Lui dit: Cher compagnon, baisse-toi, je te prie! Je prendrai mon diner dans le panier au pain. Point de réponse; mot (1): le roussin d'Arcadie Craignit qu'en perdant un moment Il ne perdit un coup de dent.
Il fit longtemps la sourde oreille; Enfin il répondit: Ami, je te conseille D'attendre que ton maître ait fini son sommeil ; Car il te dounera sans faute, à son réveil, Ta portion accoutumée :
11 ne saurait tarder beaucoup. Sur ces entrefaites, un loup
Sort du bois, et s'en vient autre bete affamée. L'âne appelle aussitôt le chien à son secours. Le chien ne bouge et dit: Ami, je te conseille De fuir en attendant que ton maître s'éveille; Il ne saurait tarder: détale vite et cours. Que si le loup t'atteint; casse-lui la màchoire; On t'a ferré de neuf; et, si tu veux m'en croire, Tu l'étendras tout plat (2). Pendant ce beau discours, Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.
Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.
Un marchand grec en certaine contrée Faisait trafic. Un bassa (3) l'appuyait; De quoi le Grec en bassa le payait, Non en marchand: tant c'est chère denrée
(1) Ellipse, pour pas un mot selon les uns; selon d'autres, mot est ici pour motus, interjection familière qui commande le silence. Nous inclinons dans le dernier sens.
(2) Raillerie cruelle, mais l'âne la mérite.
(3) Bassa, bacha ou pacha, gouverneur de province chez
Qu'un protecteur! Celui-ci coûtait tant, Que notre Grec s'allait partout plaignant. Trois autres Turcs d'un rang moindre en puissance Lui vont offrir leur support en commun. Eux trois voulaient moins de reconnaissance Qu'à ce marchand il n'en coûtait pour un. Le Grec écoute, avec eux il s'engage. Et le bassa de tout est averti :
Même on lui dit qu'il jouera, s'il est sage, A ces gens-là quelque méchant parti, Les prévenant, les chargeant d'un message Pour Mahomet droit en son paradis, Et sans tarder; sinon ces gens unis Le préviendront, bien certains qu'à la ronde Il a des gens tout prêts pour le venger: Quelque poison l'enverra protéger
Les trafiquants qui sont en l'autre monde. Sur cet avis, le Turc se comporta
Comme Alexandre (1), et, plein de confiance, Chez le marchand tout droit il s'en alla, Se mit à table. On vit tant d'assurance
En son discours et dans tout son maintien, Qu'on ne crut point qu'il se doutât de rien. Ami, dit-il, je sais que tu me quittes; Même l'on veut que j'en craigne les suites; Mais je te crois un trop homme de bien; Tu n'as pas l'air d'un donneur de breuvage (2). Je n'en dis pas là-dessus davantage. Quant à ces gens qui pensent t'appuyer, Ecoute-moi sans tant de dialogue Et de raisons qui pourraient t'ennuyer, Je ne te veux conter qu'un apologue.
Il était un berger, son chien et son troupeau. Quelqu'un lui demanda ce qu'il prétendait faire D'un dogue de qui l'ordinaire Etait un pain entier. Il fallait bien et beau
(1) Ce prince avala sans hésiter un breuvage que lui présentait son médecin Philippe, au moment même où on venait de l'avertir par lettre que celui-ci voulait l'empoisonner.
Donner cet animal au seigneur du village. Lui, berger, pour plus de ménage (1) Aurait deux ou trois mâtinaux,
Qui, lui dépensant moins, veilleraient aux troupeaux Bien mieux que cette bête seule.
Il mangeait plus que trois; mais on ne disait pas Qu'il avait aussi triple gueule
Quand les loups livraient des combats. Le berger s'en défait; il prend trois chiens de taille A lui dépenser moins, mais à fuir la bataille. Le troupeau s'en sentit; et tu te sentiras Du choix de semblable canaille.
Si tu fais bien, tu reviendras à moi. Le Grec le crut. Ceci montre aux provinces Que, tout compté, mieux vaut en bonne foi S'abandonner à quelque puissant roi Que s'appuyer de plusieurs petits princes.
L'Avantage de la Science,
Entre deux bourgeois d'une ville S'émut (2) jadis un différend: L'un était pauvre, mais habile; L'autre riche, mais ignorant. Celui-ci sur son concurrent Voulait emporter l'avantage; Prétendait que tout homme sage Etait tenu de l'honorer.
C'était tout homme sot: car pourquoi révérer Des biens dépourvus de mérite? La raison m'en semble petite. Mon ami, disait-il souvent Au savant,
Vous vous croyez considérable;
Mais, dites-moi, tenez-vous table?
Que sert à vos pareils de lire incessamment (1)? Ils sont toujours logés à la troisième chambre (2), Vetus au mois de juin comme au mois de décembre, Ayant pour tout laquais leur ombre seulement. La république a bien affaire
De gens qui ne dépensent rien.
Je ne sais d'homme nécessaire
Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien. Nous en usons, Dieu sait! notre plaisir occupe L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe, Et celle qui la porte, et vous qui dédiez A messieurs les gens de finance
De méchants livres bien payés. Ces mots remplis d'impertinence Eurent le sort qu'ils méritaient. L'homme lettré se tut; il avait trop à dire. La guerre le vengea bien mieux qu'une satire. Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient; L'un et l'autre quitta la ville. L'ignorant resta sans asile;
Il reçut partout des mépris:
L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle. Ceci décida leur querelle.
Laissez dire les sots: le savoir a son prix.
Jupiter et les Tonnerres.
Jupiter, voyant nos fautes, Dit un jour du haut des airs: Remplissons de nouveaux hôtes Les cantons de l'univers
(1) Sans cesse.
(2) Au troisième étage.
Habités par cette race
Qui m'importune et me lasse. Va-t'en, Mercure (1), aux enfers, Amène-moi la Furie
La plus cruelle des trois. Race que j'ai trop chérie, Tu périras cette fois! Jupiter ne tarda guère A modérer son transport.
O vous, rois qu'il voulut faire Arbitres de notre sort, Laissez, entre la colère Et l'orage qui la suit, L'intervalle d'une nuit.
Le Dieu dont l'aile est légère, Et la langue a des douceurs, Alla voir les noires sœurs (2). A Tisiphone et Mégère Il préféra, ce dit-on, L'impitoyable Alecton. Ce choix la rendit si fière, Qu'elle jura par Pluton
Que toute l'engeance humaine Serait bientôt du domaine Des déités de là-bas. Jupiter n'approuva pas
Le serment de l'Euménide (3). Il la renvoie; et pourtant Il lance un foudre à l'instant Sur certain peuple perfide. Le tonnerre, ayant pour guide Le père même de ceux Qu'il menaçait de ses feux, Se contenta de leur crainte; Il n'embrasa que l'enceinte
(1) Mercure est le messager du ciel et le dieu de l'élo
Les trois Furies.
(3) Surnom des Furies.
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