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ni sobre, ni tempérant; et d'un troisième qui, importuné d'un ami pauvre, lui donne enfin quelque secours, l'on dit qu'il achète son repos, et nullement qu'il est libéral. Le motif seul fait le mérite des actions des hommes, et le désintéressement y met la perfection.

La fausse grandeur (20) est farouche et inaccessible; comme elle sent son faible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu'autant qu'il faut pour imposer et ne paraître point ce qu'elle est, je veux dire une vraie petitesse. La véritable grandeur (21) est libre, douce, familière, populaire. Elle se laisse toucher et manier, elle ne perd rien à être vue de près : plus on la connaît, plus on l'admire. Elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revient sans effort dans son naturel. Elle s'abandonne quelquefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours en pouvoir de les reprendre, et de les faire valoir : elle rit, joue et badine, mais avec dignité. On l'approche tout ensemble avec liberté et avec retenue. Son caractère est noble et facile, inspire le respect et la confiance, et fait les princes nous paraissent grands et très-grands, sans nous faire sentir que nous sommes petits.

que

Le sage guérit de l'ambition par l'ambition même : il tend à de si grandes choses, qu'il ne peut se borner à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortune et la faveur. Il ne voit rien dans de si faibles avantages qui soit assez bon et assez solide pour remplir son cœur, et pour mériter ses soins et ses désirs: il a même besoin d'efforts pour ne les pas trop dédaigner. Le seul bien capable de le tenter est cette sorte de gloire qui devrait naître de la vertu toute pure et toute simple: mais les hommes ne l'accordent guère, et il s'en passe.

Celui-là est bon qui fait du bien aux autres : s'il souffre pour le bien qu'il fait, il est très-bon : s'il souffre de ceux à qui il a fait ce bien, il a une si grande bonté qu'elle ne peut être augmentée que dans le cas où ses souffrances viendraient à croître; et s'il en meurt, sa vertu ne saurait aller plus loin, elle est héroïque,elle est parfaite.

CHAPITRE III.

DES FEMMES.

Les hommes et les femmes conviennent rarement sur le mérite d'une feinme; leurs intérêts sont trop différens. Les femmes ne se plaisent point les unes aux autres par les mêmes agrémens qu'elles plaisent aux hommes: mille manières qu'allument dans

ceux-ci les grandes passions, forment entre elles l'aversion et l'antipathie.

Il y a dans quelques femmes une grandeur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va pas plus loin; un esprit éblouissant qui impose, et que l'on n'estime que parce qu'il n'est pas approfondi. Il y a dans quelques autres une grandeur simple, naturelle, indépendante du geste et de la démarche, qui a sa source dans le cœur, et qui est comme une suite de leur haute naissance; un mérite paisible, mais solide, accompagné de mille vertus qu'elles ne peuvent couvrir de toute leur modestie, qui échappent, et qui se montrent à ceux qui ont des yeux.

J'ai vu souhaiter d'être fille, et une belle fille, depuis treize ans jusques à vingt-deux, et après cet âge de devenir un homme. Quelques jeunes personnes ne connaissent point assez les avantages d'une heureuse nature, et combien il leur serait utile de s'y abandonner. Elles affaiblissent ces dons du ciel si rares et si fragiles par des manières affectées, et par une mauvaise imitation. Leur son de voix et leur démarche sont empruntés: elles se composent, elles se recherchent, regardent dans un miroir si elles s'éloignent assez de leur naturel ce n'est pas sans peine qu'elles plaisent moins.

Chez les femmes, se parer et se farder n'est pas, je l'avoue, parler contre sa pensée: c'est plus aussi que le travestissement et la mascarade, où l'on ne se donne point pour ce que l'on paraît être, mais où l'on pense seulement à se cacher et à se faire ignorer: c'est chercher à imposer aux yeux, et vouloir paraître selon l'extérieur contre la vérité : c'est une espèce de menterie.

Il faut juger des femmes depuis la chaussure jusqu'à la coiffure exclusivement, à peu près comme on mesure le poisson entre queue et tête.

Si les femmes veulent seulement être belles à leurs propres yeux et se plaire à elles-mêmes, elles peuvent sans doute, dans la manière de s'embellir, dans le choix des ajustemens et de la parure, suivre leur goût et leur caprice : mais si c'est aux hommes qu'elles désirent de plaire, si c'est pour eux qu'elles se fardent ou qu'elles s'enluminent, j'ai recueilli les voix, et je leur prononce, de la part de tous les hommes ou de la plus grande partie, que le blanc et le rouge les rend affreuses et dégoûtantes, que le rouge seul les vieillit et les déguise ; qu'ils haïssent autant à les voir avec de la céruse sur le visage, qu'avec de fausses dents en la bouche, et des boules de cire dans les mâchoires; qu'ils protestent sérieusement contre tout l'artifice dont elles usent pour se rendre laides; et que bien loin d'en répondre devant Dieu, il

semble au contraire qu'il leur ait réservé ce dernier et infaillible moyen de guérir des femmes.

Si les femmes étaient telles naturellement qu'elles le deviennent par artifice, qu'elles perdissent en un moment toute la fraîcheur de leur teint, qu'elles eussent le visage aussi allumé et aussi plombé qu'elles se le font par le rouge et par la peinture dont elles se fardent, elles seraient inconsolables.

Une femme coquette ne se rend point sur la passion de plaire, et sur l'opinion qu'elle a de sa beauté. Elle regarde le temps et les années comme quelque chose seulement qui ride et qui enlaidit les autres femmes : elle oublie du moins que l'âge est écrit sur le visage. La même parure qui a autrefois embelli sa jeunesse, défigure enfin sa personne, éclaire les défauts de sa vieillesse. La mignardise et l'affectaiton l'accompagnent dans la douleur et dans la fièvre: elle meurt parée et en rubans de couleur.

Lise (1) entend dire d'une autre coquette qu'elle se moque de se piquer de jeunesse et de vouloir user d'ajustemens qui ne conviennent plus à une femme de quarante ans. Lise les a accomplis, mais les années pour elle ont moins de douze mois et ne la vieillissent point. Elle le croit ainsi : et pendant qu'elle se regarde au miroir, qu'elle met du rouge sur son visage et qu'elle place des mouches, elle convient qu'il n'est pas permis à un certain âge de faire la jeune, et que Clarice en effet avec ses mouches et son rouge est ridicule.

Les femmes se préparent pour leurs amans, si elles les attendent; mais si elles en sont surprises, elles oublient à leur arrivée l'état où elles se trouvent, elles ne se voient plus. Elles ont plus de loisir avec les indifférens; elles sentent le désordre où elles sont, et s'ajustent en leur présence, ou disparaissent un moment, et reviennent parées.

Un beau visage est le plus beau de tous les spectacles; et l'harmonie la plus douce est le son de la voix de celle que

l'on aime.

L'agrément est arbitraire: la beauté est quelque chose de plus réel et de plus indépendant du goût et de l'opinion.

L'on peut être touché de certaines beautés si parfaites et d'un mérite si éclatant, que l'on se borne à les voir et à leur parler. Une belle femme qui a les qualités d'un honnête homme, est ce qu'il y a au monde d'un commerce plus délicieux : l'on trouve en elle tout le mérite des deux sexes.

Il échappe à une jeune personne de petites choses qui persuadent beaucoup, et qui flattent sensiblemeut celui pour qui elles sont faites: il n'échappe presque rien aux hommes, leurs

caresses sont volontaires ; ils parlent, ils agissent, ils sont empressés, et persuadent moins.

Le caprice est dans les femmes tout proche de la beauté pour être son contre-poison, et afin qu'elle nuise moins aux hommes, qui n'en guériraient pas sans ce remède.

Les femmes s'attachent aux hommes par les faveurs qu'elles leur accordent les hommes guérissent par ces mêmes faveurs. Une femme oublie d'un homme qu'elle n'aime plus, jusques aux faveurs qu'il a reçues d'elle.

Une femme qui n'a qu'un galant croit n'être point coquette : celle qui a plusieurs galans croit n'être que coquette.

Telle femme évite d'être coquette par un ferme attachement à un seul, qui passe pour folle par son mauvais choix.

Un ancien galant tient à si peu de chose qu'il cède à un nouveau mari; et celui-ci dure si peu, qu'un nouveau galant qui survient lui rend le change.

Un ancien galant craint ou méprise un nouveau rival, selon le caractère de la personne qu'il sert.

Il ne manque souvent à un ancien galant auprès d'une femine qui l'attache, que le nom de mari : c'est beaucoup; et il serait mille fois perdu sans cette circonstance.

Il semble que la galanterie dans une femme ajoute à la coquetterie. Un homme coquet au contraire est quelque chose de pire qu'un homme galant. L'homme coquet et la femme galante vont assez de pair.

Il y a peu de galanteries secrètes : bien des femmes ne sont pas mieux désignées par le nom de leurs maris que par celui de leurs

amans.

Une femme galante veut qu'on l'aime : il suffit à une coquette d'être trouvée aimable et de passer pour belle. Celle-là cherche à engager; celle-ci se contente de plaire. La première passe successivement d'un engagement à un autre ; la seconde à plusieurs amusemens tout à la fois. Ce qui domine dans l'une, c'est la passion et le plaisir; et dans l'autre, c'est la vanité et la légèreté. La galanterie est un faible du cœur ou peut-être un vice de la complexion: la coquetterie est un déréglement de l'esprit. La femme galante se fait craindre, et la coquette se fait haïr. L'on peut tirer de ces deux caractères de quoi en faire un troisieme, le pire de tous.

Une femme faible est celle à qui l'on reproche une faute; qui se la reproche à elle-même ; dont le cœur combat la raison; qui veut guérir, qui ne guérira point, ou bien tard.

Une femme inconstante est celle qui n'aime plus : une légère celle qui déjà en aime un autre une volage celle qui ne sait si

La Bruyère.

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elle aime et ce qu'elle aime une indifférente celle qui n'aime rien.

La perfidie, si je l'ose dire, est un mensonge de toute la personne : c'est dans une femme l'art de placer un mot ou une action qui donne le change, et quelquefois de mettre en œuvre des sermens et des promesses qui ne lui coûtent pas plus à faire qu'à violer.

Une femme infidèle, si elle est connue pour telle de la personne intéressée, n'est qu'infidèle: s'il la croit fidèle, elle est perfide.

On tire ce bien de la perfidie des femmes, qu'elle guérit de la jalousie.

Quelques femmes ont, dans le cours de leur vie, un double engagement à soutenir, également difficile à rompre et à dissimuler: il ne manque à l'un que le contrat, et à l'autre que le

cœur.

A juger de cette femme (2) par sa beauté, sa jeunesse, sa fierté, et ses dédains, il n'y a personne qui doute que ce ne soit un héros qui doive un jour la charmer: son choix est fait; c'est un petit monstre qui manque d'esprit.

Il y a des femmes déjà flétries, qui, par leur complexion ou par leur mauvais caractère, sont naturellement la ressource des jeunes gens qui n'ont pas assez de bien. Je ne sais qui est plus à plaindre, ou d'une femme avancée en âge, qui a besoin d'un cavalier, ou d'un cavalier qui a besoin d'une vieille.

Le rebut de la cour (3) est reçu à la ville dans une ruelle, où il défait le magistrat même en cravatte et en habit gris, ainsi que le bourgeois en baudrier, les écarte, et devient maître de la place : il est écouté, il est aimé : on ne tient guère plus d'un moment contre une écharpe d'or et une plume blanche, contre homme qui parle au roi et voit les ministres. Il fait des jaloux et des jalouses; on l'admire, il fait envie ; à quatre lieues de là, il fait pitié.

un

Un homme de la ville est pour une femme de province ce qu'est pour une femme de ville un homme de la cour.

A un homme vain, indiscret, qui est grand parleur et mauvais plaisant ; qui parle de soi avec confiance, et des autres avec mépris; impétueux, altier, entreprenant; sans mœurs ni probité; de nul jugement et d'une imagination très-libre; il ne lui manque plus, pour être adoré de bien des femmes, que de beaux traits et la taille belle.

Est-ce en vue du secret (4), ou par un goût hypocondre que cette femme aime un valet, cette autre un moine, et Dorine (5), son médecin?

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