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des peuples fut plus profonde qu'en aucun autre lieu de l'univers, et que la morale de ces contrées, plus en opposition encore au type de la nature que celle de l'Occident, y a conservé des mœurs, des usages, des législations effroyables?

Depuis le commencement du monde jusqu'à nous, il n'y a eu que deux enseignements, ou deux écoles, et chacune de ces écoles a eu son révélateur. Præcepit nobis Deus, a dit celui de la première; sicut dii eritis, a dit celui de la seconde. Ces deux enseignements n'ont pas la même date, mais ils ont le même berceau. Dieu, et il ne pouvait en être autrement, instruisit l'homme dès qu'il l'eût créé. Cet enseignement a été voilé partout, mais nulle part il n'a été entièrement effacé; on en trouve, dans toutes les philosophies du monde, des traces plus ou moins altérées par les erreurs qui y ont été mêlées. L'autre enseignement procède de cette voix même qui insinua dans le cœur de l'homme qu'il pouvait être Dieu, et qui lui en inspira le désir. L'orgueil se l'est assimilé; l'homme a pris le moi humain pour le centre du monde et son intelligence pour le foyer primitif de la lumière. C'est pour cela que l'on affirme que cet enseignement procède de l'homme; mais l'idée même de cette erreur lui a été révélée. L'autorité de l'histoire se joint à l'évidence pour établir cette révélation (4). Le double enseignement que se transmettent les hommes a donc une

(4) « Cette philosophie, dit Mallebranche, ne nous vient » pas d'Adam; elle nous vient du serpent. » Le panthéisme a donc pris naissance dans l'orgueil de la plus sublime créature; il est devenu contagieux.

origine bien marquée, et il est facile d'y remonter en suivant l'empreinte non interrompue des pas de chaque école philosophique. Les philosophes se sont servilement répétés; pas une idée nouvelle n'a été par eux jetée dans le domaine intellectuel. Il est impossible d'articuler une vérité morale qui n'ait sa source dans la révélation divine, comme il est impossible d'articuler une vérité dans les arts et dans les sciences exactes qui n'ait sa source première dans les lois de la nature. L'homme est objectif par essence, et, pour lui, savoir, c'est voir. Il fait tous les jours d'heureuses applications des lois de la nature dans les arts; et, en s'éloignant de ces lois, il ne produit, il ne peut produire que des monstruosités. Il en est de même en morale; l'erreur a eu ses variétés, ses accidents temporaires; mais dans le fond, elle est toujours restée ce qu'elle est, un écart du type primitif de la loi des êtres. L'idée philosophique des premiers peuples de la terre, c'est-à-dire de l'Orient, se retrouve, plus ou moins défigurée, dans toutes les philosophies des diverses nations. Il n'y a à cela rien d'étonnant, car l'homme intelligent, comme l'homme physique, se développe; la vie morale lui est donnée comme la vie organique, ses idées lui sont données comme ses aliments matériels, et les idées comme les aliments qu'il s'assimile sont quelquefois d'une nature fort mal saine.

II.

La philosophie primitive de l'Inde a un tel caractère

de grandeur qu'on y reconnaît évidemment la trace encore fraîche de la première révélation divine.

La philosophie orientale comprend ce que l'on connaît des théories de l'Inde, de la Chaldée, de la Perse, de la Phénicie, de l'Égypte, de la Judée, de la Chine.

Les Védas (1) renferment la doctrine des Hindous sur Dieu, sur la création, sur l'âme, sur ses relations avec Dieu. On y voit poindre déjà l'idée de panthéisme, c'est une application encore timide du mot sicut dii eritis. Cette première embûche tendue à l'orgueil du premier homme se montre dans le premier écrit de l'enseignement humain. La matière n'est qu'une illusion, ou la forme des âmes, qui, après avoir subi diverses transformations, obtiendront leur délivrance finale en s'éteignant dans la grande âme. La théogonie des Hindous est une idolâtrie, comme le prouvent leurs dix-huit poêmes, appelés Pouranas (2), et leurs trois grandes épopées, le Ramayana, le Mahabarata, le BhagavatGita. Le Ramayana (3) célèbre les courses de Rama;

(1) Les Védas ont quatre livres mis en ordre par Vyasa. (2) Les Pouranas exposent la théogonie et la cosmogonie mythologiques des Hindous; ils sont attribués à Vyasa.

(3) M. Hippolyte Fauche vient de publier une élégante traduction de ce poême. Valmiki, l'auteur, vivait à une époque rapprochée de celle de Moïse, près de mille quatre cents ans avant l'ère chrétienne, quatre cents ans environ avant Honière. L'unité est très-bien observée dans cette épopée orientale, où l'on trouve des vues élevées, des passages d'une grande beauté d'inspiration et une imagination fantastique à laquelle on ne trouve rien de comparable, si ce n'est chez le Tasse et l'Arioste.

le Mahabarata chante les exploits des Kous et des Pandous, appartenant à la race des enfants de la lune. Le Bhagavat-Gita est un épisode du Mahabarata. Rama était un Dieu; une moitié de Vishnou s'était incarnée en lui. Cette incarnation est évidemment une tradition première altérée. Tout porte un tel caractère de tradition primitive dans la philosophie des Hindous, « qu'il faut une langue théologique et coulée » dans un moule chrétien pour bien traduire le sans>> crit, et, s'il m'est permis d'employer ici un mot >> d'une assez grande justesse, fraterniser avec cette >> langue, éclairée d'une aube déjà toute chrétienne » tant de siècles avant la naissance de Jésus-Christ (1). » Une langue chrétienne dès l'origine du monde ! preuve évidente d'une tradition identique à la nôtre; une philosophie chrétienne au milieu de ces affirmations de l'idolâtrie! preuve non moins évidente de l'altération de cette même tradition et de la nécessité d'une seconde révélation.

Outre ces livres sacrés, les Hindous possèdent le Manavas-Dharma-Sastra ou le Recueil des lois de Manou, identiques en quelques points, et très-ressemblantes en plusieurs autres aux lois de Moïse, ce qui prouve l'unité originelle de la tradition (2).

Les ouvrages hindous ont leur type ou leur esprit dans les Védas, dont voici la théorie: Brahm existe

(1) M. FAUCHE. Préface à la traduction du Ramayana, p. 27. (2) Voyez Morris. Essai sur la Conversion de l'Inde philosophique.

éternellement, il est la substance première, infinie, l'unité pure. Il y a ténèbres, parce que Brahm est l'être indéterminé. Aujourd'hui, c'est le mot indéfini qu'on emploie voilà à quoi se borne notre invention. Nous avons modifié des mots, combiné des théories nouvelles avec des idées anciennes; quant à une idée moderne, on ne la trouvera nulle part.

Du sein de Brahm sortent Brahma le créateur, Vishnou le conservateur, Siva le destructeur des formes. Nous voici à la Triade, qui ne doit plus nous quitter qu'avec la philosophie, et la philosophie, qui n'est qu'une éternelle négation, mourra quand elle cessera de vivre de l'idée orientale, mère féconde qui n'a produit que des enfants stériles.

Dans le système des Hindous, tout converge au même centre l'unité substantielle. Les divers êtres doivent, après la succession des temps, s'éteindre dans l'unité. Vyasa, à qui on attribue le poême de Bhagavat-Gita, est l'éditeur, s'il n'est pas l'auteur des Védas. Toute distinction entre la pensée des Védas et celle de Bhagavat-Gita est donc sans fondement l'attribution de la divinité à l'homme est évidente dans les Védas. A sa naissance et à sa mort, la philosophie répète ce mot Je suis Dieu! Nous savons d'où il vient; nous avons l'acte authentique de sa naissance: Sicut dii eritis.

Cette théorie des Hindous était merveilleusement adaptée à la politique orientale, où il n'y avait qu'une volonté, celle du despote. Les âmes humaines étaient soumises à la loi universelle de la transmigration avant

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