Page images
PDF
EPUB

le cerveau remue l'organe, et l'organe écarte, ou s'efforce d'écarter l'objet cause de la sensation.

[ocr errors]

Dans ce système, le cerveau est le siége de. l'âme. On la compare à une araignée placée au centre de sa toile. Dès qu'il se fait le moindre mouvement aux extrémités, l'insecte est averti, et il se tient sur ses gardes. De même, l'âme placée à un point du cerveau auquel aboutissent les filets nerveux, est avertie de ce qui se passe dans les différentes parties du corps; et à l'instant elle apporte des secours, où elle les juge nécessaires. Le corps agit donc réellement sur l'âme, et l'âme agit réellement sur le corps. Cette action, cette influence, étant réelle ou physique, on a dit que le corps influait physiquement sur l'âme, et l'âme physiquement sur le corps; et l'on a donné à ce système le nom d'influence physique, ou d'influx physique.

Ce système est extrêmement simple; mais la simplicité n'a de prix qu'autant qu'elle est unie avec la vérité. Le corps étant une substance étendue, et l'âme une subtance inétendue, conçoit-on l'action physique de l'une sur l'autre? Tangere enim aut tangi nisi corpus nulla potest res, a dit Lucrèce; une chose ne peut tou

1

cher ou être touchée qu'autant qu'elle est corps, qu'autant qu'elle a des parties. L'âme ne saurait donc recevoir le contact du corps; et l'influx physique est impossible.

Euler, dans ses Lettres à une princesse d'Allemagne, adopte ce système, en le modifiant ; il n'admet pas de contact entre l'âme et le corps. L'âme, dit-il, a la perception du mouvement des fibres du cerveau, et cette perception lui donne des sensations agréables ou désagréables, selon que les rapports qui se trouvent entre les mouvemens des fibres, sont plus ou moins faciles à apercevoir.

Cette opinion est démentie par l'expérience; car il n'est pas vrai que l'âme s'aperçoive des mouvemens des fibres du cerveau; elle ne sait pas même qu'il existe un cerveau, et nous l'ignorerions, si on ne nous l'eût appris. D'ailleurs la sensation ne dérive pas de la perception; c'est le contraire, car nous sentons avant

tout.

2o. Pour rendre raison de ce commerce entre l'esprit et la matière, Cudwort, philosophe anglais, a imaginé un agent intermédiaire entre l'âme et le corps. Cet agent, interposé entre deux substances de nature contraire, participe de l'une et de l'autre ; il est en partie ma

tériel, et en partie spirituel. Comme il est matériel, le corps peut agir sur lui; et comme il est spirituel, il peut agir sur l'âme. C'est comme le moyen terme entre les deux extrèmes d'une proportion continue. C'est un pont jeté sur les deux bords de l'abîme qui sépare la matière de l'esprit. Cet agent faisant en quelque sorte l'office de médiateur, on lui en a donné le nom.

Un pareil médiateur n'est bon à rien. C'est une espèce d'amphibie, qui, pour vouloir réu→ nir en une seule nature deux natures opposées, s'anéantit lui-même. Entre une substance étendue et une substance inétendue, il n'y a pas de milieu. Si le médiateur n'est ni esprit ni corps, c'est une chimère; s'il est tout à la fois esprit et corps, c'est une contradiction; ou si, pour sauver la contradiction, vous voulez qu'il soit, comme nous, la réunion de l'esprit et de la matière, il a lui-même besoin d'un médiateur.

L'influx physique et le médiateur laissent à la difficulté toute sa force; on ne voit pas comment l'âme et le corps se modifient réciproquement. Néanmoins le fait reste. Toutes les fois que le corps reçoit quelque impression, l'âme éprouve une sensation; et lorsque l'âme prend une détermination, le corps l'exécute :

où trouverons-nous la raison de cette corres pondance de phénomènes? on l'a cherchée hors de l'homme et dans la divinité mênie.

3o. Dieu, a-t-on dit, gouverne le monde et tous les êtres qui le composent, d'après les lois suivant lesquelles il les a créés; et comme le monde n'a pu recevoir l'existence que par un acte de la volonté divine, il ne peut persévérer dans l'existence que par la même volonté toujours persévérante. Que Dieu cesse un instant de le soutenir par sa main toute-puissanté, aussitôt il rentrera dans le néant. L'existence des êtres ne se maintient donc que par une créa tion continuellement renouvelée. Dieu est la cause nécessaire de tous les mouvemens des corps et de toutes les modifications des esprits. Or, cela suffit pour nous faire concevoir l'union des deux substances.

Les objets extérieurs impriment à nos organes des mouvemens qui se propagent jusqu'au cerveau; le cerveau n'agit pas immédiatement et réellement sur l'âme; la chose est impossible. C'est Dieu lui-même qui, à la suite des mouvemens du cerveau, et par une loi qu'il a établie de toute éternité, produit une sensation dans l'âme. De même, l'âme a la volonté de mouvoir le bras; mais cette volonté est inefficace

[ocr errors]

pour produire cet effet. C'est encore Dieu qui en vertu de la même loi, produit lui-même le mouvement de nos membres. Le corps n'est donc pas la cause réelle des modifications de l'âme, ni l'âme la cause réelle des mouvemens du corps. Cependant, comme l'âme ne serait pas modifiée sans les mouvemens du corps, ni le corps sans une détermination de l'âme, il faut bien que ces mouvemens et ces déterminations soient en quelque manière nécessaires; mais cette nécessité n'est pas absolue, elle n'est qu'hypothétique ou conditionnelle. Les mouvemens du corps et les déterminations de l'âme sont des conditions, mais non pas des causes nécessaires. Ils sont occasions, ou causes occasionelles. Ce système a pris, en conséquence, le nom de système des causes occasionelles. Il appartient à Descartes, et à Mallebranche qui l'a embelli de son imagination.

Je ne sais, Messieurs, si vous trouvez ce système plus satisfaisant que les deux précédens. Vous allez voir que Leibnitz n'en était guère content.

Leibnitz reproche aux cartésiens de faire de l'univers un miracle perpétuel, et d'expliquer l'ordre naturel par une cause surnaturelle, ce qui anéantit toute philosophie. Car la philoso

« PreviousContinue »