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Césaire, si touchant vraiment que nous lui conseillons de le lire... avant de le faire lire à ses filles. Qu'on n'aille pas se tromper à nos paroles; rien de plus irréprochablement pur que le livre de M. Guiraud; mais enfin c'est l'amour au confessionnal; et nous nous croyons dispensé d'en dire davantage. Encore ici, comme dans Flavien, si l'intention apologétique est manifeste, l'élément apologétique nous échappe. Il est vrai que ces luttes de la chair et de l'esprit chez le prêtre, chez la religieuse, ne sont pas, dans la volonté de M. Guiraud, le sujet de Césaire: Césaire, c'est l'expiation. Cela n'empêche pas que le livre ne retrace les vertueuses mais tragiques amours d'un confesseur et de sa pénitente; récit passionné dont la conclusion peut être fort catholique dans l'esprit de l'auteur, mais le sera probablement fort peu dans l'esprit du plus grand nombre des lecteurs; et quant à l'expiation, telle que l'entend Césaire, elle peut être tout à fait catholique, mais c'est tant pis pour le catholicisme; nous dirions même tant pis pour l'auteur, si nous ne savions que sa religion personnelle vaut beaucoup mieux que son système et le contredit. Mais enfin s'il ne s'agit que de système, c'est bien le sien. Sur ce point Césaire n'a point à craindre l'index. Selon Rome, comme selon M, Guiraud, l'homme expie, l'homme punit: qui? le coupable? non, l'innocent, la matière qui n'en peut mais.

Le Sauveur avait dit que ce n'est pas ce qui vient à l'homme, mais ce qui vient de l'homme, qui le

souille; le Sauveur, par là même, avait fait entendre que ce n'est pas la matière qui nous déshonore, mais nous qui la déshonorons. Rome et ses docteurs ont dit le contraire, et M. Guiraud, sur ce point, surabonde dans le sens de son Église. Dans Flavien, il va jusqu'à dire qu'il a bien fallu à des saturnales en opposer d'autres. Si cela est chrétien, pourquoi l'Évangile ne l'a-t-il pas dit? Pourquoi l'Évangile a-t-il dit le contraire? Nous sommes las d'entendre parler de la force des doctrines chrétiennes, et jamais de leur mesure plus miraculeuse, s'il est possible, que leur force, et plus forte que cette force même. En dehors du christianisme, avant, après son apparition, les saturnales de l'ascétisme ont été presque aussi vulgaires que celles du matérialisme; forcé de maudire quelque chose, et ne voulant pas se maudire lui-même, l'homme a maudit sa chair: diversion habile destinée à sauver précisément la victime que Dieu demande. Le christianisme eût pu à peine enchérir sur la rigueur de cet inutile suicide; il n'en a pas eu, chose étonnante, un seul instant la pensée; d'un premier pas, il s'est placé au centre du vrai, en s'établissant au centre de l'homme. De cette position, il embrasse tout du regard et domine tout. Le cœur soumis, tout est soumis, et le cœur soumis est un cœur sage, qui ne permet pas plus l'arbitraire du sacrifice que les complaisances charnelles. De maîtresse, la matière devient esclave; mais l'homme ne songe plus à se venger sur elle de ses propres torts. Avec cette idée

disparaît naturellement celle de l'expiation; l'homme n'expie rien: il aime, il obéit, il espère, il se met tout entier au service et à la merci de Dieu.

Nous regrettons, chez M. Guiraud, âme recueillie, cœur religieux, cette noble simplicité de la foi évangélique, et nous hâtons de nos vœux le moment où un talent si pur rendra à des doctrines si pures l'hommage qu'elles attendent de lui. Quant à celui auquel avaient droit, de notre part, un talent et un caractère également honorables, nous croyons le leur avoir bien loyalement rendu; nos critiques mêmes sont un témoignage de notre respect; nous aurions cru mal exprimer celui que nous éprouvons pour l'esprit éminent qui a produit Flavien, Césaire et les Machabées, si nous nous en étions tenu, à son égard, à quelques vagues et insipides louanges, là où les sujets appelaient si évidemment une discussion sérieuse.

LE CLOÎTRE DE VILLEMARTIN.

Poésie.

Un volume in-8°. - 1843.

L'auteur de la Philosophie catholique de l'histoire remplit par des chants les intervalles d'un vaste et sévère labeur. Voici un volume de vers mélodieux et faciles, où quelques négligences de bonne foi, quelques fautes sans prétention, sont plutôt des traits de naturel et d'abandon que des traces de pré

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cipitation ou d'impuissance. On sent partout l'écrivain exercé, le versificateur habile, aussi à l'aise, plus à l'aise peut-être dans la contrainte du vers que dans la liberté de la prose. Le travail ne paraît point; il y en a probablement fort peu; et la conception du poëme n'a pas dû fatiguer l'auteur beaucoup plus que la diction et la rime. C'est une composition d'un genre tout moderne, que Boileau n'eût point découvert dans sa liste, et auquel nous serions nous-même embarrassé de trouver un nom.. Il y a, comme disait un grand évêque au sujet du théâtre, il y a de grands exemples pour, et de grandes autorités contre. Le Cloître de Villemartin est l'histoire de ce qui s'est passé ou plutôt de ce qui s'est pensé dans un cloître nouvellement reconstruit, et tout premièrement l'histoire de ce cloître.

Tout est poétique dans ce volume; la préface même est en vers, sous le nom très convenable de prologue; la plupart des notes eussent pu être écrites en vers tout ruisselle de poésie. Or donc, dans une introduction, qui vient à la suite du prologue, l'auteur nous apprend comment, il y a quelques années, il acheta un cloître démoli, qui, après avoir servi d'écurie, puis de caserne, allait enfin servir à combler un fossé. Il était renversé, mais entier. M. Guiraud acheta ces pierres gisantes, les fit transporter dans sa terre à trente lieues de là, et cherchant patiemment les rapports des débris entre eux, parvint, non sans peine, à relever le monument des vieux âges, et à reformer cette enceinte

religieuse qui avait été, en d'autres temps et en d'autres lieux, l'horizon de la méditation et de la prière. Là, cet homme du moyen âge, qui est bien de notre temps par la libéralité de ses sentiments et le développement de son intelligence, vint lui-même à son tour prier et méditer. Il y vint aussi, bien loin du présent, s'enfermer dans les souvenirs de son propre passé, autre sanctuaire dans le sanctuaire, autre enceinte dans celle du cloître. Ces souvenirs, douloureux et tendres, et puis les pensées de sa jeunesse, qu'il relit avec nous dans son âge mûr (et qui ont bien l'air d'être les pensées de cet âge même), composent le fond de ce poëme, qui ne prétend, on le voit déjà, ni à la régularité, ni à la concentration, ni à l'unité. Mais tel est le pouvoir de la vérité et le charme d'une poésie sincère et mélodieuse, écho non interrompu de nobles et bienveillantes pensées, qu'on ne s'arrête point pour juger; et quelqu'un de notre connaissance, à qui les longs volumes, méme de vers, font peur, déclare que, s'étant engagé dans cette lecture, il n'a pu quitter l'auteur que quand l'auteur l'a quitté, et se confesse d'avoir passé de longues heures avec le poëte dans l'asile des souffrances d'Aurélie et près de sa couche funèbre.

Au fait, cette élégie (puisqu'il faut l'appeler par son nom) est un cadre pour les pensées les plus recueillies du poëte, une coupe de parfums d'où s'exhalent l'une après l'autre les inspirations d'une âme religieuse, dont le bonheur, bien réel, ressort

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