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souveraineté du peuple. Il n'établissait donc pas l'autorité politique du pape sur les gouvernements temporels, mais il détruisait l'autorité des gouvernements temporels sur les peuples. Par là, il les conduisait, sans le savoir et sans le vouloir, au despotisme, en les jetant sur la route de l'anarchie. Du reste, il paraissait prévoir lui-même une révolution qu'il jugeait nécessaire pour préparer l'œuvre de la régénération sociale, et il ne semblait point s'affliger de cette nouvelle application << de la loi de destruction, indispensable pour préparer le renouvellement futur. » Il réservait les sévérités de sa pensée et les amertumes de son style pour le gouvernement de Charles X, qu'il croyait apprécier équitablement, depuis les ordonnances du 16 juin 1828, en disant que «< jamais, depuis l'origine du monde, un si exécrable despotisme n'avait pesé sur la race humaine, » et, en particulier, contre l'évêque de Beauvais, qu'il accusait d'être « dans l'Église ce qu'Arhiman était dans le monde, selon la doctrine de l'Orient, » en ajoutant que le caractère dont il était revêtu marquait ses actes << d'un signe semblable à celui que Dieu imprima sur le front de l'auteur du premier meurtre. >>

Ces expressions violentes n'étaient pas, dans la bouche de M. de la Mennais, une de ces déclamations oratoires qu'expliquent, sans les excuser, les entraînements de la polémique. Sa pensée contre la restauration allait aussi loin que ses paroles, si amères qu'elles fussent. Il la regardait comme ennemie de l'Église, maudite de Dieu et destinée à périr. Il avait

vu, sur son front, disait-il à un ami vers la fin de 1829, « le signe de Caïn. » Il souhaitait le triomphe du libéralisme, parce que, selon lui, la souveraineté de l'Église ne pouvait prévaloir que par la liberté absolue.

M. de la Mennais avait changé de route, mais il n'avait pas encore changé de but. Il voulait la théocratie par les peuples, après l'avoir voulue par les rois. Au fond, il avait été, dès l'origine, un théocrate qui voyait revenir, avec un certain plaisir, les fils de saint Louis, parce qu'il pensait que la théocratie résulterait de leur retour. Derrière l'écrivain monarchique, le théocrate; derrière le théocrate, le prêtre, membre futur de cette théocratie: voilà la progression qui, en germe dans son intelligence, se développa dans ses écrits et ses conversations, pendant le cours de la restauration. Cette progression n'était point encore arrivée à son dernier terme. A l'ombre de l'idée de la domination temporelle du prêtre, se cachait, à l'insu de M. de la Mennais, l'idée de la domination individuelle d'un grand esprit qui avait le sentiment et l'orgueil de sa force. Si le théocrate était derrière le royaliste, et le prêtre derrière le théocrate, il y avait encore à découvrir l'homme derrière le prêtre. C'était la dernière étape à fournir, quand la restauration tomba.

Le talent de M. de la Mennais était allé en sé développant à travers les différentes phases de cette redoutable polémique. Tour à tour véhément, incisif, passionné, maniant avec un égal succès la raillerie hautaine et dédaigneuse, l'ardente invective, épuisant tous

les secrets de la dialectique, il était devenu un des grands prosateurs de la langue française, et, comme écrivain polémique, il s'était placé auprès de Chateaubriand, auquel il est même supérieur par le naturel. Aussi vif, aussi amer que Paul-Louis Courier, mais doué d'une tout autre puissance, et appliquant son talent à des questions bien plus élevées, il avait transporté dans son style le mouvement, la chaleur et la hardiesse de ses idées. On peut dire qu'en écrivant, dans une langue à lui, des choses originales, des idées trouvées, il avait accablé de sa supériorité littéraire les écrivains de l'autre nuance de l'école religieuse qui exposaient, dans une langue de reflet, des idées reçues. Une jeunesse ardente, pleine d'intelligence et de verve, s'agitait autour de lui; il faisait école pour le style comme pour les idées : un pas encore, il devenait chef de secte.

Il avait cependant rendu des services qui ne doivent pas être méconnus. En prenant le mouvement des idées catholiques où l'avait laissé Joseph de Maistre, il avait ébranlé dans le clergé français les idées particulières ou gallicanes, et donné une vive et puissante impulsion aux idées romaines ; il avait, en outre, en continuant le mouvement inauguré par Chateaubriand, imposé, par l'ascendant de son génie littéraire, aux hommes du monde, une étude respectueuse des vérités catholiques.

LIVRE VIII.

I.

Philosophie.

A l'exposition du mouvement des idées religieuses doit naturellement succéder l'exposition du mouvement des idées philosophiques, manifesté par les ouvrages du temps. La religion et la philosophie sont deux flambeaux allumés pour éclairer les mêmes problèmes seulement, le premier emprunte sa lumière infaillible aux clartés surnaturelles de la révélation; le second, sa lumière, souvent trompeuse, aux clartés naturelles de la raison. On comprend dès lors que la philosophie catholique, mieux inspirée que toute autre, vienne sans cesse aboutir à la théologie, dont elle côtoie les frontières. C'est ainsi que, dans la partie qui traite des idées religieuses, nous avons été amené à parler d'ouvrages philosophiques dont les auteurs appartiennent à l'école catholique.

On a vu à quel point en étaient les sciences philosophiques lors de l'avénement de la restauration. Le système sensualiste qui, après l'interruption causée par

la crise révolutionnaire, avait reparu en maître, à la reprise des études, vers l'époque du Directoire, et avait prolongé sa domination exclusive pendant les premières années du Consulat et de l'Empire, s'était peu à peu affaissé de lui-même. Attaqué d'un côté, dans les premières années du dix-neuvième siècle, avec autant de force que d'éclat par l'école catholique, il avait éprouvé, dans plusieurs de ses propres partisans, frappés de son insuffisance pour expliquer quelquesuus des principaux phénomènes de l'esprit humain, des défections inattendues. M. Maine de Biran, après avoir pris pour point de départ la doctrine de Condillac, s'en était peu à peu éloigné, et remontait graduellement vers la doctrine de Leibnitz. M. de la Romiguière enseignait l'activité de l'esprit humain, après avoir longtemps partagé l'opinion de Condillac, son maître, sur sa passivité. Enfin M. Royer-Collard, en exposant dans son cours l'histoire des différents systèmes de philosophie, lui avait porté le coup fatal, et lui avait substitué le système écossais, qui est plutôt une méthode d'étude philosophique qu'une philosophie proprement dite, puisqu'il est fondé sur l'observation appliquée aux faits intellectuels, comme elle est appliquée aux faits matériels dans les sciences physiques. L'œuvre de M. Royer-Collard avait été surtout une œuvre critique. Il avait démontré avec une vigueur de raisonnement qui n'a été égalée que par M. de Maistre, le néant des théories proposées pour résoudre les grands problèmes de l'origine des idées,

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