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Le premier, c'eft la perfection ; & plus l'objet eft compofé, plus le foin qu'a pris la Nature de le rendre accompli nous frappe & nous étonne. (a)

Si l'intention du Poête eft de nous présenter la Nature avec tous fes charmes & dans toute fa beauté poffible, l'emploi de la fiction est de corriger, d'embellir fon modele ; & c'est alors que l'excellence de l'art confifte dans le choix de la belle Nature. La Poefia inveftigatrice e Le Taffe, quafi vaghegiatrice della bellezza. Dans le moral

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ce qui eft le plus digne d'admiration & d'amour,
un Burrhus un Mornai un Télémaque,
une Zaïre, une Cornélie; dans le phyfique, ce
qui peut nous caufer l'émotion du plaifir la plus
pure & la plus fenfible, une vie délicieuse com-
me celle de l'âge d'or, des lieux enchantés
comme Éden, ou comme les ifles Fortunées
fur-tout l'image de ce que nous appellons par
excellence la beauté une taille élégante &
correcte, la douceur, la vivacité, la fenfibilité
la nobleffe toute les
graces réunies dans les

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(a) Nihil ufquam fimplex & incompofitum invenias, quod deletet fenfus mulceat. Tollas compofitionem partium varietatem, tolles pulchritudinem. Ifaac Voffius.

traits du visage, dans la forme & les mouvemens du corps d'une Vénus ou d'un Apollon, Hélene au milieu des vieillards Troyens, Achille au fortir de la cour de Scyros, voilà le merveilleux de la beauté dans le phyfique. Le foin du Poête alors eft de raffembler les plus belles parties dont un compofé naturel foit susceptible; pour en former un tout régulier, & de difpofer les chofes comme la Nature les eût difpofées, fi elle n'avoit eu pour objet que de nous donner un fpectacle enchanteur. La méthode en eft la même dans tous les Arts d'agrément. En Peinture, les Vierges de Raphaël, les Hercules du Guide; en Sculpture, la Vénus pudique & l'Apollon du Vatican, n'avoient point de modele individuel; qu'on fait les Artistes? Ils ont recueilli les beautés éparfes des modeles exiftants, & en ont composé un tout plus parfait que la Nature même. Ce choix tient au principe de la Poéfie, au rapport des objets avec nos organes; & le Poête qui le faifi avec le plus de jufteffe, de délicateffe & de vivacité, excelle dans l'art d'embellir la Nature.

La beauté poétique eft donc quelquefois la même que la beauté naturelle ? Oui, toutes les fois que la Poéfie veut nous caufer les douces émotions de l'amour & de la joie, le plaifir

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hait

pur de nous voir entourés d'Etres formés à foupour nous. On a prétendu que ce genre de fiction n'avoit point de regle, par la raison que l'idée du beau foit en morale, foit en phyfique, n'étoit ni abfolue ni invariable. Quoi qu'il en foit de la beauté phyfique, fur laquelle du moins les nations cultivées font d'accord

depuis trois mille ans

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la beauté morale eft la même chez tous les peuples de la terre. Les Européens ont trouvé une égale vénération pour la juftice, la générofité, la clémence chez les Sauvages du Nouveau-Monde que chez les peuples les plus cultivés, les plus vertueux de ce continent. Le mot du Cacique Guatimofin : « Et moi » fuis-je fur un lit de rofes?» auroit été beau dans l'ancienne Rome; & la réponse de l'un des profcrits de Néron au Liccur: Utinam tu tam fortiter ferias! auroit été admirée dans la cour de Montefuma.

Dans Sadi, Poête Perfan, un fage fait cette priere: «Grand Dieu! ayez pitié des méchants, car vous avez tout fait pour les bons lorfque vous les avez fait bons. » Socrate n'auroit mieux dit.

pas

Le fentiment du beau moral eft donc univerfel & unanime: la Nature en a gravé le modele au fond de nos ames, mais l'idée en eft difficile à

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remplir. Il n'y a point de tableaux parfaits dans la difpofition naturelle des chofes la Nature, dans fes opérations, ne fonge à rien moins qu'à nous plaire, & l'on doit s'attendre à trouver dans le moral autant & plus d'incorrections que dans le phyfique. La clémence d'Augufte envers Cinna eft dégradée par le confeil de Livie; la gloire du conquérant du Mexique eft ternie par une lâche trahifon; l'Hiftoire a peu de caracteres dans lesquels la Poéfie ne foit obligée de diffimuler & de corriger quelque chofe : c'est comme une ftatue de bronze qui fort raboteuse du moule, & qui demande encore le cifeau. Mais qu'on prenne garde en la poliffant de ne pas affoiblir les traits. Il eft arrivé bien fouvent de détruire l'homme en faifant le héros..

Quel eft donc le guide du Poête dans ce genre de fiction? Je l'ai dit, le fentiment du beau moral que la Nature a mis dans nos ames. Il a Fu recevoir quelque quelque altération de l'habitude & du préjugé; mais l'une & l'autre cedent aifément au goût naturel qui n'eft qu'affoupi, & que l'impreffion du beau réveille. Faites lire à l'homme le plus ébloui de l'éclat de fa naiffance le difcours de Marius fur l'obfcurité de la fienne: vous verrez combien le préjugé tient peu contre la vérité de fentiment. Quel eft l'homme opu

lent, s'il n'eft pas ftupide, qui n'admire Fabricius faifant cuire fes légumes & recevant fous un humble toît les Ambaffadeurs de Pyrrhus? Quel eft le lâche voluptueux qui n'eft pas faifi d'un faint respect en voyant Regulus retourner à Carthage? Ce qui peut fe mêler d'opinion & d'habitude dans nos idées fur le beau moral, ne tire donc pas à conféquence, & ne doit fe compter pour rien.

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Mais plus l'idée & le fentiment de la belle Nature font déterminés & unanimes, moins le choix en eft arbitraire; & c'est là ce qui rend fi gliffante la carriere du génie qui s'éleve au parfait, fur-tout dans le moral. Le goût & la raison me femblent plus éclairés dans cette par tie & plus difficiles que jamais. Je ne parle point de cette théorie fubtile, qui recherche s'il eft permis de s'exprimer ainfi, jufqu'aux fibres les plus déliées de l'ame; je parle de ces idées grandes & juftes qui embraffent le fyfteme des paffions, des vices & des vertus dans leurs rapports les plus éloignés. Jamais le coloris, le deffein les nuances d'un caractere n'ont eu des juges plus clair-voyants; jamais par conféquent le Poête n'a eu befoin de plus de lumieres pour exceller dans la fiction morale en beau. Si

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