Page images
PDF
EPUB

font un récit long et ennuyeux d'une fête ou d'un repas qu'ils ont donné ; ils disent l'argent qu'ils ont perdu au jeu, et ils plaignent fort haut celui qu'ils n'ont pas songé à perdre. Ils parlent jargon et mystère sur de certaines femmes; ils ont réciproquement cent choses plaisantes à se conter; ils ont fait depuis peu des découvertes; ils se passent les uns aux autres qu'ils sont gens à belles aventures. L'un d'eux, qui s'est couché tard à la campagne, et qui voudroit dormir, se lève matin, chausse des guêtres, endosse un habit de toile, passe un cordon où pend le fourniment, renoueses cheveux, prend un fusil; le voilà chasseur, s'il tiroit bien : il revient de nuit, mouillé et recru, sans avoir tué; il retourne à la chasse le lendemain, et il passe tout le jour à manquer des grives ou des perdrix.

moine : du moins, s'il étoit connu dans toute la ville et dans ses faubourgs, il seroit difficile qu'entre un si grand nombre de citoyens qui ne savent pas tous juger sainement de toutes choses, il ne s'en trouvât quelqu'un qui diroit de lui, Il est magnifique, et qui lui tiendroit compte des régals qu'il fait à Xante et à Ariston, et des fêtes qu'il donne à Elamire; mais il se ruine obscurément. Ce n'est qu'en faveur de deux ou trois personnes qui ne l'estiment point, qu'il court à l'indigence, et qu'aujourd'hui en carrosse, il n'aura pas dans six mois le moyen d'aller à pied.

Narcisse se lève le matin pour se coucher le soir; il a ses heures de toilette comme une femme; il va tous les jours fort régulièrement à la belle messe aux Feuillants ou aux Minimes : il est homme d'un bon commerce, et l'on compte sur lui au quartier de ** pour un tiers ou pour un cinquième à l'hombre ou au reversi; là il tient le fauteuil quatre heures de suite chez Aricie, où

tement la Gazette de Hollande et le Mercure galant : il a lu Bergerac1, Desmarets, Lesclache, les historiettes de Barbin, et quelques recueils de poésies. Il se promène avec des femmes à la Plaine ou au Cours, et il est d'une ponctualité religieuse sur les visites. Il fera demain ce qu'il fait aujourd'hui et ce qu'il fit hier; et il meurt ainsi après avoir vécu.

Un autre, avec quelques mauvais chiens, auroit envie de dire, Ma meute : il sait un rendez- | vous de chasse, il s'y trouve, il est au laissercourre, il entre dans le fort, se mêle avec les piqueurs ; il a un cor. Il ne dit pas, comme Mé-il risque chaque soir cinq pistoles d'or. Il lit exacnalippe Ai-je du plaisir? il croit en avoir; il oublie lois et procédure: c'est un Hippolyte. Ménandre, qui le vit hier sur un procès qui est en ses mains, ne reconnoîtroit pas aujourd'hui son rapporteur. Le voyez-vous le lendemain à sa chambre, où l'on va juger une cause grave et capitale; il se fait entourer de ses confrères, il leur raconte comme il n'a point perdu le cerf de meute, comme il s'est étouffé de crier après les chiens qui étoient en défaut, ou après ceux des chasseurs qui prenoient le change, qu'il a vu donner les six chiens l'heure presse: il achève de leur parler des abois et de la curée, et il court s'asseoir avec les autres pour juger. Quel est l'égarement de certains particuliers qui, riches du négoce de leurs pères, dont ils viennent de recueillir la succession, se moulent sur les princes pour leur garde-robe et pour leur équipage, excitent, par une dépense excessive et par un faste ridicule, les traits et la raillerie de toute une ville qu'ils croient éblouir, et se ruinent ainsi à se faire moquer de soi!

Quelques uns n'ont pas même le triste avantage de répandre leurs folies plus loin que le quartier où ils habitent ; c'est le seul théâtre de leur vanité. L'on ne sait point dans l'lle qu'André brille au Marais, et qu'il y dissipe son patri

Voilà un homme, dites-vous, que j'ai vu quelque part: de savoir où, il est difficile; mais son visage m'est familier. Il l'est à bien d'autres; et je vais, s'il se peut, aider votre mémoire : est-ce au boulevard sur un strapontin, ou aux Tuileries dans la grande allée, ou dans le balcon à la comédie? est-ce au sermon, au bal, à Rambouillet? où pourriez-vous ne l'avoir point vu? où n'est-il point? s'il y a dans la place une fameuse exécution ou un feu de joie, il paroît à une fenêtre de l'hôtel-de-ville; si l'on attend une magnifique entrée, il a sa place sur un échafaud; s'il se fait un carrousel, le voilà entré et placé sur l'amphithéâtre; si le roi reçoit des ambassadeurs, il voit leur marche, il assiste à leur audience, il est en haie quand ils reviennent de leur audience. Sa présence est aussi essentielle

[blocks in formation]

aux serments des ligues suisses que celle du chan- | mettre en déroute! quels bons partis ne fera-t-il celier et des ligues mêmes. C'est son visage que pas manquer! pourra-t-il suffire à tant d'héril'on voit aux almanachs représenter le peuple tières qui le recherchent? Ce n'est pas seuleou l'assistance. Il y a une chasse publique, une ment la terreur des maris, c'est l'épouvantail Saint-Hubert, le voilà à cheval : on parle d'un de tous ceux qui ont envie de l'être, et qui atcamp et d'une revue, il est à Houilles, il est à tendent d'un mariage à remplir le vide de leur Achères; il aime les troupes, la milice, la guerre; consignation. On devroit proscrire de tels peril la voit de près, et jusqu'au fort de Bernardi. sonnages si heureux, si pécunieux, d'une ville CHANLEY sait les marches, JACQUIER les vivres, bien policée; ou condamner le sexe, sous peine DU METZ l'artillerie : celui-ci voit, il a vieilli sous de folie ou d'indignité, à ne les traiter pas mieux le harnois en voyant, il est spectateur de pro- que s'ils n'avoient que du mérite. fession, il ne fait rien de ce qu'un homme doit faire, il ne sait rien de ce qu'il doit savoir; mais il a vu, dit-il, tout ce qu'on peut voir, et il n'aura point regret de mourir : quelle perte alors pour toute la ville, Qui dira après lui, Le cours est fermé, on ne s'y promène point; le bourbier de Vincennes est desséché et relevé, on n'y versera plus? qui annoncera un concert, un beau salut, un prestige de la foire? qui vous avertira que Beaumavielle mourut hier, que Rochois est enrhumée, et ne chantera de huit jours? qui connoitra comme lui un bourgeois à ses armes et à ses livrées? qui dira, Scapin porte des fleurs-de-lis; et qui en sera plus édifié? qui prononcera avec plus de vanité et d'emphase le nom d'une simple bourgeoise? qui sera mieux fourni de vaudevilles? qui prêtera aux femmes les Annales ga-goût et de complaisance pour quiconque est delantes et le Journal amoureux? qui saura comme dans, sans le connoître : mais si elle a vu de sa lui chanter àtable tout un dialogue de l'Opéra, fenêtre un bel attelage, beaucoup de livrées, et et les fureurs de Roland dans une ruelle? enfin, que plusieurs rangs de clous parfaitement dorés puisqu'il y a à la ville comme ailleurs de fort sot-l'aient éblouie, quelle impatience n'a-t-elle pas tes gens, des gens fades, oisifs, désoccupés, qui pourra aussi parfaitement leur convenir?

Théramène étoit riche et avoit du mérite; il a hérité, il est donc très riche et d'un très grand mérite: voilà toutes les femmes en campagne pour l'avoir pour galant, et toutes les filles pour épouseur. Il va de maisons en maisons faire espérer aux mères qu'il épousera: est-il assis, elles se retirent pour laisser à leurs filles toute la liberté d'être aimables, et à Théramène de faire ses déclarations. Il tient ici contre le mortier; là il efface le cavalier ou le gentilhomme: un jeune homme fleuri, vif, enjoué, spirituel, n'est pas souhaité plus ardemment ni mieux reçu; on se l'arrache des mains, on a à peine le loisir de sourire à qui se trouve avec lui dans une même visite: combien de galants va-t-il

Paris, pour l'ordinaire le singe de la cour, ne sait pas toujours la contrefaire; il ne l'imite en aucune manière dans ces dehors agréables et caressants que quelques courtisans, et surtout les femmes, y ont naturellement pour un homme de mérite, et qui n'a même que du mérite: elles ne s'informent ni de ses contrats, ni de ses ancêtres; elles le trouvent à la cour, cela leur suffit; elles le souffrent, elles l'estiment; elles ne demandent pas s'il est venu en chaise ou à pied, s'il a une charge, une terre, ou un équipage : comme elles regorgent de train, de splendeur, et de dignité, elles se délassent volontiers avec la philosophie ou la vertu. Une femme de ville entend-elle le bruissement d'un carrosse qui s'arrête à sa porte, elle petille de

de voir déja dans sa chambre le cavalier ou le magistrat! quelle charmante réception ne lui fera-t-elle point! ôtera-t-elle les yeux de dessus lui? Il ne perd rien auprès d'elle; on lui tient compte des doubles soupentes, et des ressorts qui le font rouler plus mollement ; elle l'en estime davantage, elle l'en aime mieux.

Cette fatuité de quelques femmes de la ville, qui cause en elles une mauvaise imitation de celles de la cour, est quelque chose de pire que la grossièreté des femmes du peuple, et que la rusticité des villageoises : elle a sur toutes deux l'affectation de plus.

La subtile invention, de faire de magnifiques présents de noces qui ne coûtent rien, et qui doivent être rendus en espèces !

L'utile et la louable pratique, de perdre en

frais de noces le tiers de la dot qu'une femme | lontaire, et fondée sur l'estime qu'ils ont pour

apporte! de commencer par s'appauvrir de concert par l'amas et l'entassement de choses superflues, et de prendre déja sur son fonds de quoi payer Gaultier, les meubles, et la toilette! Le bel et le judicieux usage, que celui qui, préférant une sorte d'effronterie aux bienséances et à la pudeur, expose une femme d'une seule nuit sur un lit comme sur un théâtre, pour y faire pendant quelques jours un ridicule personnage, et la livre en cet état à la curiosité des gens de l'un et de l'autre sexe, qui, connus ou inconnus, accourent de toute une ville à ce spectacle pendant qu'il dure! Que manque-t-il à une telle coutume, pour être entièrement bizarre et incompréhensible, que d'être lue dans quelque relation de la Mingrélie?

Pénible coutume, asservissement incommode! se chercher incessamment les unes les autres avec l'impatience dene se point rencontrer, ne se rencontrer que pour se dire des riens, que pour s'apprendre réciproquement des choses dont on est également instruite, et dont il importe peu que l'on soit instruite; n'entrer dans une chambre précisément que pour en sortir; ne sortir de chez soi l'après-dînée que pour y rentrer le soir, fort satisfaite d'avoir vu en cinq petites heures trois suisses, une femme que l'on connoît à peine, et une autre que l'on n'aime guère ! Qui considèreroit bien le prix du temps, et combien sa perte est irréparable, pleureroit amèrement sur de si grandes misères.

On s'élève à la ville dans une indifférence grossière des choses rurales et champêtres; on distingue à peine la plante qui porte le chanvre d'avec celle qui produit le lin, et le blé froment d'avec les seigles, et l'un ou l'autre d'avec le méteil on se contente de se nourrir et de s'habiller. Ne parlez pas à un grand nombre de bourgeois, ni de guérets, ni de baliveaux, ni de provins, ni de regains, si vous voulez être entendu; ces termes pour eux ne sont pas françois : parlez aux uns d'aunage, de tarif, ou de sou pour livre, et aux autres, de voie d'appel, de requête civile, d'appointement, d'évocation. Ils connoissent le monde, et encore par ce qu'il a de moins beau et de moins spécieux ; ils ignorent la nature, ses commencements, ses progrès, ses dons et ses largesses: leur ignorance souvent est vo

leur profession et pour leurs talents. Il n'y a si vil praticien qui, au fond de son étude sombre et enfumée, et l'esprit occupé d'une plus noire chicane, ne se préfère au laboureur qui jouit du ciel, qui cultive la terre, qui sème à propos, et qui fait de riches moissons; et, s'il entend quelquefois parler des premiers hommes ou des patriarches, de leur vie champêtre, et de leur économie, il s'étonne qu'on ait pu vivre en de tels temps, où il n'y avoit encore ni offices, ni commissions, ni présidents, ni procureurs ; il ne comprend pas qu'on ait jamais pu se passer du greffe, du parquet, et de la buvette.

Les empereurs n'ont jamais triomphe à Rome si mollement, si commodément, ni si sûrement même, contre le vent, la pluie, la poudre, et le soleil, que le bourgeois sait à Paris se faire mener par toute la ville : quelle distance de cet usage à la mule de leurs ancêtres! Ils ne savoient point encore se priver du nécessaire pour avoir le superflu, ni préférer le faste aux choses utiles: on ne les voyoit point s'éclairer avec des bougies et se chauffer à un petit feu ; la cire étoit pour l'autel et pour le Louvre. Ils ne sortoient point d'un mauvais dîner pour monter dans leur carrosse; ils se persuadoient que l'homme avoit des jambes pour marcher, et ils marchoient. Ils se conservoient propres quand il faisoit sec, et dans un temps humide ils gâtoient leur chaussure, aussi peu embarrassés de franchir les rues et les carrefours, que le chasseur de traverser un guéret ou le soldat de se mouiller dans une tranchée: on n'avoit pas encore imaginé d'atteler deux hommes à une litière ; il y avoit même plusieurs magistrats qui alloient à pied à la chambre, ou aux enquêtes, d'aussi bonne grace qu'Auguste autrefois alloit de son pied au Capitole. L'étain dans ce temps brilloit sur les tables et sur les buffets, comme le fer et le cuivre dans les foyers; l'argent et l'or étoient dans les coffres. Les femmes se faisoient servir par des femmes ; on mettoit celles-ci jusqu'à la cuisine. Les beaux noms de gouverneurs et de gouvernantes n'étoient pas inconnus à nos pères; ils savoient à qui l'on confioit les enfants des rois et des plus grands princes; mais ils partageoient le service de leurs domestiques avec leurs enfants, contents de veiller eux-mêmes immédiatement à leur éducation.

La province est l'endroit d'où la cour, comme dans son point de vue, paroît une chose admirable: si l'on s'en approche, ses agréments diminuent comme ceux d'une perspective que l'on voit de trop près.

L'on s'accoutume difficilement à une vie qui se passe dans une antichambre, dans des cours ou sur l'escalier.

Ils comptoient en toutes choses avec eux-mêmes: | que l'on ait, on s'y trouve tel : mais le mal est leur dépense étoit proportionnée à leur recette; commun, et les grands mêmes y sont petits. leurs livrées, leurs équipages, leurs meubles, leur table, leurs maisons de la ville et de la campagne, tout étoit mesuré sur leurs rentes et sur leur condition. Il y avoit entre eux des distinctions extérieures qui empêchoient qu'on ne prît la femme du praticien pour celle du magistrat, et le roturier ou le simple valet pour le gentilhomme. Moins appliqués à dissiper ou à grossir leur patrimoine qu'à le maintenir, ils le laissoient entier à leurs héritiers, et passoient ainsi d'une vie modérée à une mort tranquille. Ils ne disoient point: Le siècle est dur, la misère est grande, l'argent est rare; ils en avoient moins que nous, et en avoient assez, plus riches par leur économie et par leur modestie que de leurs revenus et de leurs domaines. Enfin l'on étoit alors pénétré de cette maxime, que ce qui est dans les grands splendeur, somptuosité, magnificence, est dissipation, folie, ineptie, dans le particulier.

CHAPITRE VIII.

De la cour.

Le reproche en un sens le plus honorable que l'on puisse faire à un homme, c'est de lui dire qu'il ne sait pas la cour: il n'y a sorte de vertus qu'on ne rassemble en lui par ce seul mot.

Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux, et de son visage; il est profond, impénétrable; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre ses sentiments. Tout ce grand raffinement n'est qu'un vice que l'on appelle fausseté; quelquefois aussi inutile au courtisan, pour sa fortune, que la franchise, la sincérité et la vertu.

Qui peut nommer de certaines couleurs changeantes, et qui sont diverses selon les divers jours dont on les regarde? de même, qui peut definir la cour?

Se dérober à la cour un seul moment c'est y renoncer le courtisan qui l'a vue le matin la voit le soir, pour la reconnoître le lendemain, ou afin que lui-même y soit connu.

La cour ne rend pas content; elle empêche qu'on ne le soit ailleurs.

Il faut qu'un honnête homme ait tâté de la cour: il découvre, en y entrant, comme un nouveau monde qui lui étoit inconnu, cù il voit régner également le vice et la politesse, et où tout lui est utile, le bon et le mauvais.

La cour est comme un édifice bâti de marbre; je veux dire qu'elle est composée d'hommes fort durs, mais fort polis.

L'on va quelquefois à la cour pour en revenir, et se faire par-là respecter du noble de sa province, ou de son diocésain.

Le brodeur et le confiseur seroient superflus, et ne feroient qu'une montre inutile, si l'on étoit modeste et sobre les cours seroient désertes, et les rois presque seuls, si l'on étoit guéri de la vanité et de l'intérêt. Les hommes veulent être esclaves quelque part, et puiser là de quoi dominer ailleurs. Il semble qu'on livre en gros aux premiers de la cour l'air de hauteur, de fierté, et de commandement, afin qu'ils le distribuent en détail dans les provinces: ils font précisément comme on leur fait, vrais singes de la royauté.

Il n'y a rien qui enlaidisse certains courtisans comme la présence du prince: à peine les puis-je reconnoître à leurs visages; leurs traits sont altérés, et leur contenance est avilie. Les gens fiers et superbes sont les plus défaits, car ils perdent plus du leur; celui qui est honnête et modeste s'y soutient mieux : il n'a rien à réformer.

L'air de cour est contagieux: il se prend à V2.

C'est ainsi que Voltaire a dit des courtisans : Ils

Vont en poste à Versaille essuyer des mépris,
Qu'ils reviennent soudain rendre en poste à Paris.

2 C'est Versailles que La Bruyère désigne par cette lettre initiale. Dans la première édition de ces CARACTÈRES, il n'avoit pas

L'on est petit à la cour; et, quelque vanité même employé cette lettre; le nom tout entier étoit en blanc.

on l'entrevoit en des fourriers, en de petits contrôleurs, et en des chefs de fruiterie; l'on peut avec une portée d'esprit fort médiocre y faire de grands progrès. Un homme d'un génie élevé et d'un mérite solide ne fait pas assez de cas de cette espèce de talent pour faire son capital de l'étudier et de se le rendre propre; il l'acquiert sans réflexion, et il ne pense point à s'en défaire.

N*** arrive avec grand bruit; il écarte le monde, se fait faire place; il gratte, il heurte presque ; il se nomme : on respire, et il n'entre qu'avec la foule.

comme l'accent normand à Rouen ou à Falaise; | termes convenables, devinent leurs chagrins, leurs maladies, et fixent leurs couches; ils font les modes, raffinent sur le luxe et sur la dépense, et apprennent à ce sexe de prompts moyens de consumer de grandes sommes en habits, en meubles, et en équipages; ils ont eux-mêmes des habits où brillent l'invention et la richesse, et ils n'habitent d'anciens palais qu'après les avoir renouvelés et embellis. Ils mangent délicatement et avec réflexion ; il n'y a sorte de volupté qu'ils n'essaient, et dont ils ne puissent rendre compte. Ils doivent à eux-mêmes leur fortune, et ils la soutiennent avec la même adresse qu'ils l'ont élevée : dédaigneux et fiers, ils n'abordent plus leurs pareils, ils ne les saluent plus; ils parlent où tous les autres se taisent; entrent, pénètrent en des endroits et à des heures où les grands n'osent se faire voir: ceux-ci, avec de longs services, bien des plaies sur le corps, de beaux emplois, ou de grandes dignités, ne montrent pas un visage si assuré, ni une contenance si libre. Ces gens ont l'oreille des plus grands princes, sont de tous leurs plaisirs et de toutes leurs fètes, ne sortent pas du Louvre ou du château, où ils marchent et agissent comme chez eux et dans leur domestique, semblent se multiplier en mille endroits, et sont toujours les premiers visages qui frappent les nouveaux-venus à une cour: ils embrassent, ils sont embrassés ; ils rient, ils éclatent, ils sont plaisants, ils font des contes : personnes commodes, agréables, riches, qui prétent, et qui sont sans conséquence.

Il y a dans les cours des apparitions de gens aventuriers et hardis, d'un caractère libre et familier, qui se produisent eux-mêmes, protestent qu'ils ont dans leur art toute l'habileté qui manque aux autres, et qui sont crus sur leur parole. Ils profitent cependant de l'erreur puplique, ou de l'amour qu'ont les hommes pour la nouveauté : ils percent la foule, et parviennent jusqu'à l'oreille du prince, à qui le courtisan les voit parler pendant qu'il se trouve heureux d'en être vu. Ils ont cela de commode pour les grands, qu'ils en sont soufferts sans conséquence, et congédiés de même : alors ils disparoissent tout à-la-fois riches et décrédités; et le monde qu'ils viennent de tromper est encore près d'être trompé par d'autres.

Vous voyez des gens qui entrent sans saluer que légèrement, qui marchent des épaules, et qui se rengorgent comme une femme ils vous interrogent sans vous regarder ; ils parlent d'un ton élevé, et qui marque qu'ils se sentent audessus de ceux qui se trouvent présents. Ils s'arrêtent, et on les entoure ; ils ont la parole, président au cercle, et persistent dans cette hauteur ridicule et contrefaite, jusqu'à ce qu'il survienne un grand qui, la faisant tomber tout d'un coup par sa présence, les réduise à leur naturel, qui est moins mauvais.

Ne croiroit-on pas de Cimon et de Clitandre qu'ils sont seuls chargés des détails de tout l'état, et que seuls aussi ils en doivent répondre? L'un a du moins les affaires de terre, et l'autre les maritimes. Qui pourroit les représenter exprimeroit l'empressement, l'inquiétude, la curiosité, l'activité, sauroit peindre le mouvement. On ne les a jamais vus assis, jamais fixes et arrêtés : qui même les a vus marcher? On les voit courir, parler en courant, et vous interroger sans attendre de réponse. Ils ne viennent d'aucun endroit, ils ne vont nulle part;

Les cours ne sauroient se passer d'une certaine espèce de courtisans, hommes flatteurs, complaisants, insinuants, dévoués aux femmes, dont ils ménagent les plaisirs, étudient les foi-ils passent et ils repassent. Ne les retardez pas bles, et flattent toutes les passions; ils leur souffient à l'oreille des grossièretés, leur parlent de leurs maris et de leurs amants dans les

dans leur course précipitée, vous démonteriez leur machine: ne leur faites pas de questions, ou donnez-leur du moins le temps de respirer et

« PreviousContinue »