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SCENE VI.

MONSIEUR JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, DORANTE, NICOLE.

M. JOURDAIN.

Voilà deux cens Louis bien comptez..

DORANTĒ.

Je vous affure, Monfieur Jourdain, que je fuis tout à vous, & que je brûle de vous rendre un fervice àla Cour.

M. JOURDAIN.

Je vous fuis trop obligé.

DORAN TE.

Si Madame Jourdain veut voir le divertiffement Royal, je luy feray donner les meilleures places de la falle.

Me. JOURDAIN. Madame Jourdain vous baife les mains. DORANTE, bas à Monfieur Jourdain. Nôtre belle Marquife, comme je vous ay mandé par mon biller, viendra tantôt ici pour le ballet & Te repas; je l'ay fait confentir enfin au cadeau que vous luy voulez donner:

M. JOURDAIN.
Tirons-nous un peu plus loin, pour cause.

DORANTE.

Il y a huit jours que je ne vous ay veu, & je ne Vous ay point mandé de nouvelles du diamant que vous me mîtes entre les mains, pour luy en faire prefent de vôtre part; mais c'eft que j'ay eu toutes les peines du monde à vaincre fon fcrupule, & ce n'eft que d'aujourd'huy qu'elle s'eft refoluë à l'ac

cepter.

M. JOURDAIN.

Comment l'a-t-elle trouvé?

DORANTE.

Merveilleux; & je me trompe fort, ou la beauté de ce diamant fera pour vous fur fon efprit un effet admirable.

M. JOURDAIN.

Plût au Ciel!

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Me. JOURDAIN.

Quand il eft une fois avec luy, il ne peut le quit

er.

DORANT E.

Je luy ay fait valoir comme il faut la richeffe de ce réfent, & la grandeur de vôtre amour.

M. JOURDAIN.

Ce font, Monfieur, des bontez qui m'accablent; je fuis dans une confufion la plus grande du mon, de voir une perfonne de votre qualité s'abaiffer our moy à ce que vous faites.

DORANTE.

Vous moquez-vous? Eft-ce qu'entre amis on s'arte à ces fortes de fcrupules? Et ne feriez-vous pas our moy la même chofe fi l'occasion s'en offroit? M. JOURDAIN. Ho affûrement, & de trés-grand cœur.

Me. JOURDAIN.

Que fa préfence me péfe fur les épaules!
DORANT E.

Pour moy, je ne regarde rien, quand il faut ferirumamy; & lors que vous me fites confidence de ardeur que vous aviez prife pour cette Marquife gréable, chez qui j'avois commerce, vous vites que 'abord je m'offris de moy-même à fervir vôtre

mour.

M. JOURDAIN.

rl eft vray,

lent.

ce font des bontez qui me confon

Me. JOURDAIN.

Eft-ce qu'il ne s'en ira point?

NICOLE

Ils fe trouvent bien enfemble.

DORANT E.

Vous avez pris le bon biais pour toucher fon cœur.. Les femmes aiment fur tout les dépenfes qu'on fait pour elles; & vos fréqentes férénades

& vos

bouquets continuels, ce fuperbe feu d'artifice qu'elle trouva fur l'eau, le diamant qu'elle a receu de vôtre part, & le cadeau que vous luy préparez, tout cela luy parle bien mieux en faveur de vôtre amour, que toutes les paroles que vous auriez pû luy dire vous-même.

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M. JOURDAIN.

Il n'y a point de dépenfes que je ne fiffe, fi par là je pouvois trouver le chemin de fon cœur. Une femme de qualité a pour moy des charmes raviffans, & c'eft un honneur que j'acheterois au prix de toutes chofes.

Me. JOURDAIN

Que peuvent-ils tant dire enfemble? Va-t-en un peu tout doucement prêter l'oreille.

DORANTE.

Ce fera tantôt que vous joüirez à vôtre aise du plaifir de fa veuë, & vos yeux auront tout le temps de fe fatisfaire.

M. JOURDAIN.

Pour être en pleine liberté, j'ay fait en forte que ma femme ira diner chez ma Soeur, où elle paffera toute l'apredinée.

DORANTÉ.

Vous avez fait prudemment, & vôtre femme auroit pû nous embarraffer. J'ay donné pour vous l'or dre qu'il faut au cuifinier, & à toutes les chofes qui font néceffaires pour le Ballet. Il eft de mon inven tion; & pourveu que l'exécution puiffe répondre à l'idée, je fuis feur qu'il fera trouvé...

M. JOURDAIN, s'apperçoit que Nicole écon te, & lui donne un foufflet.

Ouais, vous étes bien impertinente. Sortons, s'il vous plaît.

SCENE VII.

MADAME JOURDAIN, NICOLE

NICOLE.

MA foy, Madame, la curiofité m'a coûte quel que chofe; mais je croy qu'il y a quelque an guille fous roche, & ils parlent de quelque affaire,où ils ne veulent pas que vous foyez.

Me. JOURDAIN.

Ce n'eft pas d'aujourd'huy. Nicole, que j'ay conceu des foupçons de mon mari. Je fuis la plus trom pée du monde, ou il y a quelque amorr en campa gne, & je travaille à découvrir ce que ce peut

être,

Mais fongeons à ma Fille. Tu fçais l'amour que
Cléonte a pour elle. C'eft un homme qui me re-
vient, & je veux aider fa recherche, & luy donner
Lucile, fi je puis.
NICOL E.

En vérité, Madame, je fuis la plus ravie du monde, de vous voir dans ces fentimens ; car fi le Maître vous revient, le valet ne me revient pas moins, & je fouhaiterois que nôtre mariage se pût faire à l'ombre du leur.

Me. JOURDAIN

Va-t-en luy parler de ma part, & luy dire que tout à l'heure il me vienne trouver, pour faire ensemble à mon mary la demande de ma fille.

NICOL E.

Py cours, Madame, avec joye, & je ne pouvois recevoir une commiffion plus agréable. Je vay, je pense, bien réjouir les gens.

A

SCENE

VIII.

CLEONTE, COVIELLE, NICOLE.

NICOL E.

H vous voilà tous à propos. Je fuis une Ambassadrice de joye, & je viens...

CLEON TE.

Retire-toy, perfide, & ne me vien point amuser avec tes traîtreffes paroles.

NICOLE.

Eft-ce ainfi que vous recevez...

CLEONTE

Retire-toy, te dis-je, & va-t-en dire de ce pas à ton infidelle Maîtreffe, qu'elle n'abusera de fa vie le trop fimple Cléonte.

NICOLE.

Quel vertigo eft-ce donc-là? Mon pauvre Covielle, dy moy un peu ce que cela veut dire?

COVIELLE.

Ton pauvre Covielle, petite fçelerate ? Allons vite, ôte-toy de mes yeux, vilaine, & me laiffe en repos.

NICOL E.

Quoy, tu me viens auffi....

COVIELLE.

Ote-toy de mes yeux, te dis-je, & ne me parle

de ta vie.

NICOL F.

Ouais! Quelle mouche les a piquez tous deux? Allons de cette belle hiftoire informer ma Mai treffe.

SCENE IX.

CLEONTE, COVIELLE

CLEON TE.

QUoy, traiter un amant de la forte; & un amant le plus fidelle, & le plus paffionné de tous les

amans?

COVIELLE. C'est une chofe épouvantable, que ce qu'on nous fait à tous deux.

CLEONTE.

Je fais voir pour une perfonne toute l'ardeur, & toute la tendreffe qu'on peut imaginer; Je n'aime rien au monde qu'elle, & je n'ay qu'elle dans l'ef prit Elle fait tous mes foins, tous mes défirs, toute ma joye; je ne parle que d'elle, je ne pense qu'à elle, je ne fais des fonges que d'elle, je ne refpire que par elle, mon cœur vit tout en elle; & voilà de tant d'amitié la digne recompenfe! je fuis deux jours fans la voir, qui font pour moy deux fiécles effroy bles; je la rencontre par hazard; mon coeur à cette veuë fe fent tout tranfporté, majoy e éclate fur mon vifage; je vole avec raviffement vers elle; & l'in fidelle détourne de moy fes regards, & paffe brufquement comme fi de fa vie elle ne m'avoit veu !!

COVIELLE.

Je dis les mêmes chofes que vous.

CLEONTE.

Peut-on rien voir d'égal, Covielle, à cette perfi die de l'ingrate Lucile ?

CO

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