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LETTRE

DE

L'ARCHEVEQUE DE CANTORBERI,

A L'ARCHEVEQUE DE PARIS.

J'AI reçu, Milord, votre mandement contre le grand

Bélifaire, général d'armée de Juftinien, et contre M. Marmontel de l'académie française, avec vos armoiries placées en deux endroits, furmontées d'un grand chapeau, et accompagnées de deux pendans de quinze houpes chacun, le tout figné Chriftophe, par monfeigneur la Touche, avec paraphe.

Nous ne donnons nous autres de mandemens que fur nos fermiers; et je vous avoue, Milord, que j'aurais défiré un peu plus d'humilité chrétienne dans votre affaire. Je ne vois pas d'ailleurs pourquoi vous affectez d'annoncer dans votre titre, que vous condamnez M. Marmontel de l'académie françaife.

Si ceux qui ont rédigé votre mandement ont trouvé qu'un général d'armée de Juflinien ne s'expliquait pas en théologien congru de votre communion, il me femble qu'il fallait vous contenter de le dire fans compromettre un corps refpectable, compofé de princes du fang, de cardinaux, de prélats comme vous, de ducs et pairs, de maréchaux de France,

de magiftrats et des gens de lettres les plus illuftres. Je pense que l'académie française n'a rien à démêler avec vos difputes théologiques.

Permettez-moi encore de vous dire que fi nous donnions des mandemens dans de pareilles occafions, nous les ferions nous-mêmes.

J'ai été fâché que votre mandataire ait condamné cette propofition de ce grand capitaine Belifaire: DIEU eft terrible aux méchans, je le crois, mais je fuis bon.

Je vous affure, Milord, que fi notre roi, qui eft le chef de notre Eglife, difait: Je fuis bon, nous ne ferions point de mandement contre lui. Je fuis bon veut dire, ce femble, par tout pays, j'ai le cœur bon, j'aime le bien, j'aime la justice, je veux que mes fujets foient heureux. Je ne vois point du tout qu'on doive être damné pour avoir le cœur bon. Le roi de France (à ce que j'entends dire à tout le monde) eft très-bon, et fi bon qu'il vous a pardonné des désobéissances réitérées qui ont troublé la France, et que toute l'Europe n'a pas regardées comme une marque d'un efprit bien fait. Vous êtes, fans doute, affez bon pour vous en repentir.

Nous ne voyons pas que Bélifaire foit digne 'de l'enfer pour avoir dit qu'il était un bon homme. Vous prétendez que cette bonté eft une hérésie, parce que St Pierre, dans fa première épître, ch. V, v. 5, a dit que DIEU refifle aux fuperbes. Mais celui qui a fait votre mandement n'a guère penfé à ce qu'il écrivait. DIEU réfifte, je le veux; la réfiftance fied bien à DIEU; mais à qui réfifte-t-il felon Pierre ? lifez, de grâce, ce qui précède, et vous verrez qu'il

réfifte aux prêtres qui paiffent mal leur troupeau, et fur-tout aux jeunes qui ne font pas foumis aux vieillards. Infpirez-vous, dit-il, l'humilité les uns aux autres, car DIEU refifle aux fuperbes.

Or, je vous demande quel rapport il y a entre cette résistance de DIEU et la bonté de Belifaire? Il eft utile de recommander l'humilité, mais il faut auffi recommander le fens commun.

On eft bien étonné que votre mandataire ait critiqué cette expreffion humaine et naïve de Bélifaire : Efl-il befoin qu'il y ait tant de réprouvés? Non-feulement vous ne voulez pas que Bélifaire foit bon, mais vous voulez auffi que le DIEU de miféricorde ne foit pas bon. Quel plaifir aurez-vous, s'il vous plaît, quand tout le monde fera damné? Nous ne fommes point fi impitoyables dans notre île. Notre prédéceffeur le grand Tillotson, reconnu pour le prédicateur de l'Europe le plus fenfé et le moins déclamateur, a parlé comme Bélifaire dans prefque tous fes fermons. Vous me permettrez ici de prendre fon parti. Soyez damnés fi vous le voulez, Milord, vous et votre mandataire ; j'y confens de tout mon cœur; mais je vous avertis que je ne veux point l'être, et que je fouhaiterais auffi que mes amis ne le fuffent point; il faut avoir un peu de charité.

J'aurais bien d'autres chofes à dire à votre mandataire; je lui recommanderais fur-tout d'être moins ennuyeux. L'ennui eft toujours mortel pour les mandemens; c'eft un point effentiel auquel on ne prend pas affez garde dans votre pays.

Sur ce, mon cher confrère, je vous recommande

à

à la bonté divine, quoique le mot de bon vous faffe tant de peine.

Votre bon confrère l'archevêque de Cantorbéri.

POST-SCRIPTU M.

QUAND Vous écrirez à l'évêque de Rome, faiteslui je vous prie, mes complimens; j'ai toujours beaucoup de confidération pour lui en qualité de frère. On me mande qu'il a effuyé, depuis peu, quelques petits défagrémens; qu'un cheval de Naples a donné un terrible coup de pied à fa mule; qu'une barque de Venise a ferré de près la barque de Saint-Pierre; et qu'un fromage du Parmesan lui a donné une indigeftion violente : j'en fuis fâché. On dit que c'eft un bon homme, pardonnez-moi ce mot. J'ai fort connu fon père dans mon voyage d'Italie; c'était un bon banquier; mais il paraît que le fils n'entend pas fon compte.

LA PROPHETIE

DE

LA SORBONNE,

De l'an 1530, tirée des manufcrits de M. BALUZE,

tome Ier, page 117.

Au
U Prima Menfis tu boiras
D'affez mauvais vin largement.
En mauvais latin parleras
Et en français pareillement.
Pour et contre clabauderas
Sur l'un et l'autre teftament.
Vingt fois de parti changeras
Pour quelques écus feulement. (a)
Henri quatre tu maudiras

Quatre fois folennellement. (b)

La mémoire tu béniras

Du bienheureux Jacques Clément. (c)

(a) On a encore à Londres les quittances des docteurs de forbonne, confultés le 2 juillet en 1530, fur le divorce de Henri VIII, par Thomas Krouk, agent de ce tyran, qui délivra l'argent aux docteurs.

(b) Il y eut quatre principaux libelles de la forbonne, appelés décrets, qui méritaient le dernier fupplice. Le plus violent eft du 7 mai 1590. On y déclare excommunié et damné le grand Henri IV, ainsi que tous les fujets fidèles.

(c) Le moine Jacques Clément, étudiant en forbonne, ne voulut entreprendre fon faint parricide, que lorfque foixante et onze docteurs eurent déclaré unanimement le trône vacant, et les fujets déliés du ferment de fidélite, le 7 janvier 1589.

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