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rester durant quatre mille ans le principe de vie d'une nation dispersée après la destruction de sa capitale et l'occupation de ses provinces? Pour se former une idée de l'habileté de la nation juive, et, ce qui est plus rare, de son honnêteté dans ses rapports avec les chefs des autres États, il faut se rappeler le séjour de Joseph à la cour des Pharaons, et celui de Daniel à la cour des rois de Babylone (1). Sa fidélité à sa loi lui imprimait un caractère particulier de grandeur, qui se révèle dans l'histoire des Josué, des Gédéon, des Samuel, dans la fierté de Mardochée, plus magnanime peut-être que celle de Régulus (2); dans l'intrépidité de toute la famille des Macchabées, qui égale au moins celle de Cincinnatus, et dans l'héroïsme de Susanne, moins suspect que celui de Lucrèce.

Si l'on entend par philosophie l'ensemble des doctrines fortes et supérieures, le peuple hébreu eut la plus haute philosophie du monde; si l'on entend ce vain amas de frivoles discussions, les Saducéens peuvent être opposés aux philosophes les plus subtils; si c'est le raffinement du calcul et de l'orgueil, la morgue de l'importance personnelle, l'hypocrisie de la bonne foi et de la liberté, les Pharisiens peuvent, sans craindre de n'avoir pas le poids, être pesés dans la même balance que nos éclectiques modernes. Si c'est la niaiserie du communisme qui vous intéresse, n'oubliez pas que quatre mille Esséniens vivaient

(1) Daniel aima mieux être jeté à la fosse aux lions que d'accepter le gouvernement de cent trente satrapies en apostasiant sa foi. Quel exemple! Quelle leçon notamment à l'épiscopat d'Angleterre sous Henri VIII!

(2) Régulus, sachant le supplice qui l'attendait, retourna chez un peuple perfide et cruel pour rester fidèle à sa parole; Mardochée se voua à la mort pour résister à l'ordre impie du despote, comme il s'y était exposé pour lui sauver la vie.

en communauté, il y a deux mille ans, et que nos communistes actuels, moins en progrès qu'ils ne le croient naïvement, n'ont pas encore donné à leur théorie l'appui de leur exemple, seul moyen légitime de déterminer la libre adhésion de tous. Mais ce qui me fait faire à moi une réflexion profondément amère, c'est que l'apparition de cet essaim de philosophes coïncida avec la date de la décadence de la république en Judée. Le même phénomène s'est reproduit à Athènes et à Rome. Quant à la France, il suffit qu'ils bourdonnent à ses oreilles pour lui faire tout supporter, moins l'insolence de leur zèle et la brutalité païenne de leurs théories.

XII

Nous ne saurions rien des premiers siècles de la Chine sans la visite que lui fit Sémiramis. Les premiers monuments philosophiques de cette contrée sont les théories religieuses connues sous le nom de King; elles sont attribuées à Fohi, fondateur de l'empire. C'est un mélange des traditions primitives et des rêves délirants de l'imagination humaine. Dieu, la substance éternelle, est le comble de toutes choses: le comble est l'appui qui domine tout. Dieu est inaccessible à l'intelligence humaine, à laquelle il se fait connaître par la révélation. La création renferme deux principes: l'un actif et l'autre passif. Les intelligences sont le principe actif, la matière le principe passif. Les deux principes entrent dans la composition de l'homme qui est le petit monde, réminiscence de la divine révélation: Faciamus hominem ad imaginem nostram.

Pourquoi faut-il qu'une doctrine si belle soit profanée par de puériles rêveries? Il le faut pour nous apprendre

que nulle part l'homme ne peut toucher à la création divine sans la souiller ou la détruire, et qu'il n'a qu'un seul devoir, celui de respecter les lois de la nature, comme il doit en respecter l'auteur.

A côté de l'idée révélée, telle que nous venons de la voir exposée même en Chine, viennent se placer les étranges conjectures des hommes. Le ciel et la terre, ou la matière parfaite et la matière imparfaite, sont unis par un mariage qui produit l'univers au moyen de quatre images, lesquelles engendrent les objets représentés avec le ciel et la terre. Les esprits découlent de la raison primitive dans la double matière; leur puissance d'action vient des nombres, les nombres sont parfaits ou imparfaits, terrestres ou célestes. Fohi attribue deux âmes aux hommes. Malgré ces rêveries, l'étendue du génie de Fohi est incontestable; il avait, comme Canada, et peut-être plus nettement que lui, formulé que la science qui a pour objet le monde inorganique doit constater les faits, observer leurs rapports permanents, en déduire leurs lois, et les réduire à des formules mathématiques. Il avait donc indiqué en principe les méthodes qui ont déterminé les progrès des sciences naturelles et de l'astronomie.

La Chine n'a point été le théâtre d'un grand développement philosophique; elle eut cependant, dans le sixième siècle avant l'ère chrétienne, deux philosophes célèbres : Lao-Tseu et Confucius.

Lao-Tseu admet comme principe premier la raison, être sublime et indéfinissable; sans nom elle est le principe, avec un nom elle est la mère de l'univers, la source unique de toutes choses, la profondeur impénétrable, renfermant les êtres les plus excellents. Avant le ciel et la terre, un

seul existait, immense, silencieux, toujours agissant, inaltérable, immuable. Ignorant son nom, Lao-Tseu l'appelle raison un a produit deux, deux a produit trois, trois a produit toutes choses. La triade paraît encore pour donner un éternel démenti aux inventions philosophiques. Forcé de donner un nom à la profondeur impénétrable, Lao-Tseu l'appelle grandeur, éloignement, progression, opposition. La raison, selon lui, est d'une essence contraire à la nature. C'est ainsi qu'il formule l'idée de l'infini et du fini en la confondant avec l'idée d'antagonisme. Il y a dans le monde quatre grandeurs : la raison, le ciel, la terre, le roi. L'homme a son type dans la terre, la terre dans le ciel, le ciel dans la raison, la raison en elle-même.

Les âmes sont les émanations de l'éther; à la mort, elles vont s'y réunir. Toutes choses ont leur type dans la raison, reposent sur la matière, et sont enveloppées par l'éther. Un souffle de vie les unit et entretient l'harmonie; les âmes croissent aux dépens de l'âme universelle, qui à son tour s'accroît de leur perte.

Ces contradictions sont une idée affaiblie de la philosophie des Hindous, un mélange apparent des traditions et des erreurs primitives, un fatras incohérent, illogique et inintelligible, une preuve d'un abaissement marqué dans l'intelligence humaine. L'homme a son type dans la terre, et le roi est l'une des quatre grandeurs du monde ! En faut-il plus pour expliquer la dégradation de la Chine, sa stupide immobilité et l'opprobre de son obéissance passive?

Confucius a élaboré et interprété la théologie de Fohi; il rapporte toute l'autorité de la philosophie à la tradition, c'est-à-dire à la révélation. « Tout ce que je vous enseigne,

>> nos anciens sages l'ont pratiqué avant nous, et cette >> pratique, qui, dans les temps les plus reculés, était uni>> versellement adoptée, se réduit à l'observation des lois >>> fondamentales. » Ces lois fondamentales portent sur les relations entre les souverains et les sujets, entre les pères et les enfants, entre l'époux et les épouses. Il y a cinq vertus capitales: l'humanité ou la charité universelle entre tous ceux de notre espèce; la justice, qui donne, sans acception de personnes, à chacun ce qui lui est dû; la conformité aux cérémonies et aux usages établis. Cette dernière maxime, adoptée plus tard par J.-J. Rousseau et même par Montesquieu, est le principe de l'immobilité, l'éternel ennemi du progrès : comment le progrès serait-il possible avec une permanente conformité aux usages et aux cérémonies établies?

La quatrième vertu, selon Confucius, est la droiture; la cinquième est la bonne foi. Voilà, ajoute-t-il, les leçons et les exemples que nous ont transmis nos instituteurs anciens et respectables; faisons nos efforts pour les imiter.

Le vice radical de la théorie de Confucius, c'est que tous les devoirs de l'homme y sont présentés comme des formes variées des devoirs domestiques. La loi de famille est la loi universelle; la famille, l'État, l'univers sont modelés sur le même type; le père, le prince et Dieu sont les souverains de la famille. L'autorité du père est celle de Dieu, l'autorité du prince est celle du père; les enfants sont au père ce que les sujets sont au prince, ce que tous les hommes sont à Dieu. Cette maxime abominable a été la source de toutes les iniquités qui ont désolé le genre humain. C'est le droit divin, dogme impie, affirmé dans ces derniers temps, jusque dans le sein des nations hré

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