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SOSIE.

Que d'un peu de pitié ton ame s'humanise;
En cette qualité souffre-moi près de toi :
Je te serai partout une ombre si soumise,
Que tu seras content de moi.

MERCURE.

Point de quartier; immuable est la loi.
Si d'entrer là-dedans tu prends encor l'audace,
Mille coups en seront le fruit.

SOSIE.

Las! à quelle étrange disgrace,
Pauvre Sosie, es-tu réduit!

MERCURE.

Quoi! ta bouche se licencie

A te donner encore un nom que je défends!

SOSIE.

Non, ce n'est pas moi que j'entends;
Et je parle d'un vieux Sosie

Qui fut jadis de mes parents,
Qu'avec très grande barbarie,

A l'heure du dîner, l'on chassa de céans.

MERCURE.

Prends garde de tomber dans cette frénésie,
Si tu veux demeurer au nombre des vivants.

SOSIE, à part.
Que je te rosserois si j'avois du courage,
Double fils de putain, de trop d'orgueil enflé!

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MERCURE.

Certain mot de fils de putain
A pourtant frappé mon oreille,
Il n'est rien de plus certain.

SOSIE.

C'est donc un perroquet que le beau temps réveille'.

MERCURE.

Adieu. Lorsque le dos pourra te démanger,
Voilà l'endroit où je demeure.

SOSIE, seul.

O ciel! que l'heure de manger,

Pour être mis dehors, est une maudite heure!
Allons, cédons au sort dans notre affliction,
Suivons-en aujourd'hui l'aveugle fantaisie;
Et, par une juste union,

Joignons le malheureux Sosie

Au malheureux Amphitryon.
Je l'aperçois venir en bonne compagnie 2.

SCÈNE VIII.

AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, PAUSICLÈS;
SOSIE, dans un coin du théâtre, sans étre aperçu.

AMPHITRYON, à plusieurs autres officiers qui l'accompagnent. Arrêtez là, messieurs; suivez-nous d'un peu loin,

Et n'avancez tous, je vous prie,

Que quand il en sera besoin.

Les Grecs, au temps de la naissance d'Hercule, ne connoissoient point encore les perroquets. Les premiers qui parurent en Grèce furent apportés de l'ile Taprobane, par un commandant de la flotte d'Alexandre. On pense bien que cette remarque n'a pas pour objet de reprocher un anachronisme à Molière : celui-ci est un des moins graves qu'il fût possible de commettre. (A.)

2 Cette scène charmante n'est point dans Plaute. Rotrou en a fourni l'idée à Molière. Dans le poëte latin, Brumia fait le récit de l'accouchement d'Alemène, et ce récit n'est ni comique ni plaisant. (L B.)

PAUSICLES.

Je comprends que ce coup doit fort toucher votre ame.

AMPHITRYON.

Ah! de tous les côtés mortelle est ma douleur,

Et je souffre pour ma flamme

Autant que pour mon honneur.
PAUSICLES.

Si cette ressemblance est telle que l'on dit,
Alcmène, sans être coupable....

AMPHITRYON.

Ah! sur le fait dont il s'agit

L'erreur simple devient un crime véritable,
Et sans consentement l'innocence y périt'.
De semblables erreurs, quelque jour qu'on leur donne,
Touchent les endroits délicats;

Et la raison bien souvent les pardonne,
Que l'honneur et l'amour ne les pardonnent pas.

ARGATIPHONTIDAS.

Je n'embarrasse point là-dedans ma pensée :
Mais je hais vos messieurs de leurs honteux délais;
Et c'est un procédé dont j'ai l'ame blessée,
Et que les gens de cœur n'approuveront jamais.
Quand quelqu'un nous emploie, on doit, tête baissée,
Se jeter dans ses intérêts.

Argatiphontidas ne va point aux accords.
Écouter d'un ami raisonner l'adversaire,

Pour des hommes d'honneur n'est point un coup à faire ;
Il ne faut écouter que la vengeance alors.

Le procès ne me sauroit plaire,

Et l'on doit commencer toujours, dans ses transports,

Par bailler, sans autre mystère,

De l'épée au travers du corps.

Elle a failli pourtant d'une ou d'autre façon.
S'agissant de l'honneur, l'erreur même est un crime;
Rien ne peut que la mort rétablir son estime.

(ROTROL.)

Oui, vous verrez, quoi qu'il avienne,
Qu'Argatiphontidas marche droit sur ce point;
Et de vous il faut que j'obtienne
Que le pendard ne meure point

D'une autre main que de la mienne.

Allons.

AMPHITRYON.

SOSIE, à Amphitryon.

Je viens, monsieur, subir à deux genoux
Le juste châtiment d'une audace maudite.
Frappez, battez, chargez, accablez-moi de coups,
Tuez-moi dans votre courroux,

Vous ferez bien, je le mérite;

Et je n'en dirai pas un seul mot contre vous.

AMPHITRYON.

Lève-toi. Que fait-on?

SOSIE.

L'on m'a chassé tout net;

Et, croyant à manger m'aller comme eux ébattre,

Je ne songeois pas qu'en effet

Je m'attendois là pour me battre.

a fait
Oui, l'autre moi, valet de l'autre vous,
Tout de nouveau le diable à quatre.
La rigueur d'un pareil destin,
Monsieur, aujourd'hui nous talonne ;
Et l'on me des-Sosie enfin

Comme on vous des-Amphitryonne'.

Suis-moi.

AMPHITRYON.

Plaute est plein de jeux de mots de ce genre, mais qui ne sont pas toujours aussi heureux que celui-ci. Il est probable cependant qu'un vers du Trinummus, où Plaute joue sur le nom de charmides, a donné à Molière l'idée de ce charmant badinage :

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SOSIE.

N'est-il pas mieux de voir s'il vient personne?

SCÈNE IX.

CLEANTHIS, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POLIDAS, NAUCRATÈS, PAUSICLÈS, SOSIE.

CLÉANTHIS.

O ciel!

AMPHITRYON.

Qui t'épouvante ainsi?

Quelle est la peur que je t'inspire?

CLÉANTHIS.

Las! vous êtes là-haut, et je vous vois ici !

NAUCRATES, à Amphitryon.

Ne vous pressez point; le voici

Pour donner devant tous les clartés qu'on desire,
Et qui, si l'on peut croire à ce qu'il vient de dire,
Sauront vous affranchir de trouble et de souci.

SCÈNE X.

MERCURE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POLIDAS, NAUCRATÈS, PAUSICLÈS, CLEANTHIS,

SOSIE.

MERCURE.

Oui, vous l'allez voir tous; et sachez par avance
Que c'est le grand maître des dieux

Que, sous les traits chéris de cette ressemblance,
Alcmène a fait du ciel descendre dans ces lieux.
Et quant à moi, je suis Mercure,

Qui, ne sachant que faire, ai rossé tant soit peu
Celui dont j'ai pris la figure :

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