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tômes éloignés; et il s'y préparaît, dès le donjon de Vincennes; c'est ainsi qu'il expiait ses premiers déréglemens. Nul ne se plaisait plus dans les intrigues des cabinets; mais il y mettait en mouvement les plus belles idées de l'ordre social. Nul ne se plaisait plus dans les troubles; parce qu'il y voyait la source de sa grandeur; mais il ne tendait qu'à la subordination des lois, parce que là, seulement, il concevait une belle gloire. Dans la révolution, tout moyen lui était bon; mais sans aller au-delà de son but. En Provence, il fit une sédition de deux mois; c'était pour arriver aux états-généraux; il attisa une émeute par le pain; et la finit par l'augmentation de la taxe. Il appelait à Versailles le faubourg Saint-Antoine, le 5 octobre; et, au milieu des piques, il proposait la loi martiale. Profondément attaché à la monarchie, dans le plan de la liberté même, il s'était emparé, au commencement, de tous les démagogues; mais pour les briser, au terme obtenu.

Ce qu'il rencontra de plus difficile, fut de surmonter sa mauvaise réputation, pour gagner de la confiance et de l'importance

dans les parties honorables de ce grand événement; où il n'était que juste à lui-même, lorsqu'il croyait que le premier rôle lui appartenait ; et il en vint à bout. A l'époque de sa mort, il dirigeait l'assemblée constituante, ralliait les Tuileries à la révolution; il s'était coalisé avec La Fayette, et menaçait les Jacobins, pour se les asservir. Pour prix de ses services, il demandait à la reine le ministère des relations extérieures; afin, lui écrivait-il, de lui épargner l'humiliation de subir, seule, entre les têtes couronnées, une révolution (*).

Si je le considère comme écrivain et homme de lettres, je trouve que là est sa moindre distinction; il n'avait pas de génie ; il puisait partout; s'appropriait ce qui n'était pas de lui; et il n'a laissé ni un véritable ouvrage, ni une belle production. Si je l'ap

(*) Je me souviens qu'ayant rencontré un soir Mirabeau au jardin des Tuileries, il me montra cette lettre; elle me parut pleine de grâce, d'esprit, même de convenance, attendu qu'il était alors en position de traiter avec une reine aimable et intéressante, et de lui offrir de nobles réparations. Je n'ai rien vu d'une originalité plus piquante. Là était le vrai talent de Mirabeau.

précie comme orateur, je dis, avec tous ses contemporains, qu'il a tout effacé à cette assemblée constituante, qui fit débuter la France dans cette carrière, comme la république romaine avait fini; et, en disputant cette palme à l'Angleterre, déjà vieille de plus d'un siècle, dans les discussions politiques. J'ajoute qu'il a tout effacé, parce qu'en lui l'orateur développa surtout un homme d'état ; et plus que cela, un homme fait pour conduire une révolution. Lui conservé, lui de plus dans le cours de la nôtre, il est permis de croire que, sans la terreur abjecte des Marat et des Roberspierre; sans la servitude conquérante d'un Bonaparte; sans les deux invasions de l'Europe; sans les essais d'une stupide contre-révolution, nous aurions pu être les témoins, les coopérateurs et les sujets fidèles et heureux d'une monarchie constitutionnelle, sortie de la régénération entière d'un vaste empire, usé de patience sous le poids de ses abus anciens et nouveaux. Et de quel autre pourrais-je dire une pareille chose?

PORTRAIT DE FRÉDÉRIC II,

ROI DE PRUSSE.

Ce Portrait a été écrit deux ans avant la mort de Frédéric, refait en 1816.

AILLEURS les rois n'appellent souvent autour d'eux, que par tout ce qui n'est pas eux. A Berlin, c'est le roi surtout, qu'on vient chercher.

En voyant ces états formés des démembremens des autres états: ces armées, dont les mouvemens ont la précision du calcul; souples à toutes les combinaisons de l'esprit qui les meut; savantes à retrouver un ordre accompli, dans un désordre imprévu; et qui, se rassemblant de tous les points de cette longue ligne sans profondeur, ne paraissent que les divisions d'un même camp, qui se rapprochent et se resserrent : ces géné raux, dignes d'une grande renommée, si la leur n'était éclipsée par celle de leur mai

II.

tre; et disciplinés dans le commandement, comme le soldat dans l'obéissance : en l'observant surtout lui-même, au milieu de cet imposant cortége: ce vêtement de sa vieille infanterie qu'il a pris, en tirant l'épée, et dans lequel il mourra; ces cheveux blancs, qui n'attestent qu'nne longue expérience, ajoutée à une si grande force d'âme; cette physionomie, d'où tout s'échappe et où tout se contient; cette tête, qui a porté tant de profonds desseins, bravé tant de hasards, créé tant de ressources; et maintenant illustrée par le souvenir, déjà ancien, des plus célèbres batailles; surtout de ces victoires miraculeuses qui, deux fois, relevèrent sa fortune abattue, lorsqu'il luttait encore, avec les débris d'une dernière armée, contre les armées renouvelées, de l'Autriche, de la France, de la Russie: en rassemblant tous ces signes d'une grandeur, depuis long-temps inconnue, on croit retrouver un de ces anciens conquérans, devant qui la face du monde changeait; et l'on craint que tout ce qui pourrait encore tenter son ambition, ne soit dévolu à sa puissance et à son génie.

Cependant il repose, depuis vingt ans, ce

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