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L'AVARE,

COMÉDIE EN CINQ ACTES.

1667.

PERSONNAGES.

HARPAGON, père de Cléante et d'Élise, et amoureux de Mariane'. CLEANTE, fils d'Harpagon, amant de Mariane'.

ÉLISE, fille d'Harpagon, amante de Valère1.

VALERE, fils d'Anselme, et amant d'Élise'.

MARIANE, amante de Cléante, et aimée d'Harpagon3.

ANSELME, père de Valère et de Mariane.

FROSINE, femme d'intrigue.

MAITRE SIMON, courtier.

MAITRE JACQUES, cuisinier et cocher d'Harpagon'.
LA FLÈCHE, valet de Cléante*.

DAME CLAUDE, servante d'Harpagon.

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MOLIÈRE. 2 LA GRANGE. - Mademoiselle MOLIÈRE. -Mademoiselle DE BRIE.

cadet.

-DU CROISY. Magdeleine BÉJART. HUBERT. — 'BÉJART

La scène est à Paris, dans la maison d'Harpagon.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I'.

VALERE, ELISE.

VALÈRE.

Hé quoi! charmante Elise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi! Je vous vois soupirer, hélas! au milieu de ma joie! Est-ce du regret, dites-moi, de m'avoir fait heu

Les registres de la Comédie-Françoise fixent au 9 septembre 4668 la première représentation de l'Avare. Cette pièce fut alors jouée neuf fois, et onze à la reprise, deux mois après. Le même préjugé qui avoit fait tomber le Festin de Pierre, parcequ'il étoit en prose, nuisit au succès de l'Avare. Cependant le public, qui, à la longue, se rend toujours au bon, finit par donner à cet ouvrage les applaudissements qu'il mérite. On comprit alors qu'il peut y avoir de fort bonnes comédies en prose, et qu'il y a peut être plus de difficulté à réussir dans le style ordinaire, où l'esprit seul soutient l'auteur, que dans la versification, qui, par la rime, la cadence, et la mesure, prête des ornements à des idées simples, que la prose n'embelliroit pas. Il y a dans l'Avare quelques idées prises dans Plante, et embellies par Molière. Plaute avoit imaginé le premier de faire en même temps voler la cassette de l'Avare et séduire sa fille; c'est de lui qu'est toute l'invention de la scène du jeune homme qui vient avouer le rapt, et que l'Avare prend pour le voleur. Mais on ose dire que Plaute n'a point assez profité de cette situation; il ne l'a inventée que pour la manquer. Que l'on en juge par ce seul trait : l'amant de la fille ne paroit que dans cette scène; il vient sans être annoncé ni préparé, et la fille elle-même n'y paroît point du tout. Tout le reste de la pièce est de Molière, caractères, critiques, plaisanteries; il n'a imité que quelques lignes, comme cet endroit où l'Avare, parlant, peut-être mal à propos, aux spectateurs, dit : « Mon voleur ■ n'est-il point parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire!» ( Quid est quod videtis? nori omnes, scio fures hic esse complures.) Et cet autre endroit encore où, ayant examiné les mains du valet qu'il soupçonne, il demande à

reux? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre?

ÉLISE.

Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, à vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude; et je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrois.

VALÈRE.

Hé! que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez pour moi?

ÉLISE.

Hélas! cent choses à-la-fois l'emportement d'un père, les reproches d'une famille, les censures du monde; mais plus que tout, Valère, le changement de votre cœur, et cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe paient le plus souvent les témoignages trop ardents d'une innocente amour.

VALÈRE.

Ah! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres! Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que

voir la troisième : Ostende tertiam. Ces comparaisons de Plaute avec Molière sont toutes à l'avantage du dernier. (V.) - Molière n'a pas borné ses emprunts à l'Aulularia de Plaute. Plusieurs scènes de l'Avare sont évidemment imnitées de canevas italiens joués à l'impromptu. Tels sont Lélie et Arlequin valets dans la même maison; il dottor Bacchetone, ou le Docteur dévot, et la Cameriera nobile, ou la Femme de chambre de qualité. (R.) Enfin on peut trouver le modèle de plusieurs autres scènes dans les Supposés (i Suppositi) de l'Arioste, et dans ia Belle Plaideuse, comédie de Boisrobert. (B.) On a peine à se figurer que Molière, ayant recueilli de tous côtés tant de matériaux différents, soit parvenu à en composer un ensemble parfait. C'est un effort aussi admirable que s'il eût entièrement imaginé le sujet. En effet, lorsque l'ouvrage d'un homme ordinaire se forme de diverses conceptions qui ne lui appartiennent pas, on reconnoît toujours des parties qui ne vont pas ensemble, et qui produisent des disparates choquantes; au lien que l'homme de génie se rend maître de tout ce qu'il daigne emprunter, se l'approprie en quelque sorte; et les beautés différentes qu'il emploie semblent couler de la même source. Aucun auteur n'a porté plus loin que Molière cette force de conception, qui soumet tout aux idées de celui qui la possede; il est aussi grand lorsqu'il umite que lorsqu'il invente. (P.)

je vous dois. Je vous aime trop pour cela; et mon amour pour vous durera autant que ma vie.

ÉLISE.

Ah! Valère, chacun tient les mêmes discours! Tous les hommes sont semblables par les paroles; et ce n'est que les actions qui les découvrent différents.

VALÈRE.

Puisque les seules actions font connoître ce que nous sommes, attendez donc, au moins, à juger de mon cœur par elles, et ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon outrageux; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.

ÉLISE.

Hélas! qu'avec facilité on se laisse persuader par les personnes que l'on aime! Oui, Valère, je tiens votre cœur incapable de m'abuser. Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez fidèle: je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.

VALERE.

Mais pourquoi cette inquiétude?
ÉLISE.

Je n'aurois rien à craindre, si tout le monde vous voyoit des yeux dont je vous vois; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon cœur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d'une reconnoissance où le ciel m'engage envers vous. Je me représente, à toute heure, ce péril étonnant qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre; cette générosité surprenante qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes; ces soins pleins de tendresse que vous me fites éclater après m'avoir tirée de l'eau, et les hommages assidus de cet ardent amour que ni le temps ni les difficultés n'ont rebuté, et

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