Page images
PDF
EPUB

CHRONIQUE POLITIQUE

Sans revenir longuement sur les faits accomplis jusqu'à ce jour en Italie, indiquons en quelques mots les principales modifications que la force des choses a introduites dans la politique de notre gouvernement par rapport au mouvement italien. Quand l'injuste agression de l'Autriche, alluma au printemps de l'année dernière l'incendie qui peut s'étendre l'année prochaine sur toute l'Europe, et quand l'armée française accourut au secours du Piémont, le but de la guerre fut nettement défini par la proclamation impériale du 3 mai 1859 qui disait : « L'Autriche a amené les choses à cette extrémité qu'il faut qu'elle domine jusqu'aux Alpes, ou que l'Italie soit libre jusqu'à l'Adriatique. » Quant à la question de l'organisation intérieure de l'Italie, la proclamation du 3 mai ne l'abordait point; elle se contentait de dire d'une part : que le but de la guerre était de rendre l'Italie à elle-même, et non de la faire changer de maître; » et d'autre part, pour rassurer les consciences catholiques alarmées de la situation du souverain pontife, la proclamation impériale ajoutait : « Nous n'allons pas en Italie fomenter le désordre ni ébranler le pouvoir du saint-père que nous avons replacé sur son trône, mais le soustraire à cette pression étrangère qui s'appesantit sur toute la pénin– sule. »

Ainsi, au début de la guerre les trois points principaux du programme impérial étaient 1° l'expulsion complète de l'Autriche du sol italien; 2o l'Italie rendue à elle-même ; 3° le maintien du pouvoir du saint-père.

Les considérations de sagesse et de prudence patriotiques qui déterminèrent l'empereur des Français, après nos brillantes victoires de Magenta et de Solferino, à offrir la paix à l'ennemi vaincu et à modifier le programme du 3 mai ont été exposées par Napoléon III lui-même, et sont trop généralement connues pour qu'il soit nécessaire de s'y arrêter ici. Rappelons-seulement les paroles de l'empereur

aux grands corps de l'État : « Pour servir l'indépendance italienne, j'ai fait la guerre contre le gré de l'Europe; dès que les destinées de mon pays ont pu être en péril, j'ai fait la paix. »

Toujours est-il que le traité de Villafranca modifia notablement le programme antérieur. Au lieu d'être expulsée de l'Italie, l'Autriche fut admise à garder la Vénétie à la condition d'abandonner au Piémont la Lombardie, et tout en réservant la liberté des Italiens par la proclamation du principe de non-intervention, le vainqueur de Solferino établit pour eux un programme d'organisation intérieure qui adoptait le système fédératif sous la présidence honoraire du souverain pontife et acceptait la restauration des princes dépossédés en Toscane et à Modène; les deux empereurs s'engageaient en même temps à demander des réformes au gouvernement pontifical. Le souverain pontife, déjà en dissidence avec la politique française sur la question des Romagnes, refusa de s'y associer pour l'organisation d'un gouvernement fédéral. Déjà, il est vrai, l'attitude des Italiens montrait clairement que cette tentative de fédération, qui semblait pourtant la plus conforme aux précédents historiques de l'Italie, ne réussirait pas. Une phrase énergique d'une autre proclamation de l'Empereur des Français adressée aux Italiens après l'entrée à Milan, le 8 juin 1859, n'avait pas peu contribué à fortifier dans leurs âmes les aspirations à l'unité nationale. Le puissant adversaire de l'Autriche leur disait :

« La Providence favorise quelquefois les peuples comme les individus, en leur donnant l'occasion de grandir tout à coup, mais c'est à la condition qu'ils sachent en profiter. Profitez donc de la fortune qui s'offre à vous. »

Les Italiens pensèrent que le moment était venu de profiter de la fortune, et de continuer eux-mêmes ce que la France avait commencé pour eux; le système fédératif fut repoussé comme impuissant à garantir la nationalité. L'idée de l'unité s'empara de tous les esprits le programme de Villafranca fut mis à l'écart, la restauration des archiducs fut repoussée, et, malgré les instances amicales du gouvernement français, la Toscane, Parme, Modène et les Romagnes s'annexèrent successivement au Piémont. On sait qu'en présence de cette situation nouvelle, le gouvernement libérateur de l'Italie revendiqua plus tard, comme une compensation légitime et une garantie de sécurité, la cession de la Savoie et de Nice; bientôt la question du pouvoir temporel du Pape, déjà engagée par l'annexion des Romagnes, s'aggrava, et à l'heure où nous sommes, l'annexion au Piémont de toutes les parties de l'Italie, moins la Vénétie, la ville de Rome, et la petite portion du territoire pontifical occupée par nos soldats est

devenue un fait accompli. Dans le royaume de Naples la seule ville de Gaëte et la forteresse de Messine résistent encore; le jeune roi François II paraît décidé à tenir jusqu'à la dernière extrémité. Du reste, quelque durée que puisse avoir ce dernier incident de la question napolitaine, il ne changera rien ni à la situation générale des affaires italiennes, ni aux perspectives diverses, ni aux espérances, ni aux craintes qui tiennent l'Europe en suspens et font prévoir pour le printemps prochain une troisième phase plus orageuse peut-être encore que les deux premières.

Il est du reste à remarquer que sur cette question italienne, sauf de très-rares exceptions, le gouvernement français a laissé aux journaux une latitude plus grande qu'à aucune autre époque. Il est permis de supposer que dans cette circonstance, du moins, on a reconnu que la liberté était plus utile que nuisible, même en se plaçant au point de vue le plus gouvernemental. Y a-t-il, en effet, pour un pouvoir qui veut naturellement connaître le degré de force de chacune des opinions qui divisent le pays sur une question grave un meilleur moyen de s'éclairer que de laisser les dissidences se produire avec liberté. Espérons que ce premier essai des avantages d'une discussion libre ne sera pas perdu, et fera comprendre que ce qui est utile dans un cas peut l'être aussi dans tous les autres.

Tandis que la question italienne tient en éveil l'attention publique, cette attention est également sollicitée sur d'autres points du globe par l'active intervention de la France. La durée assignée par l'accord des puissances aux opérations du corps d'armée envoyé en Syrie pour la punition des Druses et la protection des Maronites touche à son terme. Mais tout porte à croire que ce délai sera prorogé, car la mauvaise volonté du gouvernement ottoman, et peut-être aussi les entraves occasionnées par des luttes d'influence, n'ont pas permis d'établir, en un délai aussi court, un état de choses garantissant la sécurité des Maronites contre de nouvelles violences qui suivraient inévitablement le départ de nos troupes. Il est triste qu'en présence des crises si fréquentes et des excès si cruels dans lesquels le fanatisme musulman épuise en quelque sorte ses dernières forces, les puissances chrétiennes ne puissent s'entendre, au moins pour protéger d'une façon efficace et durable leurs coreligionnaires d'Orient.

Une action commune dans le même but, et affranchie cette fois de tout tiraillement, a conduit les soldats de la France et de l'Angleterre jusqu'en Chine; une brillante victoire remportée aux mêmes lieux où naguère des forces insuffisantes avaient contraint une première expédition de reculer devant une résistance inattendue des Chinois, a dû abaisser beaucoup le fantastique orgueil de la cour de Pékin. Toutefois

la duplicité chinoise s'est déployée dans tout son luxe d'arguties, de protocoles, de restrictions mentales, de pouvoirs insuffisants, lorsqu'il s'est agi de signer un traité de paix, si bien que les deux ambassadeurs anglais et français ont perdu patience, et pris le parti de marcher droit sur Pékin, en se faisant accompagner par un solide corps d'armée, infanterie, cavalerie et artillerie, lequel si les Chinois ne s'empressent d'arrêter sa marche, en subissant toutes les conditions imposées, entrera mèche allumée dans la capitale du CélesteEmpire. Les habitants de Pékin ne pourront en croire leurs yeux, s'ils voient les barbares à qui le fils du ciel daignait, disent-ils, permettre d'exister, sur un point perdu du globe, affirmer leur existence d'une façon si énergique. Tout le monde sait du reste que cet immense empire de deux ou trois cents millions d'hommes est en proie à une grande anarchie intérieure, qu'un parti révolutionnaire trèspuissant y promène partout l'insurrection, de telle sorte que nul ne peut prévoir jusqu'où s'étendront les conséquences de l'expédition anglo-française. Cette situation augmente l'intérêt d'un ouvrage anglais nouvellement traduit en français et qu'on vient de publier, avec une introduction de M. Guizot, sous ce titre la Chine et le Japon '; c'est le récit de la mission du comte d'Elgin, qui a précédé et préparé les événements qui s'accomplissent cette année. Ce récit, instructif et animé, est fait par M. Laurence Oliphant, secrétaire de lord Elgin.

L'élection présidentielle aux États-Unis offre à l'Europe un intérêt particulier. Le nouvel élu, M. Abraham Lincoln, représente le parti républicain, par opposition au parti démocratique. La principale dissidence entre ces deux partis porte sur la question de l'esclavage. Le programme du parti républicain, dans lequel figurent d'ailleurs les abolitionnistes les plus déterminés, n'est pas l'affranchissement immédiat des noirs; ce parti accepte la situation telle qu'elle existe, mais il désire empêcher la propagation de la plaie dont souffrent les ÉtatsUnis; il veut localiser l'esclavage dans les États où il est déjà établi; il veut dégager le gouvernement fédéral de l'obligation que prétendent lui imposer les États à esclaves de protéger l'esclavage parmi les États nouveaux et parmi les États anciens, qui le repoussent. L'élection de M. Lincoln constitue donc déjà un grand progrès, en ce sens qu'elle prouve que l'opinion hostile à l'esclavage a gagné beaucoup de terrain en Amérique.

Si revenant en Europe nous jetons les yeux sur l'Allemagne, nous voyons que la situation qui paraissait grosse d'une alliance offensive entre trois grandes puissances, n'enfante plus maintenant

1. Chez Michel Lévy.

que des visites particulières de souverain à souverain, où l'on agitera sans doute les questions fédératives. La Société nationale a terminé sa campagne d'une façon assez modeste; elle proclame toujours que la Prusse doit être mise à la tête de l'Allemagne, mais déjà elle s'occupe des couleurs du drapeau prussien et demande que la Prusse soit absorbée par l'Allemagne, et non l'Allemagne par la Prusse. Ce qui a toujours embarrassé la Société nationale, c'est le sort que, dans l'unification germanique, il convient de réserver à l'Autriche. Il y eut un temps où les unitaires n'allaient à rien moins qu'à retrancher l'Autriche de l'Allemagne; ils sont bien revenus de cet esprit d'exclusion qui les avait rendus impopulaires; mais, tout en protestant unanimement que l'Autriche allemande ne doit jamais être abandonnée par le parti national, ils ne disent pas comment on amènera l'Autriche à un tel degré d'abnégation, qu'elle sacrifie ses prétentions à la suprématie pour la plus grande gloire de la Prusse. Cependant l'empereur d'Autriche fait visite au roi de Bavière et au roi de Wurtemberg, sans doute pour les engager dans ses intérêts italiens, et l'on parle d'un congrès général des souverains allemands, où l'on tâcherait de s'entendre sur l'établissement d'un pouvoir central destiné à remplacer la diète. Il semble que la diète prévoie ou désire faciliter sa dissolution par l'incurie qu'elle apporte dans la solution des affaires qui lui sont soumises, et qu'elle laisse dormir dans ses bureaux avec ce flegme intrépide qui est le trait le plus marqué de son caractère.

Parmi les questions qu'elle laisse pendantes, une de celles qui préoccupent les esprits en Allemagne, est la question qui concerne la fortification des côtes de la mer Baltique et de la mer du Nord. Mais le ministère prussien veille, et va, dit-on, présenter aux chambres un projet de loi qui autorise la construction d'un chemin de fer de Stralsund à Berlin; ce chemin aurait une grande importance stratégique pour la défense des côtes. Au printemps prochain, la forteresse fédérale d'Ulm commencera à s'armer de canons rayés, et vers la même époque, on organisera d'après le système français plusieurs batteries de l'artillerie à cheval de Wurtemberg. Cette lente précipitation ne fait pas un contraste trop violent avec l'inertie somnolente de la diète de Francfort.

L'éternelle question du Schleswig continue à s'agiter sans faire un pas. La Gazette prussienne voudrait lui faire faire ce pas: elle déclare que si les élections générales pour la prochaine session législative donnent dans le Schleswig une majorité danoise ou seulement douteuse, il sera si évident que le gouvernement danois aura voulu violenter la libre expression de l'opinion publique, que la confédération

« PreviousContinue »