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et eut grand' peur quand il vit le monstrueux animal s'approcher de lui à grands pas. Dans sa frayeur mortelle, il se hérissa, fit le gros dos, et se mit à montrer les dents et jouer des griffes au moment où son ennemi avançait le museau. Surpris par cette attaque imprévue, l'ours fit un bond en arrière, gagna lestement l'autre côté de la cour, et n'osa plus s'approcher du malheureux chat que l'on parvint à retirer sain et sauf.

Aujourd'hui, ce sont de jeunes ours bruns qui habitent cette fosse. Trois paraissent être frères et ont été pris dans le Nord. Ils ont un pelage jaunâtre, et ne paraissent pas devoir atteindre une très grande taille. Le quatrième est d'une couleur beaucoup plus foncée. Du reste, les ours de cette espèce varient beaucoup, soit pour la grandeur, soit pour la couleur du pelage, sans pour cela constituer des variétés constantes. Les quatre oursons de cette fosse sont très vifs, joueurs, pleins de gaieté et presque de gentillesse. Quand ils jouent ensemble on ne peut s'empêcher d'être frappé de la ressemblance de leurs gestes et de leurs attitudes avec ceux de deux jeunes enfants. Quelquefois dans les luttes, le vaincu se relève, s'éclipse doucement, puis d'un bond se place sur l'auge et attend son antagoniste dans une posture souvent très grotesque. Si celui-ci approche, avec sa large patte il lui lance aussitôt une nappe d'eau à la figure: alors il faut voir la triste figure du pauvre inondé et ses grimaces comiques. Souvent l'ourson le plus faible à la lutte est le plus habile dans les autres exercices gymnastiques. Il n'attend pas son adversaire sur l'arène, mais après s'être approché de lui en sournois, il lui donne une tape pour l'exciter, s'élance vers l'arbre et y grimpe avec agilité; il s'établit solidement sur une forte branche, et là, une patte en l'air, la gueule ouverte et une expression narquoise dans l'œil, il attend une attaque qu'il est prêt à repousser avec tous les avantages de sa position.

Un jour un enfant laissa tomber sa poupée dans la fosse. La curiosité des oursons fut aussitôt attirée par le joujou, qui leur parut sans doute d'autant plus extraordinaire que peut-être ils lui reconnurent quelque

ressemblance avec une figure humaine: aussi s'en approchèrent-ils d'abord avec beaucoup de méfiance. Après avoir dix fois tourné autour, voyant que l'objet ne remuait pas, ils commencèrent à s'enhardir, puis les gambades et les culbutes allèrent leur train. Le plus hardi allongea doucement la patte, la posa sur la poupée et la retira aussitôt avec vivacité, comme effrayé de l'énormité de son action; ensuite il la considéra, la flaira plusieurs fois et y reporta une seconde fois la patte, mais sans frayeur. Il la prit alors, la tourna, la retourna, et se mit à jouer avec elle sans trop la briser dans le premier moment. Mais ses frères vinrent prendre part au jeu, et bientôt la poupée sauta de patte en patte, de gueule en gueule, laissant là un bras, ici une jambe, son beau tablier de soie accroché à une griffe, sa robe de velours à une dent, son chapeau de paille sur un museau noir, tant et tant qu'à la fin il n'en resta plus que quelques bribes.

Dans la seconde et troisième fosse sont des ours bruns adultes d'une très forte taille, et dont les deux plus gros sont nés dans la Ménagerie. Leur mère était moitié moins grande qu'eux, d'un pelage jaunâtre, et il lui manquait un œil qu'elle avait perdu dans un combat avec un animal de son espèce. Elle eut trois petits

dont elle prit les plus tendres soins. Sans cesse elle était occupée à les lécher, les nettoyer et quand le temps lui paraissait favorable, elle les prenait dans ses bras et les portait au soleil pour les faire jouer. Quoiqu'elle fût excellente mère pour tous trois, il était cependant très visible qu'elle en préférait un, et c'est toujours par celui-là qu'elle commençait à distribuer ses soins et ses caresses. Quand les petits devinrent un peu forts et commencèrent à jouer, ils se mordaient ou s'égratignaient jusqu'à se faire crier, et le jeu finissait presque toujours par une bataille. Aussitôt elle accourait pour séparer les combattants; mais j'ai constamment remarqué qu'à tort ou à raison elle commençait toujours par battre les deux frères de son favori, et que, dans sa plus grande colère, elle se bornait à grogner un peu contre ce dernier. Cependant ces trois enfants, à

C

part ces petits débats, se témoignaient une affection mutuelle qui aurait pu faire honte à certains hommes. Un jour j'en ai vu une preuve des plus curieuses. La mère, je ne sais pourquoi, ne voulait pas qu'un de ses enfants sortît de la loge où elle le tenait prisonnier. Elle s'était placée devant la porte, et chaque fois que le petit faisait mine de vouloir sortir, elle le repoussait dedans avec la patte, et le mordait même quand il avait l'air d'insister. Son favori s'aperçut de cette petite tyrannie, et résolut de délivrer son frère. Il s'approcha de la mère, qui barrait la porte avec son corps, et lui fit quelques unes de ces petites agaceries auxquelles elle avait l'habitude de toujours répondre par quelques caresses. Pendant ce temps le prisonnier cherchait à s'évader, mais en vain ; car l'œil courroucé de la mère ne le quittait pas, et elle interrompait toujours ces jeux avec son favori assez à temps pour repousser l'autre dans le fond de la loge. Alors le bon frère désespérant un moment de libérer son camarade, faisait deux ou trois tours dans la fosse, puis revenait à la charge avec la même manoeuvre, mais toujours sans succès. manége eut lieu cinq ou six fois. Enfin, il imagina, en jouant avec sa mère, d'entrer le derrière de son corps dans la loge, de manière à occuper la porte avec elle; puis tout-à-coup, et toujours en jouant, il s'appuya contre elle de toutes ses forces, la serra contre un des côtés, fit un vide de l'autre, et le prisonnier, profitant lestement, du petit espace que l'autre lui ménageait, s'élança dehors et fut libre. Aussitôt le favori quitta la mère pour caresser son frère. Tout ceci fut fait avec une foule de petits détails qu'il est impossible de raconter, mais qui ne me laissèrent aucun doute sur les intentions et l'intelligence que chacun des trois mit dans cette petite scène de famille. Il est fort remarquable que jamais la mère, tant qu'elle a vécu, n'a perdu son autorité maternelle, même quand ses enfants farent devenus beaucoup plus grands qu'elle.

Ce

UN CABINET D'ANTIQUITÉS.

Au premier coup d'œil les magasins 'offraient un tableau confus, dans lequel toutes les œuvres humaines se heurtaient. Des crocodiles, des singes, des boas empaillés, souriaient à des vitraux d'église, semblaient vouloir mordre des bustes, courir après des laques, grimper sur des lustres.

Un vase de Sèvres où Madame Jaquotot avait peint Napoléon se trouvait auprès d'un sphinx dédié à Sésostris. . . .Le commencement du monde et les événements d'hier se mariaient avec une grotesque bonhomie. Un tournebroche était posé sur un ostensoir, un sabre républicain sur une haquebute du moyen âge.

Les instruments de mort, poignards, pistolets curieux, armes à secret, étaient jetés pêle-mêle avec les instruments de vie, soupières en porcelaine, assiettes de Saxe, tasses orientales venues de Chine, drageoirs féodaux. Un vaisseau d'ivoire voguait à pleines voiles sur le dos d'une immobile tortue. . . .Une machine pneumatique éborgnait l'Empereur Auguste, qui ne s'en fâchait pas.

Plusieurs portraits d'échevins français, de bourguemestres hollandais, insensibles, comme pendant leur vie, s'élevaient au-dessus de ce chaos d'antiquités, en y lançant un regard pâle et froid.

Tous les pays de la terre semblaient avoir apporté là un débris de leurs sciences, un échantillon de leurs arts. C'était un espèce de fumier philosophique auquel rien ne manquait, ni le calumet du sauvage, ni la pantoufle vert-et-or du sérail, ni le yatagan du Maure, ni l'idole des Tartares. Il y avait jusqu'à la blague à tabac du soldat, jusqu'au ciboire du prêtre, jusqu'aux plumes d'un trône. Ces monstrueux tableaux étaient soumis à mille accidents de lumière, par la bizarrerie d'une multitude de reflets dus à la-confusion des nuances, à la brusque opposition des jours et des ténèbres. L'oreille croyait entendre des cris interrompus; l'esprit, saisir des drames inachevés ; l'œil, apercevoir des lueurs mal étouffées.

Enfin une poussière obstinée imprimait des expressions capricieuses à tous ces objets dont les angles mul

tipliés et les sinuosités nombreuses produisaient les effets les plus pittoresques.

Les plus coûteux caprices de dissipateurs morts sous des mansardes étaient là. . . . C'était le bazar des folies humaines. Une écritoire payée jadis cent mille francs et rachetée pour cent sous, gisait auprès d'une serrure dont le prix de fabrication aurait suffi à la rançon d'un roi.

Là, le génie humain paraissait dans toutes les pompes de sa misère, dans toutes la gloire de ses petitesses gigantesques.

H. DE BALZAC.

COMBAT D'UN GLADIATEUR CONTRE UN TIGRE DANS UN AMPHITHÉÂTRE D'ALEXANDRIE.

On avait établi, selon l'usage, surtout sous le ciel d'Afrique, au haut des gradins, des poteaux surmontés le piques dorées, auxquels étaient attachées des voiles de pourpre retenues par des nœuds de soie et d'or. Ces voiles étendues formaient, au-dessus des spectateurs, une vaste tente circulaire, dont les reflets éclatants donnaient à tous ces visages africains une teinte animée, en parfaite harmonie avec leur expression vive et passionnée. Au-dessus de l'arène, le ciel était libre et vide, et des flots de lumière qui en descendaient, comme par la coupole dans le Panthéon d'Agrippa, se répandaient largement de tous côtés, et ne laissaient rien perdre, aux yeux ravis, ni des colonnes, ni des statues, ni des vases de bronze et d'or, ni de ces joyaux brillants dont la parure des femmes et des jeunes filles étincelait.

Soixante mille spectateurs avaient trouvé place; soixante mille autres erraient autour de l'enceinte, et ils se renvoyaient les uns aux autres ce vague tumulte où rien n'est distinct, ni fureur ni joie; l'amphithéâtre ressemblait à un vaisseau dans lequel la vague a pénétré, et qu'elle a rempli jusqu'au pont, tandis que

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