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dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus terrible qu'on puisse craindre. Socrate, prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente et qui pleure; Jésus, au milieu d'un affreux supplice, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu.

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Voilà le plus magnifique éloge que la vérité ait arraché à un ennemi. Rousseau confesse la divinité du Christ; il fait mieux que la confesser, il la démontre dans ce développement,riche d'arguments, d'élévation, d'émotion et d'expression. Quelle belle et irrésistible gradation dans toutes les circonstances de la comparaison, jusqu'au trait final, sublime dans son énergique simplicité! Relevons quelques expressions: « Son personnage; » son rôle. « Un sophiste,» un faux sage. « Philosophe; » discourant sur la sagesse. «Qui la lui présente et qui pleure; » beau tableau, en contraste avec cette autre expression: « Les bourreaux acharnés.» « Le plus vil des peuples. » Cela est exagéré; sans doute le peuple hébreu fut grand par la protection spéciale de Dieu; mais, dans son ensemble et dans ses premiers siècles, à part même de cette protection, on ne saurait dire que les faits qui tiennent à son origine et à ses grandes époques soient dépourvus de grandeur. Rien n'est plus saisissant, pour la hauteur de la pensée, et pour la force de l'expression, que la conclusion, qui met fortement en contraste la mort « du sage » et la mort du « Dieu. »

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On le voit s'annoncer de loin par les traits de feu qu'il lance au-devant de lui. L'incendie augmente, l'Orient paraît tout en flammes; à leur éclat, on attend l'astre longtemps avant qu'il se montre; à chaque instant on croit le voir paraître; on le voit

enfin. Un point brillant part comme un éclair et remplit aussitôt tout l'espace; le voile des ténèbres s'efface et tombe; l'homme reconnaît son séjour et le trouve embelli. La verdure a pris, durant la nuit, une vigueur nouvelle; le jour naissant qui l'éclaire, les rayons naissants qui la dorent, la montrent couverte d'un brillant réseau de rosée qui réfléchit à l'œil les lumières et les couleurs. Les oiseaux en choeur se réjouissent et saluent de concert le père de la vie; en ce moment pas un seul ne se tait; leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée; il se sent de la langueur d'un pénible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu'à l'âme. Il y a là une demi-heure d'enchantement auquel nul homme ne résiste; un spectacle si grand, si beau, si délicieux, n'en laisse aucun de sang-froid.

Il serait difficile de citer une description plus vive et qui rende plus sensible à l'imagination le grand objet qu'elle veut peindre. Il n'y a pas une circonstance relative au lever du soleil qui ne soit ici marquée avec un soin curieux et la plus parfaite gradation, jusqu'à ce mot : « On le voit enfin. » Mais cela n'est encore qu'un prélude; la description s'épanouit, quand l'auteur nous montre le soleil et les grands effets qu'il produit, lui, vainqueur de l'ombre et réparateur de la nature. D'abord ce sont les jeux de l'astre brillant sur la verdure, à travers la rosée; puis c'est la nature animée qui le salue par la voix des oiseaux. Tout cela est plein de vérité, d'harmonie, de grâce sans apprêt. — << Fraîcheur qui des sens pénètre jusqu'à l'âme ; » ce style est fort métaphorique, mais vif, et les figures sont en parfait accord; on peut dire qu'un pareil langage pénètre l'âme, comme Rousseau le dit, de la fraîcheur matinale. « L'homme reconnaît son séjour et le trouve embelli; >> un principe essentiel dans le genre descriptif, c'est d'animer et d'élever le tableau par la présence de l'homme et de ses sentiments divers; autrement toute description n'est

que décoration sans vie et sans vertu; c'est le défaut assez ordinaire aux poëtes du dix-huitième siècle et du commencement de celui-ci. N'oublions pas que, comme

description du soleil levant, rien n'est plus beau que le trait du Psalmiste: Il s'élance dans sa route comme un géant. (Ps. XVII.)

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Cet écrivain commença à briller vers 1780, à la fin d'un siècle où beaucoup avaient parlé de la nature, avec une fausse tendresse, plutôt en déclamateurs qu'en amis véritables. Bernardin s'empara, en quelque sorte, de cette nature, mais à un meilleur point de vue que la plupart de ses contemporains; il s'en fit le peintre, plus que le naturaliste; mais aussi il la pénétra de ses émotions, il lui demanda les affinités qu'elle a avec Dieu et s'attacha à manifester le sens divin qui fait sa grandeur. Il se préoccupe beaucoup de la question des causes finales, c'est-àdire des buts que la Providence s'est proposés dans toutes les œuvres de sa création. Tel fut l'objet des deux grands ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre, les Etudes, puis les Harmonies de la nature; l'auteur fait sortir de l'étude des secrets de la nature la connaissance des harmonies que ces merveilles ont avec l'homme pour qui elles sont faites, avec Dieu qui est leur créateur. Le chef-d'œuvre de Bernardin est Paul et Virginie, petit roman plein d'imagination et de style, et qui occupe un rang parmi les œuvres les plus choisies de notre littérature. Bernardin de Saint-Pierre parcourut une longue et paisible carrière, traversa la révolution et l'empire, et mourut après avoir joui de toute sa gloire, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

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Lorsque j'étais en pleine mer, et que je n'avais d'autre spectacle que le ciel et l'eau, je m'amusais quelquefois à dessiner les beaux nuages blancs et gris, semblables à des groupes de montagnes, qui voguaient à la suite les uns des autres sur l'azur des cieux. C'était surtout vers la fin du jour qu'ils développaient toute leur beauté en se réunissant au couchant, où ils se revêtaient des plus riches couleurs et se combinaient sous les formes les plus magnifiques.

Un soir, environ une demi-heure avant le coucher du soleil, le vent alizé du sud-est se ralentit comme il arrive d'ordinaire vers ce temps. Les nuages qu'il voiture dans le ciel à des distances égales comme son souffle, devinrent plus rares, et ceux de la partie de l'ouest s'arrêtèrent et se groupèrent entre eux sous les formes d'un paysage. Ils représentaient une grande terre formée de hautes montagnes, séparées par des vallées profondes et surmontées de rochers pyramidaux. Juste au sommet sur leurs flancs apparaissaient des brouillards détachés, semblables à ceux qui s'élèvent de terres véritables. Un long fleuve semblait circuler dans les vallons et tomber çà et là en cataractes ; il était traversé par un grand pont appuyé sur des arcades à demi ruinées. Les bosquets de cocotiers, au centre desquels on entrevoyait des habitations, s'élevaient sur les croupes et les profils de cette île aérienne. Tous ces objets n'étaient pas revêtus dè ces riches teintes de pourpre, de jaune doré, de nacarat, d'émeraudes, si communes le soir dans les couchants de ces parages; ce paysage n'était point un tableau colorié; c'était une simple estampe, où se réunissaient tous les accords de la lumière et des ombres. Il représentait une contrée éclairée, non en face des rayons du soleil, mais par derrière, de leurs simples reflets.

On est obligé de reconnaître dans ce style l'abondance molle, le manque de ressort qui, malgré les mérites de Bernardin de Saint-Pierre, est un des caractères de son genre d'écrire. Toutefois, on peut louer, mais sans admira

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