Page images
PDF
EPUB

mes qui font imprimées à la fuitte de cette Ode, on trouvera encore une autre petite Ode de ma façon, que je n'avois point jufqu'icy inférée dans mes Ecrits; je fuis bien aise, pour

REMARQUES.

[ocr errors]

pluftôt la peinture de l'Enton. afme. L'Entoufiafme, tel qu'on le conçoit ordinairement eft une agitation violente, qui ne laifle point l'Esprit maître de lui-même. L'Esprit alors eft dans la dépendance abfolue d'une forte de Délire, qui ne lui permet pas de voir les Idées dans ce qu'on appelle leur Ordre naturel. Elles fe préfentent à lui, comme au hafard, en foule, pêlemêle. L'une le frappe plus, l'autre le frappe moins. Le tout conformément au caractère de la Paffion, ou des Paffions, qui cau. fent fon Délire; car ce Délire ne peut être que l'effet d'une Paffion ou de quelques Paffions réunies. Toutes les fois qu'on veut répréfenter, par une Ode, un pareil êtat de l'Esprit, on manqueroit fon but, en fuivant un certain Ordre méthodique, c'eftà-dire, car le terme eft très-équivoque l'Ordre Logique, l'Ordre progreffif du Raifonnement.

Mais toutes les Odes n'ont pas la même peinture à tracer. Toutes les Paffions ne font pas également turbulentes. La même Paffion ne l'eft pas toujours au même degré. Les mouvemens des unes font plus tumultueux. Ceux des autres le font moins. Il en eft qui ne caufent qu'une douce agitation. Il en eft aufli qui ne produifent qu'un véritable calme. Que de fortes différentes d'Entonfiafme! Ne faut-il pas en reTome II.

connoître autant qu'il y a de manières, dont l'Esprit peut être mis hors de fon affiète naturelle ? C'eft tout ce que peut fignifier un Efprit entièrement hors de foi ; termes que nôtre Auteur emploie. Mais qu'eft ce que l'Affiète naturelle de l'Efprit? A la rigueur, il change continuellement d'Affiète, felon qu'il eft différemment affecté par les différens objets extérieurs. Comme il faut cependant avoir un point fixe où l'on puiffe tout ramener après en être parti; donnons le nom d'Affiète naturelle de l'Esprit à toute fituation, quelle qu'elle foit, qui ne l'empêche point de fuivre l'Ordre progreffif du Raisonnement. Avançons ; &, pour être plus précis, fubftituons le terme d'Ame à celui d'Esprit. Il n'y a peut-être point d'inftant où l'Ame foit uniquement occupée de fentir. Peut-être n'estelle jamais fans raisonner. Peutêtre même raifonner & fentir ne diffèrent-ils pas autant qu'on le penfe. Il eft certain du moins que toute Paffion railonne à fa manière, qu'elle a par conféquent fa Méthode propre ; & qu'il réfulte auffi des différentes combinaifons de Paffions une Méthode particulière à chacune de ces combinaisons. Il est encore plus certain que les Paffions, qui répandent le calme dans l'Ame, ne dérangent point cet Ordre progreffif du Raisonnement

T

ne me point brouiller avec les Anglois d'aujourd'hui, de faire icy reffouvenir le Lecteur, que les Anglois que j'attaque dans ce petit

REMARQUES.

auquel feul on a donné, mal-àpropos, le nom d'Ordre naturel des Idées. Or, s'il eft vrai, comme on n'en fauroit douter, que l'Ode eft auffi propre qu'aucun autre Poeme à répréfenter toutes les fituations de l'Ame; qui peut nier qu'il n'y ait des cas où la Poefie Lirique atteint le but de l'Art, imite parfaitement la Nature, en rempliffant un Plan méthodi que, en fuivant l'Ordre de RaiJonnement; en allant de Principe à conféquence? Je conviendrai qu'il peut quelquefois arriver que les exactes liaifons de fens ôtent l'ame à la Poefie Lirique; mais je me garderai bien d'affurer que le Sens ne doive jamais être lié dans l'Ode. Il faut qu'elle ait toujours foin d'offrir des Images; car elle eft encore plus obligée qu'aucun autre genre de Poefie, de peindre tout ce qui peut être peint. Mais l'égard des Liaifons, c'est à la fituation de l'Ame à fervir de règle. Hors les occafions où l'on regarde l'Esprit comme entièrement hors de foi, le manque de Liaisons, autorifé dans l'Ode, ne peut jamais s'étendre jufqu'à mettre de fuite des Idées, qui foient oppofées, ou dont le rapport ne foit pas fenfible. Banniffons l'Ordre de Raisonnement, toutes les fois qu'il peut nuire au feu, que la Situation doit allumer; mais n'uniflons point deux Idées, qui n'êtant pas oppofées, foient féparées par un nombre d'Idées intermédiaires trop grand, pour

[blocks in formation]

les Liaifons grammaticales. Elles ne feroient que retarder une marche, que la forme même de ce Poëme femble forcer d'être toujours plus vive que celle d'aucun autre. Avant d'aller plus loin, je dois avertir que j'emploie le terme de Paffions dans toute l'étendue de fa fignification philofophique, & que j'entens par là toutes les Affec tions de l'Ame, de quelque nature qu'elle puiffent être, foient qu'elles aient leur fiége dans la Volonté, foit qu'elles l'aient dans l'Entendement.

Envain m'objecteroit-on que par une fuite de ce que je viens de dire, toute Ode devroit paroître bonne, & qu'un Auteur auroit toujours à répondre à ses Cenfeurs: j'ai peint la fituation. Vous avés voulu la peindre, lui diroient-ils. L'avés vous peinte réellement? C'est ce qu'il faut voir. Nous avons certainement en nôtre Langue un très-grand nombre de belles Odes. Il y en a même parmi celles de La Mothe. Mais en avons-nous beaucoup de bonnes? Je n'en connois guère qui puiffent foûtenir un examen un peu rigoureux. J'ofe même affurer que dans

Poëme qui eft un Ouvrage de ma premiere jeunelle, ce font les Anglois du temps de Cromwel.

REMARQUES.

cette multitude d'Odes, que les Evénemens de l'année 1744. ont produites, je n'en ai vu qu'une feule, qui gagnât à l'examen, quoiqu'elle eut des défauts, & qu'elle ne fût peut-être pas auffi conftament belle, que quelques autres. Il feroit imprudent de la faire connoître ici; mais je puis avoiier que je dois à l'impreffion, qu'elle a faite fur moi, la connoiflance des Principes que j'expofe dans cette Remarque. Juf

[ocr errors]

ques-là je n'avois jamais bien
démêlé pourquoi la plupart des
Odes du plus célèbre de nos Liri-
ques ne me paroiffoient, l'Har-
monie des Vers & la richefle des
Rimes mifes à part
, que des
Ouvrages affés médiocres.

C'eft fur les Principes, que je viens d'établir plus haut, qu'eft fondé le Précepte, que M. Defa préaux a donné dans fon Art Poëtique par rapport à l'Ode, & qu'il rappelle dans ce DISCOURS.

Son file impetueux fouvent marche au hazard. Chez elle un beau defordre est un effet de l'Art. CE Précepte, qui donne pour regle de ne point garder quelquefois de regles, eft-il effectivement un miftère de l'Art qu'il foit difficile de faire entendre? Je n'y vois qu'une Règle toute fimple de la Nature, Règle qui fe préfente d'elle-même à l'efprit. La Nature exige que la Poefie, qui fait une profeffion particulière d'être fon imitatrice, obferve les Règles qu'elle obferve ellemême. Voilà le miftère révélé. Ce que l'Art peut faire ici, c'eft d'enfeigner tout ce qui peut conduire à la plus parfaite imitation de la Nature. S'il fe renferme toujours dans des Préceptes généraux; il est toujours impar fait, & ne remplit jamais toute l'étendue de fon devoir. Où doitil puifer les véritables Règles de la Poefie Lirique; car il n'eft en ce moment queftion que de celle-là? N'eft-ce pas dans une étude approfondie du Caractère, de la Marche & du Langage des Paf

fions en général, & de chaque Paffion en particulier. C'eft par cette Etude, qu'on reconnoît que le Stile impétueux de l'Ode fuit des Règles certaines, conftantes, invariables & que lorfqu'il paroît le plus ne marcher qu'au hasard, & braver toute Méthode, il eft alors véritablement méthodique; il est le Stile exact & naturel de la Paffion. C'eft cette Etude qui fait comprendre ce que c'eft que ce beau défordre, effet de la Nature, objet d'imitation pour le Poëte: ce défordre, dans lequel M. Defpréaux & tous nos Maîtres font confifter le principal mérite de l'Ode, fans s'être jamais mis en devoir de nous apprendre ce qu'il eft, ni par quelle voie on y parvient dans la pratique. Enfin c'eft cette même Etude, qui peut convaincre que M. Roy, dans fes agréables Réflexions fur l'Ode, s'eft approché de la Vérité, peut-être plus qu'il ne l'a

J'ay joint auffi à ces Epigrammes un Arrest burlefque donné au Parnaffe, que j'ay compofé autrefois, afin de prévenir un Arrest

REMARQUES.

penfé lui-même, quand après avoir décrit ce Poëme tel qu'il le conçoit, il ajoute : L'ordre exact n'est donc pas l'ennemi de L'Entoufafme; peut-être en eft-il le père. Le Sentiment a fon Ordre, dans lequel il range les Idées, comme le Raifonnement a le fien. Le premier de ces deux Ordres & l'Entoufiafme peuvent-ils avoir entre eux une autre différence que celle de la Caufe à l'Effet? M. Roy n'eut donc rien avancé que de très-vrai, s'il eut dit affirmativement, que l'Ordre exact e le père de l'Entoufiafme.

Qu'on ne nous dife donc point que dans une Ode l'Esprit doit paroître pluftót entrainé du Démon de la Poefie que guidé par la Raifon. Tout ce que j'ai dit jufqu'à préfent ne démontre-t-il pas que l'Entonfiafme des Poëtes, ce prétendu Démon de la Poefie, eft uniquement le fruit de la Raifon? S'il refte encore à ce fujet quelque doute, on le fentira pleinement éclairci, dès qu'on voudra faire attention, que cet Entoufiafme Poetique n'eft au fonds que l'imitation d'un Entoufiafme naturel. De quelque manière que l'Ame foit affectée; l'Affection qu'elle éprouve, fait naître en elle un Entoufiafme du même genre que fa caufe. Cet Entou fafme, quel qu'il foit, eft l'objet, que le Poëte fe propofe d'imirer. Qu'il ait deffein, par exemple, de répréfenter une certaine fituation violente de l'Ame; il n'ignore pas qu'il doit offrir par

[ocr errors]

tout dans fon Ode la peinture d'un Entoufiafme violent. Comment le peindra-t-il s'il ne le connoît pas ? Comment le connoîtra-t-il, s'il ne connoît pas tout ce qui concourt à le produire ? Et ces Connoiffances multipliées, qui les lui donnera? Je veux que pour commencer, il n'ait befoin que d'appercevoir en gros fon objet. Ira-t-il loin s'il ne le confidère pas fous toutes fes faces; fi même, pour n'en laifler rien échapper, il ne dêcend pas dans le plus menu détail? Il a donc befoin de méditation, & même d'une méditation profonde, quelque rapide qu'on la veuille fuppofer. La rapidité n'eft point incompatible en elle-même avec la profondeur, & le Génie fait tou jours les allier. C'eft donc par la méditation, que le Poëte parvient à bien connoître tout fon objet, à s'inftruire de tous les êtats, par lefquels l'Ame a paflè de tous les mouvemens, qui l'ont agitée pendant la durée de la fituation qu'il veut peindre. Ces différens êtats, ces différens mouvemens ne peuvent s'imprimer dans l'Imagination du Poete, & s'exciter dans fon Cœur, tels qu'ils ont êté réellement, qu'à mesure qu'il les apperçoit, qu'il les dévelope, qu'il les définit, qu'il les connoît. Que voit-on dans tout cela qui ne foit pas l'ouvrage de la Railon, ou de l'Ame qui raisonne; c'eft la même chofe? Mais de ces diffé

tres-ferieux que l'Univerfité fongeoit à obte nir du Parlement, contre ceux qui enfeigneroient dans les Ecoles de Philofophie, d'autres

[ocr errors]

REMARQUES.

rens êtats de ces différens mouvemens; tout n'eft pas de nature à mériter d'être exprimé dans l'Ode. Ce qui n'eft pas néceffaire à l'impreffion, qu'elle doit opérer, y nuiroit. Il y a donc un choix de Penfees, d'Images, de Sentimens à faire. Et par qui ce choix peut-il être fait, fi ce n'eft par la Raifon? Enfin, ne faut-il pas encore que la Raifon aide l'Imagination & le Coeur à rendre en Expreffions, en Nombre, en Cadence en Harmonie les Images & les Sentimens, qui fe font formés chés eux? Nouvelle preuve que l'Or. dre exact eft le père de l'Entoufiaf me. C'eft la Raifon feule, qui nous fait découvrir cet Ordre de fentiment, qui, produit l'Entoufiafme naturel. C'eft Raifon feu le, qui nous montre à fuivre cet Ordre, à peindre fes effets. C'est donc elle feule, qui donne l'être à l'Entoufiafme Poëtique, qui n'eft que la copie de l'Entonfiaf me naturel.

[ocr errors]
[ocr errors]

Ces Principes & les conféquences, qui peuvent aifément s'en déduire me mettent en droit de m'étonner, qu'un Critique auffi judicieux que M. Defpréaux ne fe foit pas apperçu qu'il décrioit lui-même Pindare , en faifant fervir de fondement aux louanges, qu'il lui donne, des Idées, qui ne peuvent prouver quelque chofe qu'en faveur de ceux qui cenfurent ce Poëte. Si fes beautés extrèmement renfermées dans fa langue,

ne peuvent être facilement Jen ties que des gens, qui fe font un peu familiarifé le Grec; & s'il n'eft pas poffible de faire voir à d'autres Pindare dans Pindare même : ne puis-je pas en conclure que le principal mérite de fes Ouvrages confifte dans la Diction; qu'il n'eft donc qu'un excellent Ecrivain, en prenant ce terme dans fa fignification précife; qu'il n'eft donc qu'un Génie ordinaire, qu'un Poëte médiocre, & que tout ce que je puis faire de mieux pour lui, c'eft de confentir qu'il occupe parmi les Poëtes un rang à peu près pareil à celui qu'Ifocrate tient parmi les Orateurs. Telles font les conféquences qui fuivent natu rellement de ce que M. Def préaux pofe en quelque forte pour principe. Ignoroit-il donc que le Génie eft de toutes les Langues, comme de tous les tems? C'eft lui, qui fait n'emploier que les vraies beautés. Ces beautés ont leur fource dans la Nature où le Génie, conduit par l'Etude va les puifer. C'eft par là qu'elles font toujours ce qu'elles font, dans toutes les Langues & dans tous les tems. Les beautés, qui naiflent de la Diction, ne font qu'accefloires & purement accidentelles. Une chofe a beau paroître belle dans une Langue, fi rendue dans une autre avec toute l'exactitude poffible, elle ceffe de paroître belle;c'eft qu'elle n'avoit en effet, qu'un éclat fuperfi ciel. Elle n'êtoit belle que par le

[ocr errors]
« PreviousContinue »