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peut-être en lisant sa vie qu'il a été plus admiré que connu; que, malgré le fiel répandu dans quelques uns de ses ouvrages polémiques, le sentiment d'une bonté active le dominait toujours; qu'il aimait les malheureux plus qu'il ne haïssait ses ennemis; que l'amour de la gloire ne fut jamais en lui qu'une passion subordonnée à la passion plus noble de l'humanité. Sans faste dans ses vertus, et sans dissimulation dans ses erreurs, dont l'aveu lui échappait avec franchise, mais qu'il ne publiait pas avec orgueil, il a existé peu d'hommes qui aient honoré leur vie par plus de bonnes actions, et qui l'aient souillée par moins d'hypocrisie. Enfin on se souviendra qu'au milieu de sa gloire, après avoir illustré la scène française par tant de chefs-d'œuvre, lorsqu'il exerçait en Europe sur les esprits un empire qu'aucun homme n'avait jamais exercé sur les hommes, ce vers si touchant,

J'ai fait un peu de bien, c'est mon meilleur ouvrage,

était l'expression naïve du sentiment habituel qui remplissait son ame.

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MÉMOIRES

POUR SERVIR

A LA VIE DE M. DE VOLTAIRE,

ÉCRITS PAR LUI-MÊME.

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AVERTISSEMENT

DES ÉDITEURS DE L'ÉDITION DE KEHL.

Nous imprimons ici ces Mémoires singuliers, dont une partie seulement a été refondue dans le Commentaire historique sur les OEuvres de l'auteur de la Henriade.

Voltaire les commença peu de temps après l'aventure de Francfort, et ensuite les abandonna. Il est même très vraisemblable qu'il les avait oubliés, et que même longtemps avant de mourir il n'avait plus l'idée de les laisser après lui.

Une copie trouvée dans ses papiers fut imprimée quelque temps après sa mort; elle fut lue par Frédéric, qui parut insensible à ce qu'elle renfermait d'injurieux, sans doute parceque sa raison lui fit apercevoir que les traits lancés contre son avarice, sa dureté, et ses prétentions poétiques, paraissant renfermer tout ce qu'un sentiment de vengeance avait pu rassembler contre lui, donnaient plus de poids à ce qu'on disait, dans le même ouvrage, de son génie et de son courage.

Ces Mémoires assurent en effet au roi de Prusse tout ce qu'ils ne lui ôtent point; et, dans ce sens, les satires, dont les auteurs sont instruits, et respectent les vraisemblances, servent souvent plus la renommée de ceux qui en sont Pobjet, qu'un silence qui permet quelquefois aux imputations du vulgaire de s'accréditer, et expose les historiens à devenir l'écho des calomnies populaires.

AVIS

DES ÉDITEURS DE L'ÉDITION EN 42 VOLUMES IN-8°.

Ces Mémoires ayant été insérés dans l'édition de Kehl, nous n'avons pas cru devoir les supprimer dans celle-ci; mais il nous a paru convenable de les faire précéder du fragment suivant d'une lettre de M. le marquis de Villette à M. le comte de Guibert, imprimée dans le Recueil de ses œuvres. Paris, 1788, in-8°.

« Il est malheureusement certain que M. de Voltaire est « l'auteur de ces Mémoires; mais il est en même temps cer<< tain qu'il en avait brûlé le manuscrit long-temps avant

❝ sa mort.

« Voici le fait. Après le séjour de M. de Voltaire à Colmar « et à Lausanne, il vint s'établir auprès de Genève. Dégoûté « des intrigues des cours, lassé de la faveur des rois, il y « vivait avec un très petit nombre d'amis, et n'y recevait « que les voyageurs distingués qui fesaient le pèlerinage « des Délices.

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« C'est là que, le cœur gros de l'aventure de Francfort, << il épanchait son ame, comme malgré lui, dans le sein de «l'amitié, et racontait, avec cette grace que vous lui con« naissiez, les détails très piquants de la vie privée et de « l'intérieur domestique de votre héros, qui avait été si << long-temps le sien. Ces auditeurs intimes, ravis de l'ori«ginalité qu'il mettait dans le récit de ces anecdotes, l'in❝ vitèrent à les écrire. En cédant à leurs instances, il obéit ❝ à un ancien mouvement d'humeur.

« Il serre avec grand soin son manuscrit; mais ce beau

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