Et je reste debout sous tes sacrés portiques, Quand ton peuple fidèle, autour des noirs arceaux, Se courbe en murmurant sous le vent des cantiques, Comme au souffle du nord un peuple de roseaux. Je ne crois pas, ô Christ! à ta parole sainte: Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux. D'un siècle sans espoir naît un siècle sans crainte; Les comètes du nôtre ont dépeuplé les cieux. Maintenant le hasard promène au sein des ombres De leurs illusions les mondes réveillés;
L'esprit des temps passés, errant sur leurs décombres, Jette au gouffre éternel tes anges mutilés.
Les clous du Golgotha te soutiennent à peine; Sous ton divin tombeau le sol s'est dérobé:
Ta gloire est morte, ô Christ! et sur nos croix d'ébène
Ton cadavre céleste en poussière est tombé!
Eh bien! qu'il soit permis d'en baiser la poussière
Au moins crédule enfant de ce siècle sans foi,
Et de pleurer, ô Christ! sur cette froide terre
Qui vivait de ta mort, et qui mourra sans toi! Oh! maintenant, mon Dieu, qui lui rendra la vie? Du plus pur de ton sang tu l'avais rajeunie; Jésus, ce que tu fis, qui jamais le fera?
Nous, vieillards nés d'hier, qui nous rajeunira?
Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire Voltige-t-il encor sur tes os décharnés?
Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire; Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés. Il est tombé sur nous, cet édifice immense Que de tes larges mains tu sapais nuit et jour. La Mort devait t'attendre avec impatience, Pendant quatre-vingts ans que tu lui fis ta cour; Vous devez vous aimer d'un infernal amour. Ne quittes-tu jamais la couche nuptiale Où vous vous embrassez dans les vers du tombeau, Pour t'en aller tout seul promener ton front pâle
Dans un cloître désert ou dans un vieux château? Que te disent alors tous ces grands corps sans vie, Ces murs silencieux, ces autels désolés,
Que pour l'éternité ton souffle a dépeuplés? Que te disent les croix? que te dit le Messie? Oh! saigne-t-il encor, quand, pour le déclouer,
Sur son arbre tremblant, comme une fleur flétrie, Ton spectre dans la nuit revient le secouer? Crois-tu ta mission dignement accomplie, Et comme l'Éternel, à la création,
Trouves-tu que c'est bien, et que ton œuvre est bon?
Poète, prends ton luth et me donne un baiser; La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore. Le printemps naît ce soir; les vents vont s'embraser;
Et la bergeronnette, en attendant l'aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.
Poète, prends ton luth; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant.
Écoute! tout se tait; songe à la bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir: l'immortelle nature Se remplit de parfums, d'amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.
Pourquoi mon cœur bat-il si vite? Qu'ai-je donc en moi qui s'agite Dont je me sens épouvanté? Ne frappe-t-on pas à ma porte? Pourquoi ma lampe à demi morte M'éblouit-elle de clarté?
Dieu puissant! tout mon corps frissonne. Qui vient? qui m'appelle? - Personne. Je suis seul; c'est l'heure qui sonne; O solitude? ô pauvreté!
Poète, prends ton luth; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet; la volupté l'oppresse, Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu.
O paresseux enfant! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,
Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras? Ah! je t'ai consolé d'une amère souffrance!
Hélas! bien jeune encor, tu te mourais d'amour. Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance; J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour.
Où vive encor l'amour de moi! Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde, C'est toi, ma maîtresse et ma sœur! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d'or qui m'inonde Les rayons glisser dans mon cœur.
Poète, prends ton luth; c'est moi, ton immortelle, Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton cœur ; Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu; chantons dans tes pensées, 15 Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu. Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l'on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos,459 et Ptéléon, ville des hécatombes, Et Messa, la divine, agréable aux colombes, Et le front chevelu du Pélion changeant, Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer? D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ? 480 Prends ton luth! prends ton luth! je ne peux plus me taire; Mon aile me soulève au souffle du printemps.
Le vent va m'emporter; je vais quitter la terre. Une larme de toi! Dieu m'écoute; il est temps.
S'il ne te faut, ma sœur chérie, Qu'un baiser d'une lèvre amie Et qu'une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu'il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l'espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter parler le cœur.
Crois-tu donc que je sois comme le vent d'automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau? O poète! un baiser, c'est moi qui te le donne. L'herbe que je voulais arracher de ce lieu, C'est ton oisiveté; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du cœur; Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète! Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goîtres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée,
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