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mière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment, il a, de plus que lui, la fidélité, la constance dans les affections; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de déplaire; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance. Plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitements; il les subit, les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davantage. Loin de s'irriter ou de fair, il s'expose lui-même à de nouvelles épreuves; il lèche cette main, instrument de douleur, qui vient de le frapper; il ne lui oppose que la plainte et la désarme enfin par la patience ou la soumission.

Dans ce court extrait du long et beau chapitre sur le chien, Buffon s'attache à faire connaître sommairement les qualités, qu'on pourrait appeler morales de ce noble animal. — « Un naturel ardent.... un désir de plaire; » phrase savamment coupée et brillante par le contraste. L'art pittoresque du style se montre également dans ce qui suit : « il vient en rampant, etc. » « Il le consulte, il l'interroge, il le supplie; » gradation parfaite dans les trois verbes, et en général dans le choix des circonstances qui marquent l'intelligence du chien et son dévouement à l'homme. Quelle opposition précise entre ces mots : « la lumière de la pensée, la chaleur du sentiment! » la pensée est une étoile, elle luit; le sentiment est une flamme, il échauffe. Le reste est une épigramme philosophique adressée indirectement à l'homme, qui n'a pas toujours toutes les qualités du cœur d'un chien. - La « fidélité >> tient plus aux actes du dehors, et la « constance » aux sentiments intérieurs. «Se rebuter; » expression dont il faut remarquer le sens étymologique, ici très-exact: se mettre hors du but à atteindre. « Il les subit, les oublie ou ne s'en souvient, etc.;» tableau d'une vérité touchante. «Subir,» aller sous les outrages. « Se souvenir, » mot tout francais; ce qui était sous les perceptions récentes, et qui en sort; le`latin recordari est aussi très-beau ; ce qu'on ra

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mène du fond du cœur. « Attacher,» saisir comme par le toucher; étroite union. «Outrages, » ce qui va au delà des bornes (ultra). «Soumission » est plus fort que « patience >> et justement placé après. La patience est la facilité de souffrir, la soumission consiste à se mettre sous autrui. « Il lèche cette main... » ce trait achève très heureusement cette belle progression : le chien possède une arme, l'arme invincible du faible, et qui souvent fait tomber celles du fort et du cruel: « la plainte, » et Buffon n'avait garde de l'oublier.

Chateaubriand fait une remarque qu'il est bon de rappeler. « Lisez, dit-il, dans Buffon l'admirable article du chien: tous les chiens y sont: le chien chasseur, le chien de berger, le chien sauvage, le chien grand seigneur, le chien petit-maître. Que manque-t-il enfin? Le chien de l'aveugle. Et c'est celui-là dont se fût d'abord souvenu un chrétien. » Il y a du vrai dans cette observation; Buffon se fait admirer par son style, mais rarement il attendrit.

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De tous les êtres animés, voici le plus élégant pour la forme, et le plus brillant pour les couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art ne sont pas comparables à ce bijou de la nature; elle l'a placé, dans l'ordre des oiseaux, au dernier degré de l'échelle de grandeur. Son chef-d'œuvre est le petit oiseaumouche; elle l'a comblé de tous les dons qu'elle n'a fait que partager aux autres oiseaux ; légèreté, rapidité, prestesse, grâce et riche parure, tout appartient à ce petit favori. L'émeraude, le rubis, la topaze brillent sur ses habits, il ne les souille jamais de la poussière de la terre; et, dans sa vie tout aérienne, on le voit à peine toucher le gazon par instant; il est toujours en l'air, volant de fleurs en fleurs; il a leur fraîcheur comme il a leur éclat; il vit de leur nectar, et n'habite que les climats où sans cesse elles se renouvellent.

C'est dans les contrées les plus chaudes du Nouveau-Monde que se trouvent toutes les espèces d'oiseaux-mouches. Elles sont assez nombreuses, et paraissent enfermées entre les deux tropiques; car ceux qui s'avancent en été dans les zones tempérées n'y font qu'un court séjour; ils semblent suivre le soleil, s'avancer, se retirer avec lui, et voler sur l'aile des zéphyrs à la suite d'un printemps éternel.....

Rien n'égale la vivacité de ces petits oiseaux, si ce n'est leur courage, ou plutôt leur audace; on les voit poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus gros qu'eux, s'attacher à leurs corps, et, se laissant emporter par leur vol, les becqueter à coups redoublés, jusqu'à ce qu'ils aïent assouvi leur petite colère. Quelquefois même ils se livrent entre eux de très-vifs combats; l'impatience paraît être leur âme ; s'ils s'approchent d'une fleur, et qu'ils la trouvent fanée, ils lui arrachent les pétales avec une précipitation qui marque leur dépit ; ils n'ont point d'autre voix qu'un petit cri fréquent et répété; ils le font entendre dans les bois dès l'aurore, jusqu'à ce qu'aux premiers rayons du soleil, tous prennent l'essor et se dispersent dans la campagne.

C'est à l'égard de pareils morceaux que Cuvier, dans son Eloge de Buffon, dit que ce grand naturaliste a réussi à rendre les détails avec une grâce enchanteresse. Tout l'éclat,toute la légèreté, la prestesse de l'oiseau, «bijou de la nature, » qu'il décrit ici, passe dans son style vraiment diamanté. La nature a fait l'oiseau-mouche en se jouant, suivant l'étymologie de ce mot bijou (double jeu), elle a tout donné à ce petit favori. » « L'émeraude, etc., » c'està-dire le vert, le rouge et le jaune. « Sur ses habits; » agréable personnification. « Il ne semble pas, etc.; »> on dirait une fleur du ciel qui voltige dans l'air, et ne s'arrête que sur ses sœurs qui brillent à la surface de la terre.

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On peut admirer comment, après quelques détails de pure géographie, l'attrait d'un sujet si gracieux fait céder le naturaliste au poëte, et comme la phrase sévère du savant s'épanouit en expressions fleuries de fraîcheur et d'harmonie : « sur l'aile des zéphyrs, à la suite d'un printemps

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éternel.» Le dernier alinéa exprime de la manière la plus vive, l'ardeur belliqueuse de ces petits oiseaux. Buffon avait le souvenir des luttes des abeilles, dans le quatrième livre des Géorgiques.-Il y a ici des expressions d'un grand choix : «<< se laissant emporter par leur vol; assouvir leur petite colère; l'impatience paraît être leur âme, » jusqu'au moment où vous les voyez, « aux premiers rayons du soleil, etc. » Comme l'air, l'espace et la liberté circulent dans cette description!

Le tableau que Buffon a tracé de l'écureuil serait le pendant de celui qui précède. Nous ne rappellerons que cette phrase d'un pittoresque admirable. « L'écureuil est « propre, leste, vif, très-alerte, très-éveillé, très-indus<< trieux; il a les yeux pleins de feu, la physionomie fine, « le corps nerveux, les membres dispos; sa jolie figure « est encore rehaussée, parée, par une belle queue en « forme de panache, qu'il relève jusque par-dessus sa « tête, et sous laquelle il se met à l'ombre. » C'est toujours la même grâce de touche, la même perfection dans l'art de peindre.

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Les grâces de la figure, la beauté de la forme répondent dans le cygne à la douceur du naturel; il plaît à tous les yeux; il décore, embellit tous les lieux qu'il fréquente; on l'aime, on l'applaudit, on l'admire. Nulle espèce ne le mérite mieux; la nature, en effet, n'a répandu sur aucune autant de ces grâces nobles et douces qui nous rappellent l'idée de ses plus charmants ouvrages; coupe de corps élégante, formes arrondies, gracieux contours, blancheur éclatante et pure, mouvements flexibles et ressentis, attitudes tantôt animées, tantôt laissées dans un mol abandon.

A sa noble aisance, à la facilité, la liberté de ses mouvements sur l'eau, on doit le reconnaître, non-seulement comme le premier des navigateurs ailés, mais comme le plus beau modèle

que la nature nous ait offert pour l'art de la navigation. Son 'cou élevé et sa poitrine relevée et arrondie semblent, en effet, figurer la proue du navire fendant l'onde; son large estomac en représente la carène; son corps, penché en avant pour cingler, se redresse à l'arrière et se relève en poupe; la queue est un vrai gouvernail; les pieds sont de larges rames, et ses grandes ailes demi-ouvertes au vent et doucement enflées sont les voiles qui poussent le vaisseau vivant, navire et pilote à la fois.

Fier de sa noblesse, jaloux de sa beauté, le cygne semble faire parade de tous ses avantages; il a l'air de rechercher à recueillir des suffrages, à captiver les regards, et il les captive, en effet; soit que voguant en troupe, on voie de loin, au milieu des grandes eaux, cingler la flotte ailée, soit que s'en détachant et s'approchant du rivage aux signaux qui l'appellent, íl vienne se faire admirer de plus près en étalant ses beautés, et développant sa grâce par mille mouvements doux, ondulants et suaves.

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Quelle imagination vive, noble et brillante, quel pinceau à la fois délicat et nerveux ! Et toujours l'expression la plus juste, le tour le plus aisé, le plus naturel. — « Embellir» dit plus que « décorer,» il en est le résultat. Même gradation dans « on l'applaudit, on l'admire, » l'admiration est réfléchie, sur le mérite solide et dit plus que l'applaudissement qui se donne au mérite passager. « Répandre; » un verbe qui fait image; la nature « répand, >> verse ses trésors. « Grâces nobles et douces, etc., » beau choix d'épithètes. « Élégant; » du latin legere, choisi, distingué. « Éclatant; » l'éclat est le fragment d'un corps lancé vivement; convient figurément aux rayons de la lumière; de là une épithète usitée pour les couleurs vives. Est-il une peinture plus charmante et plus achevée que celle du cygne, « vaisseau vivant, navire et pilote à la fois, » si curieusement décrit par le naturaliste! Quel écrivain a manié la langue descriptive avec plus de souplesse et de vigueur. Ce style a « l'aisance, la facilité de mouvement » du cygne; lui aussi est « doux, onduleux et suave. » — << Soit que voguant en troupe; » période sa

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