Page images
PDF
EPUB

je ne crois pas qu'il y ait eu de grand événement annoncé aussi clairement et de tant de côtés. Je pourrais accumuler une foule de citations: je les supprime, parce qu'elles sont assez connues et parce qu'elles allongeraient trop cette note.

Cicéron, examinant la question de savoir pourquoi nous sommes instruits dans nos songes de plusieurs événements futurs (ja mais l'antiquité n'a douté de ce fait ), en rapporte trois raisons d'après le philosophe grec Posidonius: 1° L'esprit humain prévoit plusieurs choses sans aucun secours extérieur, en vertu de sa parenté avec la nature divine; 2o l'air est plein d'esprits immortels qui connaissent ces choses et les font connaître; 3o les dieux enfin les révèlent immédiatement (1). En faisant abstraction de la troisième explication, qui rentre pour nous dans la seconde, on retrouve ici la pure doctrine de Pythagore et de saint Paul.

V.

(Page 276... Et par delà l'éternité.

In æternum et ultrà

(Exode, XV, 18. Michée, IV, 5.)

Au delà des temps et des âges;

Au delà de l'éternité.

(RACINE, Esther, dern. vers.)

Un habile critique français n'aime pas trop cette expression : « On ne conçoit pas, dit-il, qu'il y ait quelque chose au delà de l'éternité. « Cette expression ne serait point à l'abri de la critique, si elle n'était « pas autorisée par l'Ecriture: Dominus regnabit in æternum et ultrà.» (Geoffroi, sur le texte de Racine qu'on vient de lire. )

[ocr errors]

Mais Bourdaloue est d'un autre avis : « Par delà l'éternité, dit-il, expression divine et mystérieuse. » (Troisième sermon sur la purification de la Vierge, troisième partie.) Et la bonne madame Guyon a dit aussi : Dans les siècles des siècles et au dela. (Disc. chrét. XLVI, n° 1.)

(1) Cic., de Div. I.

VI.

(Page 279. S'il y a quelque chose d'évident pour l'esprit humain non préoccupé, c'est que les mouvements de l'univers ne peuvent s'expliquer par des lois mécaniques.)

A ces idées, je me permettrai d'en ajouter ici quelques-unes que je donne seulement comme de simples doutes; car il n'est permis de se montrer dogmatique que lorsqu'on a le droit de ne pas douter: : or, ce droit ne nous appartient que dans les choses qui ont fait l'objet principal de nos études. N'étant donc point mathématicien, j'exprimerai avec réserve et sans prétention des doutes qui ne sont pas toujours à mépriser, puisqu'il n'y a pas de science qui ne doive rendre compte à la métaphysique et répondre à ses questions.

Le mot d'attraction est évidemment faux pour exprimer le système du monde. Il eût fallu en trouver un qui exprimât la combinaison des deux forces: car j'ai autant et même plus de droit d'appeler un Newtonien tangentiaire qu'attractionaire. Si l'attraction seule existait, toute la matière de l'univers ne serait qu'une masse inerte et immobile. La force tangentielle, qu'on emploie pour expliquer les mouve. ments cosmiques, n'est qu'un mot mis à la place d'une chose. Cette question n'étant point une de celles qu'il est impossible de pénétrer, la réserve à cet égard serait un tort. Ce n'est pas que, dans une foule de livres, on ne nous dise: Qu'il est superflu de se livrer à ces sortes de recherches; que les premières causes sont inabordables; qu'il suffit à notre faible intelligence d'interroger l'expérience et de connaître les faits, etc. Mais il ne faut pas être la dupe de cette prétendue modestie. Toutes les fois qu'un savant du dernier siècle prend le ton humble et semble craindre de décider, on peut être sûr qu'il voit une vérité qu'il voudrait cacher. Il ne s'agit nullement ici d'un mystère qui nous impose le silence; nous avons au contraire toutes les connaissances qu'exige la solution du problème. Nous avouons que tout mouvement est un effet: et nous savons de plus que l'origine du mouvement ne saurait se trouver que dans l'esprit ; ou, comme disaient les anciens si souvent cités dans cet ouvrage : Que le principe de tout mobile ne doit être cherche que dans l'immobile. Ceux qui ont dit que le mouvement est essen tiel à la matière ont d'abord commis un grand crime, celui de parler

contre leur conscience; car je ne crois pas qu'il y ait d'homme sensé qui ne soit persuadé du contraire; ce qui les rend absolument inexcusables : et de plus on peut les souçonner légitimement de ne pas savoir ce qu'ils affirment. En effet, celui qui affirme d'une manière abstraite que le mouvement est essentiel à la matière n'affirme rien du tout; car il n'y a point de mouvement abstrait et réel : tout mouvement est un mouvement particulier qui produit son effet. Il ne s'agit donc point de savoir si le mouvement est essentiel à la matière ; mais si le mouvement, ou la suite ou l'ensemble des mouvements qui doivent produire, , par exemple un minéral, une plante, un animal, etc., sont essentiels à la matière; si l'idée de la matière emporte nécessairement celle d'une émeraude, d'un rossignol, d'un rosier, et même de cette émeraude, de ce rosier, de ce rossignol individuel, etc. : ce qui devient l'excès du ridicule. Il n'y a point dans la nature de mouvement aveugle ou de turbulence; tout mouvement a un but et un résultat de destruction ou d'organisation, en sorte qu'on ne peut soutenir le mouvement essentiel sans affirmer en même temps les résultats essentiels ; or, le mouvement se trouvant ainsi évidemment et nécessairement joint à l'intention, il s'ensuit qu'en supposant le mouvement essentiel de la matière, on admet l'intention essentielle et nécessaire ; c'est-à-dire qu'on ramène l'esprit par l'argument même qui voudrait s'en débarrasser.

Lorsque le système newtonien parut dans l'univers, il plut au siècle, bien moins par sa vérité, qui était encore discutée, que par l'appui qu'il semblait donner aux opinions qui allaient distinguer à jamais ce siècle fatal. Cotes, dans la fameuse préface qu'il mit à la tête du livre des Principes, se hâta d'avancer que l'attration était essentiel à la matière; mais l'auteur du système fut le premier à désavouer son illustre élève. Il déclara publiquement qu'il n'avait jamais entendu soutenir cette proposition, et même il ajouta qu'il n'avait jamais vu la préface de Cotes (1)

Dans la préface même de son fameux livre, Newton déclare solen

(1) La chose paraît incroyable, et cependant rien n'est plus vrai, à moins qu'on ne suppose, ce qui n'est pas permis, que Newton en a imposé; car dans ses lettres théologiques au docteur Bentley, il dit expressément, en parlant de la préface de Cotes qu'il ne l'a jamais lue ni même vue. (Newton, non vidit.) » C'est de ce Cotes, emporté à la fleur de son âge, que Newton fit cette superbe oraison funèbre : --- Si Cotes avait vécu, nous aurions su quelque chose.

[ocr errors]

nellement et à diverses reprises que son système ne touche point à la physique; qu'il n'entend attribuer aucune force aux centres; en un mot, qu'il n'entend point sortir du cercle des mathématiques (quoiqu'il semble assez difficile de comprendre cette sorte d'abstraction).

Les Newtoniens, ne cessant de parler de physique celeste, semblent se mettre ainsi en opposition directe avec leur maître, qui a toujours exclu de son système toute idée physique, ce qui m'a paru toujours très remarquable.

De là encore cette autre contradiction frappante parmi les Newtoniens; car ils ne cessent de dire qué l'attraction n'est pas un système, mais un fait; et cependant quand ils en viennent à la pratique, c'est bien un système qu'ils défendent. Ils parlent des deux forces comme de quelque chose de réel, et véritablement, si l'attraction n'était pas un systéme, elle ne serait rien, puisque tout se réduirait au fait ou à l'observation.

Dernièrement encore (1819) l'Académie royale de Paris a démandé: Si l'on pouvait fournir, par la théorie seule, des tables de la lune aussi parfaites que celles qui ont été construites par l'observation.

Il y a donc encore un doute sur ce point, et le simple bon sens étranger aux profonds calculs serait tenté de croire que l'attraction n'est que l'observation représentée par des formules; ce que je n'affirme point cependant, car je n'entends point sortir de ce ton de réserve auquel j'ai protesté de m'astreindre rigoureusement.

Il y a cependant des choses certaines indépendamment de tout calcul : il est certain, par exemple, que les Newtoniens ne doivent point être écoutés lorsqu'ils disent : Qu'ils ne sont point obligés de nommer la force qui agite les astres, et que cette force est un fait. Je le répète, gardons-nous de la philosophie moderne toute les fois qu'elle s'incline respectueusement et qu'elle dit: Je n'ose pas avancer : c'est une marque certaine qu'elle voit devant elle une vérité qu'elle craint. Le mouvement des astres n'est pas plus mystérieux qu'un autre : tout mouvement naissant d'un mouvement antécédent jusqu'à ce qu'on arrive à une volonté, l'astre ne peut être mû que par une impulsion mécanique, s'il est au rang des mouvements secondaires, ou par une volonté, s'il est considéré comme mouvement primitif. Les Newtoniens sont donc obligés de nous dire quel est le moteur matériel qu'ils ont chargé de con

duire les astres dans le vide; et en effet ils ont appelé à leur secours je ne sais quel ether ou fluide merveilleux, pour maintenir l'honneur du mécanisme, et l'on peut voir dans ce genre l'excès de la déraison humaine dans les ouvrages de Lesage, de Genève. De pareils systèmes ne sont pas même dignes d'une réfutation. Cependant ils sont précieux sous un certain rapport, en ce qu'ils montrent le désespoir de ces sortes de philosophes qui sauraient bien appuyer leurs opinions de quelque supposition un peu tolérable, si elle existait.

Nous voici donc nécessairement portés à la cause immatérielle, et il ne s'agit plus que de savoir si nous devons admettre une cause seconde ou remonter immédiatement à la première; mais dans l'un et l'autre cas, que deviennent les forces et leur combinaison, et tout le système mécanique? les astres tournent parce qu'une intelligence les fait tourner. Si l'on veut représenter tous les mouvements par des nombres, on y parviendra parfaitement, je le suppose; mais rien n'est plus indifférent à l'existence du principe nécessaire.

Si je tourne en rond dans une plaine, et que des observateurs lointains disent que je suis agité par deux forces, etc., ils sont bien les maîtres, et leurs calculs seront incontestables. Le fait est cependant que je tourne parce que je veux tourner.

Il faut encore se rappeler ici ce qu'a dit Newton (1) sur l'indispensable distinction des possibilités physiques ou simplement théoriques et métaphysiques.

Peut-on, disait-il, imaginer dix mille aiguilles debout sur une glace polie? Sans doute, il ne s'agit que de la simple théorie. Il suffit de les supposer toutes parfaitement d'aplomb; pourquoi tomberaient-elles d'un côté plus que d'un autre ? Mais si nous entrons dans le cercle physique, on ne sait plus imaginer rien d'aussi impossible.

Il en est absolument de même du système du monde : cette machine immense peut-elle être réglée par des forces aveugles? Sans doute encore, sur le papier, avec des formules algébriques et des figures; mais dans la réalité, nullement. Nous sommes ramenés aux aiguilles. Sans une intelligence opérante ou coopérante, l'ordre n'est plus possible. En un mot, le système physique est physiquement impossible.

() Voyez encore ces Lettres théologiques au docteur Bentley.

« PreviousContinue »