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ô étrange et horrible parole, à être lui-même un ingrat. Si l'auteur, même après y avoir réfléchi, ne nous comprenait pas, nous jugerions avec douleur, mais sans hésiter, que la simplicité profonde de l'Évangile, et par conséquent une partie de sa vérité lui échappe. Un Évangile qui adore la Vierge, qui la fait entrer en part de la puissance médiatrice et de la divinité du Messie, est un autre Évangile que celui de Jésus-Christ. A l'égard du reste du sexe féminin, assez maltraité dans la Philosophie de l'Histoire, les vers de M. Guiraud ont expié sa prose; il ne se contente pas même de donner le plus beau rôle à une femme; il élève si haut la compagne de l'homme, il lui rend, dans l'Épilogue de son poëme, une si complète justice, que, si l'un des deux sexes avait désormais à se plaindre, probablement ce serait le nôtre, qui semble, dit le poëte, attacher son âme aux soins matériels, tandis que, d'un cœur fervent, la femme se voue aux soins moraux. Cela n'est vrai que trop souvent.

Nous n'osons presque plus, maintenant, descendre à la littérature, et surtout à de minces détails de critique. Cependant nous ne pouvons guère nous dispenser de dire que la diction de ce poëme, ordinairement belle et pure, pourra de loin en loin offenser une oreille délicate et un goût exercé par les modèles. Il serait facile d'ailleurs de faire disparaître ces taches, et nous croyons bien qu'une seconde édition ne nous offrira plus de vers comme celui-ci (que l'auteur semble affectionner, car il le répète):

Ce point-là cependant n'est pas bien éclairci (4),

ou comme cet autre, qu'il n'aurait sûrement pas osé répéter:

Des salons-pompadour écho terne et poussif (2). Mais qu'il nous suffise d'avoir touché du doigt. Il y a peu de ces traits; il y a, en revanche, beaucoup de détails charmants. Parmi tant de poëtes qui décrivent la nature, et qui paraissent même la sentir, M. Guiraud a sa place à part. La nature, si j'ose ainsi parler, est à lui plus qu'à aucun d'eux. Il l'a davantage pratiquée et plus familièrement. Certains traits le disent très vivement. Tous les poëtes qui savent peindre la nature et les champs eussent-ils trouvé un mot comme celui-ci:

Saint-Sernin de Toulouse, oh! quand donc salûrai-je,

En passant, ton rougeâtre et gothique clocher ?
Et de ce long chemin que nul détour n’abrège,
Verrai-je la fin s'approcher (3)?

Il y a dans le poëme de M. Guiraud beaucoup de ces détours qui abrègent.

(1) Pages 219 et 307.

(2) Page 377.

(3) Le Coffret.

VIII.

ÉMILE SOUVESTRE.

RICHE ET PAUVRE.

2 volumes in-8°.-1836.

On sait que plusieurs hommes distingués de notre époque ont passé à travers le saint-simonisme, bien moins remarquable comme secte et comme essai de culte, que comme réaction des lacunes morales de l'époque dans quelques âmes sérieuses et dans quelques esprits enthousiastes. Le saint-simonisme, dégagé de son appareil théocratique, a laissé à découvert l'humanitarisme; un de ces mots, une de ces choses qui viennent les unes après les autres se faire tuer à la brèche, contentes de remplir, chacune pour un moment, la place qui appartient au christianisme. C'est, il faut l'avouer, à la condition tacite de lui ressembler toujours davantage, de le simuler toujours mieux: mais cette intention est le seul et vrai mérite de ces doctrines, qu'un abîme, d'ailleurs, sépare à jamais de l'Évangile. L'humanitarisme est de la philanthropie en masse et de l'espérance en grand; c'est le culte de l'humanité, le dévouement à son avenir, et, pro

chainement, la poursuite d'une meilleure distribution des avantages sociaux. Il y a, du reste, deux humanitarismes, l'un de tête et l'autre de cœur; nous avons dit notre avis sur le premier : assurons le second de notre sympathie. Il se trompe, nous en avons la conviction; mais il n'y aurait pas de plus belle erreur, si l'erreur pouvait être belle.

Le premier soin de ces hommes qui demandent la régénération de l'humanité au génie même de l'humanité, a dû être de lui parler de ses maux, de lui découvrir ses misères. Ils l'ont fait avec une indignation qui ressemblait trop à la colère, parce qu'elle avait pour principe l'étonnement, un étonnement inépuisable. Le chrétien, n'étant pas étonné, ne peut s'indigner ainsi; et par un contraste fort naturel, ce mal, dont tous les détails lui paraissent si nécessaires, si logiques, se montre à lui si odieux dans son principe, que ses applications les plus obscures l'attristent à l'égal des plus écla tantes, et qu'il n'en peut parler qu'avec sérieux, avec une sorte de pudeur, avec effroi. Ce que monde appelle faute ou crime, il l'appelle péché; il y voit avant tout la loi divine violée, l'amour divin outragé. Il n'en saurait faire un objet d'art et une matière de tableaux; il ne peut se complaire à relever des détails qui, après tout, sont assez indifférents pour qui s'attache au principe de toute cette misère; il ne descendra pas, sans y être contraint, dans toutes les sentines de la méchanceté humaine; surtout il n'accusera, en premier chef, ni les insti

le

tutions, ni les classes, d'un mal dont toute la société est coupable; il accusera l'humanité dont il est lui-même un exemplaire complet, un vivant résumé; il cherchera dans son propre cœur l'origine et la clef de tout le mal dont il n'est pas personnellement coupable; ce mal universel, il le sentira tout entier retomber sur sa conscience; il aura du remords des crimes de tous, car Jésus-Christ lui a appris à revêtir la conscience de tous; et enfin, tout ce qu'il dira de la perversité humaine se tournera dans chacun de ses discours en une vive instance, en un rappel véhément et tendre vers le Dieu qui pardonne en sanctifiant, et sanctifie en pardonnant.

M. Souvestre, l'un de ces esprits d'élite qui se sont aimantés au contact du saint-simonisme, est bien loin de se faire un objet d'art, c'est-à-dire un jeu, des souffrances de l'humanité; mais il ne s'est pas toujours défendu de cette amertume que le christianisme transforme en une tristesse calme et sérieuse. L'indignation déborde dans son Échelle de Femmes, ouvrage plein d'imagination et d'esprit, et, ce qui vaut mieux encore, d'une compassion généreuse, où l'on voit l'auteur chercher dans tous les rangs de la société la preuve qu'un sexe tout entier est la victime des iniquités de l'autre. Il est impossible d'être plus vrai dans le détail, plus poignant, plus douloureux; impossible de s'identifier plus complétement avec chaque souffrance, d'en mieux exprimer tout le fiel. On est positivement malheureux de cette lecture où le talent et l'esprit semblent

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