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suya; ce n'est pas qu'il les méprise; il paraît, au contraire, en sentir la force et la justesse. Néanmoins il les écrit ; il en fait une partie de son ouvrage même; il emploie tout son esprit à les bien saisir, à les bien rendre ; il ne s'y épargne pas; il s'attaque et ne se défend pas. Eclairé et animé par la critique des bons juges, qu'il avait soulevés, en exprimant les plaintes des héros contre les idées et les discours qu'il leur avait prêtés, il conçoit mieux leur âme et leur génie ; et, cette fois, il n'est pas toujours indigne de les faire parler. Ce courage de l'auteur contre lui-même, me paraît un des traits les plus remarquables de son caractère personnel.

Je respecte la réputation plus juste, dont jouit encore le livre des Mondes. Je suis loin de contester l'utile nouveauté de son dessein et l'agrément de l'exécution. Sans doute, c'était une belle et heureuse idée, que celle d'apprendre aux gens du monde, qu'ils pouvaient pénétrer dans les sciences; et aux savans, qu'ils pouvaient se faire entendre des gens du monde ; et jamais on n'a porté plus de clarté, de précision et d'élégance, dans le développement d'une science, qui n'avait

su encore se produire, qu'avec la langue des mathématiques. A ces deux égards, les Mondes resteront un des beaux livres de notre littérature. Mais celui-ci, en donnant un bon exemple, n'a-t-il pas donné un mauvais modèle?

Le sujet appelait de hautes idées, de riches images; il demandait un style animé et majestueux. Quel est le ton que Fontenelle y a porté? Celui d'une froide galanterie. Il met en scène deux interlocuteurs, un philosophe et une femme. Mais le philosophe, au lieu d'élever son âme par la magnificence des objets qu'il décrit, n'ose même en parler avec la dignité qui leur est propre; il se fait un bel esprit de toilette, pour parler du mouvement des astres! Cette femme, à qui il pouvait donner une envie de connaître, d'autant plus intéressante, qu'alors encore son sexe était obligé de l'immoler à un sot préjugé; cette femme, dont l'imagination pouvait s'exalter dans les augustes révélations d'une science toute poétique et toute religieuse, à peine daigne-t-elle s'intéresser lois de l'univers! Elle les écoute, avec une curiosité avide; elle les pénètre, avec

aux

une rare sagacité; mais elle ne sait jamais. les admirer; elle semble n'avoir cherché qu'une nouvelle occasion de cet importun badinage, qui était, apparemment, le ton de sa société ! N'est-ce pas là dégrader les sciences, plutôt que les embellir? Si l'auteur de l'Histoire naturelle avait pris ce ton et ce style, aurait-il mérité sa gloire; ou plutôt n'aurait-il pas tout gâté, et dans les sciences et dans la littérature? Les ornemens que l'on prête aux sciences, doivent être dignes d'elles; ou elles doivent les rejeter.

Veut-t-on voir en ceci l'auteur condamné par lui-même? Il faut lire l'Histoire des sciences et les Éloge des savans. Alors son talent, interprète des sciences, et entre elles et envers le public, s'était épuré et agrandi dans ce commerce.

La vie personnelle de Fontenelle ressemble à ses ouvrages; elle offre plus de sagesse et d'habileté que de grandeur; il a droit à l'estime, au respect même. Mais, en rendant hommage à la pureté de sa conduite; à des actions, à des paroles mémorables, on voit encore quelque chose de trop calculé

dans ses vertus; et il semble qu'on doit à la morale, de ne louer un tel philosophe, qu'à condition d'en préférer un moins occupé de son repos, dans la recherche et la défense de la vérité; et plus entraîné par les bons sentimens.

DEUX FEMMES,

(NON PAS ILLUSTRES, MAIS CÉLÈBRES),

ET QUI NE SE RESSEMBLAIENT PAS.

Mme. ÉLIE DE BEAUMONT,

Auteur du roman du Marquis de Roselle (*), et épouse de l'avocat célèbre de ce nom.

La vie d'une femme de bien, qui ne s'est pas trouvée dans des situations extraordires, est rarement composée de faits mémorables. Les bonnes actions y sont de tous les momens ; et s'y perdent dans la paisible succession des mêmes devoirs, toujours fidèlement remplis.

La mode est venue de déshonorer, en quelque sorte, les bonnes actions, en les

(*) J'ai, dans mes morceaux du Critique littéraire, un extrait de ce roman.

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