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J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies;
Je vois l'ordre pompeux de ses cérémonies.

ATHALIE. Hé quoi! vous n'avez point de passe-temps plus doux ?

Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous.
Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.

JOAS. Moi! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire ?
ATHALIE. Non, je ne vous veux pas contraindre à l'oublier.
Vous ne le priez point.

JOAS.
ATHALIE.

Vous pourrez le prier. JOAS. Je verrais cependant en invoquer un autre. ATHALIE. J'ai mon Dieu que je sers; vous servirez le vôtre : Ce sont deux puissants dieux.

JOAS.

Il faut craindre le mien:

Lui seul est Dieu, madame, et le vôtre n'est rien.

ATHALIE. Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.

JOAS. Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule. ATHALIE. Ces méchants, qui sont-ils?

JOSABETH.

Un enfant

...

Hé, madame! excusez.

ATHALIE (à Josabeth). J'aime à voir comme vous l'instruisez. Enfin, Éliacin, vous avez su me plaire;

Vous n'êtes point sans doute un enfant ordinaire.
Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'héritier:
Laissez là cet habit, quittez ce vil métier;
Je veux vous faire part de toutes mes richesses;
Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses.
A ma table, partout, à mes côtés assis,

Je prétends vous traiter comme mon propre fils.
JOAS. Comme votre fils?

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IDYLLE SUR LA PAIX.3

Charmante paix, délices de la terre,
Fille du ciel et mère des plaisirs,
Tu reviens combler nos désirs:
Tu bannis la terreur et les tristes soupirs,
Malheureux enfants de la guerre.

Un plein repos favorise nos vœux:

Chantons, chantons la paix, qui nous rend tous heureux.

Tu rends le fils à sa tremblante mère;
Par toi la jeune épouse espère
D'être longtemps unie à son époux aimé;
De ton retour le laboureur charmé

Ne craint plus désormais qu'une main étrangère
Moissonne avant le temps le champ qu'il a semé:
Tu pares nos jardins d'une grâce nouvelle;
Tu rends le jour plus pur, et la terre plus belle.

Un plein repos favorise nos vœux:

Chantons, chantons la paix, qui nous rend tous heureux.

Mais quelle main puissante et secourable

A rappelé du ciel cette paix adorable?

Quel Dieu, sensible aux vœux de l'univers,
A replongé la discorde aux enfers?

Déjà grondaient les horribles tonnerres
Par qui sont brisés les remparts:
Déjà marchait devant les étendards
Bellone, les cheveux épars,

Et se flattait d'éterniser les guerres
Que sa fureur soufflait de toutes parts.

Divine paix, apprends-nous par quels charmes
Un calme si profond succède à tunt d'alarmes?

Un héros, des mortels l'amour et le plaisir,
Un roi victorieux vous a fait ce loisir.7

Ses ennemis, offensés de sa gloire, Vaincus cent fois, cent fois le suppliant, En leur fureur de nouveau s'oubliant, Ont osé dans ses bras irriter la victoire.

Qu'ont-ils gagné, ces esprits orgueilleux,
Qui menaçaient d'armer la terre entière ?
Ils ont vu de nouveau resserrer leur frontière;
Ils ont vu ce roc sourcilleux,8

De leur orgueil l'espérance dernière,
De nos champs fortunés devenir la barrière.

Un héros, des mortels l'amour et le plaisir,
Un roi victorieux nous a fait ce loisir.

O ciel, ô saintes destinées,

Qui prenez soin de ses jours florissants,
Retranchez de nos ans

Pour ajouter à ses années.9

Qu'il règne ce héros, qu'il triomphe toujours; Qu'avec lui soit toujours la paix ou la victoire: Que le cours de ses ans dure autant que le cours De la Seine et la Loire.

Qu'il règne ce héros, qu'il triomphe toujours;
Qu'il vive autant que sa gloire 10!

§ 55. J. B. ROUSSEAU, 1671-1741.

Malgré d'assez grandes inégalités dans ses ouvrages, J. B. ROUSSEAU est digne encore d'être compté parmi les poètes classiques français.

On admirera toujours la magnificence et l'éclat de ses belles odes: en outre, il a été le créateur d'un genre nouveau en poésie, de la cantate.' Ajoutons qu'il a laissé plusieurs comédies assez froides, des épigrammes piquantes, et des épîtres parfois ingénieuses et faciles. Né à Paris, en 1671,2 d'un artisan qui épuisa ses ressources pour le placer au collége du Plessis, il annonça de bonne heure les plus brillantes dispositions; mais són caractère ne fut jamais au niveau de son esprit. Assez faible pour rougir de sa naissance, il fut, assure-t-on, un fils ingrat, et l'on ne saurait s'étonner qu'il ait passé dès lors pour un malhonnête homme. De là les malheurs de sa vie, qui exercèrent une fâcheuse influence sur ses talents. Il fut en effet banni en 1712 par arrêt du parlement, et il passa à l'étranger le reste de ses jours: ce long exil finit par altérer sensiblement la correction de son langage. La cause de sa condamnation avait été une pièce de vers scandaleux, dont il fut réputé l'auteur: il paraît bien avéré aujourd'hui qu'il n'était pas coupable, mais il porta la peine de sa mauvaise réputation. Néanmoins, il faut constater, à l'avantage de sa mémoire, que J. B. Rousseau, jusqu'à sa mort, qui eut lieu à Bruxelles en 1741, conserva des amis honorables, entre lesquels on remarque Rollin, qui lui a adressé plusieurs lettres. On peut le considérer, pour le style, comme l'anneau qui unit, en quelque sorte, le dix-septième siècle au dix-huitième.

L'INSPIRATION POÉTIQUE.

Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune,
Protée, à qui le Ciel, père de la fortune,

Ne cache aucuns secrets,

Sous diverse figure, arbre, flamme, fontaine,
S'efforce d'échapper à la vue incertaine
Des mortels indiscrets *;

Ou tel que d'Apollon le ministre terrible,
Impatient du Dieu dont le souffle invincible
Agite tous ses sens,

Le regard furieux, la tête échevelée,

Du temple fait mugir la demeure ébranlée
Par ses cris impuissants:

Tel, au premiers accès d'une sainte manie,
Mon esprit alarmé redoute du génie

L'assaut victorieux;

Il s'étonne, il combat l'ardeur qui le possède,
Et voudrait secouer du démon qui l'obsède
Le joug impérieux.5

Mais sitôt que, cédant à la fureur divine,
Il reconnaît enfin du dieu qui le domine
Les souveraines lois,

Alors, tout pénétré de sa vertu suprême,
Ce n'est plus un mortel, c'est Apollon lui-même
Qui parle par ma voix.

LA RENOMMÉE.o

Est-ce une illusion soudaine
Qui trompe mes regards surpris?
Est-ce un songe dont l'ombre vaine
Trouble mes timides esprits?
Quelle est cette déesse énorme,
Ou plutôt ce monstre difforme
Tout couvert d'oreilles et d'yeux,
Dont la voix ressemble au tonnerre,
Et qui, des pieds touchant la terre,
Cache sa tête dans les cieux?
C'est l'inconstante Renommée,
Qui, sans cesse les yeux ouverts,
Fait sa revue accoutumée
Dans tous les coins de l'univers :
Toujours vaine, toujours errante,
Et messagère indifférente

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