Voyez la lune monte à travers ces ombrages. Et tu t'épanouis. Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour; Sort mon ancien amour. Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie? 5 Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant; ΙΟ Et rien qu'en regardant cette vallée amie, Je redeviens enfant. Ô puissance du temps! ô légères années! Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets; Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice! Fût si douce à sentir. Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Dante,462 pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère 15 20 25 Est-ce toi qui l'as dit? En est-il donc moins vrai que la lumière existe, 30 Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire, Plus vrai que le bonheur. Eh quoi! l'infortuné qui trouve une étincelle Dans ce passé perdu quand son âme se noie, Et c'est à ta Françoise,463 à ton ange de gloire, D'un éternel baiser! Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine, S'il n'est joie ou douleur si juste et si certaine Comment vivez-vous donc, étranges créatures? Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène Et vous criez alors que la vie est un songe; 5 ΙΟ 15 20 25 Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant, 30 Et vous trouvez fâcheux qu'un si joyeux mensonge Ne dure qu'un instant. Malheureux! cet instant où votre âme engourdie Ce fugitif instant fut toute votre vie; Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre, 5 Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière: Mais que vous revient-il de vos froides doctrines? Oui, sans doute, tout meurt; ce monde est un grand rêve; Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin, Nous n'avons pas plus tôt ce roseau dans la main, Que le vent nous l'enlève. Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments Ils prirent à témoin de leur joie éphémère Tout mourait autour d'eux, l'oiseau dans le feuillage, De leurs traits oubliés; Et sur tous ces débris joignant leurs mains d'argile, Ils croyaient échapper à cet Être immobile ΙΟ 15 20 25 30 - Insensés! dit le sage. — Heureux! dit le poète. Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœur, Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiète, Si le vent te fait peur? J'ai vu sous le soleil tomber bien d'autres choses Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres Porté par Roméo. J'ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère, Une tombe vivante où flottait la poussière De notre mort chéri, De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde, 465 Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire, 5 IO 15 20 Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage, 25 Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle; 30 Mais non il me semblait qu'une femme inconnue En regardant les cieux. Eh bien! ce fut sans doute une horrible misère Eh bien! qu'importe encore? Ô nature! ô ma mère! La foudre maintenant peut tomber sur ma tête; Je m'y tiens attaché. Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent, Je me dis seulement: "A cette heure, en ce lieu, (15 février 1841.) CHANSON DE FORTUNIO Si vous croyez que je vais dire Qui j'ose aimer, Je ne saurais, pour un empire, Vous la nommer. Nous allons chanter à la ronde, Si vous voulez, Que je l'adore et qu'elle est blonde 25 |