnait à la vérité fous fon nom avec franchise; mais il les appuyait du fuffrage du duc de Bourgogne, & prétendait que ce prince avait toujours été occupé du fcrutin perfectionné, de la paix perpétuelle, & du foin d'établir une ville pour tenir la diète européane, ou européenne, ou europaine.

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