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tions frivoles de ceux qui le courent, qui le suivent, et qui s'attachent à lui comme ses viles créatures, et qu'il ne se dédommage dans le particulier d'une si grande servitude, par les ris et la moquerie.

Hommes en place, ministres, favoris, me permettrez-vous de le dire? ne vous reposez point sur vos descendants pour le soin de votre mémoire et pour la durée de votre nom : les titres passent, la faveur s'évanouit, les dignités se perdent, les richesses se dissipent, et le mérite dégénère. Vous avez des enfants, il est vrai, dignes de vous; j'ajoute même capables de soutenir toute votre fortune: mais qui peut vous en promettre autant de vos petits-fils? Ne m'en croyez pas, regardez, cette unique fois, de certains hommes que vous ne regardez jamais, que vous dédaignez : ils ont des aïeux, à qui, tout grands que vous êtes, vous ne faites que succéder. Ayez de la vertu et de l'humanité; et si vous me dites, qu'aurons-nous de plus? je vous répondrai, de l'humanité et de la vertu : maîtres alors de l'avenir, et indépendants d'une postérité, vous êtes sûrs de durer autant que la monarchie; et dans le temps que l'on montrera les ruines de vos châteaux, et peut-être la seule place où ils étoient construits, l'idée de vos louables actions sera encore fraîche dans l'esprit des peuples; ils

considéreront avidement vos portaits et vos médailles ; ils diront: Cet homme', dont vous regardez la peinture, a parlé à son maître avec force et avec liberté, et a plus craint de lui nuire que de lui déplaire; il lui a permis d'être bon et bienfaisant, de dire de ses villes, MA BONNE VILLE, et de son peuple, MON PEUPLE. Cet autre dont vous voyez l'image 2, et en qui l'on remarque une physionomie forte, jointe à un air grave, austère, et majestueux, augmente d'année à autre de réputation : les plus grands politiques souffrent de lui être comparés. Son grand dessein a été d'affermir l'autorité du prince et la sûreté des peuples par l'abaissement des grands: ni les partis, ni les conjurations, ni les trahisons, ni le péril de la mort, ni ses infirmités, n'ont pu l'en détourner; il a eu du temps de reste pour entamer un ouvrage, continué ensuite et achevé par l'un de nos plus grands et de nos meilleurs princes 3, l'extinction de l'hérésie.

Le panneau le plus délié et le plus spécieux qui dans tous les temps ait été tendu aux grad s par leurs gens d'affaires, et aux rois par leurs ministres, est la leçon qu'ils leur font de s'acquitter et de s'enrichir. Excellent conseil, maxime utile, fructueuse, une mine d'or, un Pérou, du moins pour ceux qui ont su jusqu'à présent l'inspirer à leurs maîtres!

'Le cardinal Georges d'Amboise.

2 Le cardinal de Richelieu. - 3 Louis XIV.

C'est un extrême bonheur pour les peuples quand le prince admet dans sa confiance et choisit pour le ministère ceux même qu'ils auroient voulu lui donner, s'ils en avoient été les maîtres.

La science des détails ou une diligente attention aux moindres besoins de la république, est une partie essentielle au bon gouvernement, trop négligée à la vérité dans les derniers temps par les rois ou par les ministres, mais qu'on ne peut trop souhaiter dans le souverain qui l'ignore, ni assez estimer dans celui qui la posséde. Que sert en effet au bien des peuples, et à la douceur de leurs jours, que le prince place les bornes de son empire audelà des terres de ses ennemis, qu'il fasse de leurs souverainetés des provinces de son royaume, qu'il leur soit également supérieur par les sièges et par les batailles, et qu'ils ne soient devant lui en sûreté ni dans les plaines ni dans les plus forts bastions, que les nations s'appellent les unes les autres, se liguent ensemble pour se défendre et pour l'arrêter, qu'elles se liguent en vain, qu'il marche toujours et qu'il triomphe toujours, que leurs dernières espérances soient tombées par le raffermissement d'une santé qui donnera au monarque le plaisir de voir les princes ses petits-fils soutenir ou accroître ses destinées, se mettre en campagne, s'emparer de redoutables forteresses, et conquérir de nouveaux états, commander de vieux et expéri

mentés capitaines, moins par leur rang et leur naissance que par leur génie et leur sagesse, suivre les traces augustes de leur victorieux père, imiter sa bonté, sa docilité, son équité, sa vigilance, son intrépidité? Que me serviroit, en un mot, comme à tout le peuple, que le prince fût heureux et comblé de gloire par lui-même et par les siens, que ma patrie fût puissante et formidable, si, triste et inquiet, j'y vivois dans l'oppression ou dans l'indigence; si, à couvert des courses de l'ennemi, je me trouvois exposé dans les places ou dans les rues d'une ville au fer d'un assassin, et que je craignisse moins dans l'horreur de la nuit d'être pillé ou massacré dans d'épaisses forêts que dans ses carrefours; si la sûreté, l'ordre, et la propreté, ne rendoient pas le séjour des villes si délicieux, et n'y avoient pas amené, avec l'abondance, la douceur de la société; si, foible et seul de mon parti, j'avois à souffrir dans ma métairie du voisinage d'un grand, et si l'on avoit moins pourvu à me faire justice de ses entreprises; si je n'avois pas sous ma main autant de maîtres et d'excellents maîtres pour élever mes enfants dans les sciences ou dans les arts qui feront un jour leur établisseinent; si, par la facilité du commerce, il m'étoit moins ordinaire de m'habiller de bonnes étoffes, et de me nourrir de viandes saines, et de les ache

ter peu; si enfin, par les soins du prince, je n'étois pas aussi content de ma fortune qu'il doit lui-même par ses vertus l'être de la sienne?

Les huit ou les dix mille hommes sont au souverain comme une monnoie dont il achète une place ou une victoire: s'il fait qu'il lui en coûte moins, s'il épargne les hommes, il ressemble à celui qui marchande et qui connoît mieux qu'un autre le prix de l'argent.

Tout prospère dans une monarchie où l'on confond les intérêts de l'état avec ceux du prince.

Nommer un roi PÈRE DU PEUPLE est moins faire

son éloge que l'appeler par son nom, ou faire sa

définition.

Il y a un commerce ou un retour de devoir du souverain à ses sujets, et de ceux-ci au souverain: quels sont les plus assujettissants et les plus pénibles? je ne le déciderai pas: il s'agit de juger, d'un côté, entre les étroits engagements du respect, des secours, des services, de l'obéissance, de la dépendance; et d'un autre, les obligations indispensables de bonté, de justice, de soins, de défense, de protection. Dire qu'un prince est arbitre de la vie des hommes, c'est dire seulement que les hommes, par leurs crimes, deviennent naturellement soumis aux lois et à la justice, dont le prince est le dépositaire: ajouter qu'il est maître absolu de tous les

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