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se dissipent: «<les voies me sont ouvertes à la véritable vie»: Madame n'est plus dans le tombeau; la mort, qui semblait tout détruire, a tout établi: voici le secret de l'Ecclésiaste, que je vous avais marqué dès le commence5 ment de ce discours, et dont il faut maintenant découvrir le fond.

II

Il faut donc penser, chrétiens, qu'outre le rapport que nous avons du côté du corps avec la nature changeante et mortelle, nous avons d'un autre côté un rapport intime et 10 une secrète affinité avec Dieu, parce que Dieu même a mis quelque chose en nous qui peut confesser la vérité de son être, en adorer la perfection, en admirer la plénitude; quelque chose qui peut se soumettre à sa souveraine puissance, s'abandonner à sa haute et incompréhensible sa15 gesse, se confier en sa bonté, craindre sa justice, espérer son éternité. De ce côté, Messieurs, si l'homme croit avoir en lui de l'élévation, il ne se trompera pas. Car, comme il est nécessaire que chaque chose soit réunie à son principe, et que c'est pour cette raison, dit l'Ecclé20 siaste, «que le corps retourne à la terre dont il a été tiré,»

il faut par la suite du même raisonnement que ce qui porte en nous la marque divine, ce qui est capable de s'unir à Dieu, y soit aussi rappelé. Or ce qui doit retourner à Dieu, qui est la grandeur primitive et essentielle, 25 n'est-il pas grand et élevé? C'est pourquoi, quand je vous ai dit que la grandeur et la gloire n'étaient parmi nous que des noms pompeux, vides de sens et de choses, je regardais le mauvais usage que nous faisons de ces

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termes ..

Ennuyés de ces vanités, cherchons ce qu'il y a de

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grand et de solide en nous. Le Sage nous l'a montré dans les dernières paroles de l'Ecclésiaste; et bientôt Madame nous le fera paraître dans les dernières actions de sa vie. «Crains Dieu, et observe ses commandements; car c'est là tout l'homme»: comme s'il disait: Ce n'est pas l'homme que j'ai méprisé, ne le croyez pas; ce sont les opinions, ce sont les erreurs par lesquelles l'homme abusé se déshonore lui-même. Voulez-vous savoir en un mot ce que c'est que l'homme? Tout son devoir, tout son objet, toute sa nature, c'est de craindre Dieu: tout le reste est vain, je le 10 déclare; mais aussi tout le reste n'est pas l'homme. Voici ce qui est réel et solide, et ce que la mort ne peut enlever: car, ajoute l'Ecclésiaste, «Dieu examinera dans son jugement tout ce que nous aurons fait de bien et de mal.» . . . Voulez-vous sauver quelque chose de ce débris si univer- 15 sel, si inévitable? Donnez à Dieu vos affections; nulle force ne vous ravira ce que vous aurez déposé en ces mains divines. Vous pourrez hardiment mépriser la mort, à l'exemple de notre héroïne chrétienne. Mais afin de tirer d'un si bel exemple toute l'instruction qu'il nous peut 20 donner, entrons dans une profonde considération des conduites de Dieu sur elle, et adorons en cette princesse le mystère de la prédestination et de la grâce . . .

Vous savez... que toute la vie du chrétien, et dans le temps qu'il espère, et dans le temps qu'il jouit, est un 25 miracle de grâce. Que ces deux principaux moments de la grâce ont été bien marqués par les merveilles que Dieu a faites pour le salut éternel de Henriette d'Angleterre! Pour la donner à l'Église, il a fallu renverser1 tout un

1 Par suite de la révolution en Angleterre contre son père Charles I°, Henriette avait été amenée en France et avait dès lors suivi la religion de sa mère, Henriette de France.

grand royaume. La grandeur de la maison d'où elle est sortie n'était pour elle qu'un engagement plus étroit dans le schisme de ses ancêtres; disons des derniers1 de ses ancêtres, puisque tout ce qui les précède, à remonter jus5 qu'aux premiers temps, est si pieux et si catholique. Mais si les lois de l'État s'opposent à son salut éternel, Dieu ébranlera tout l'État pour l'affranchir de ces lois . . . Notre princesse est persécutée avant que de naître, délaissée aussitôt que mise au monde, arrachée en naissant à 10 la piété d'une mère catholique,2 captive dès le berceau des ennemis implacables de sa maison; et ce qui était plus déplorable, captive des ennemis de l'Église; par conséquent destinée premièrement par sa glorieuse naissance, et ensuite par sa malheureuse captivité, à l'erreur et à l'hérésie. Mais le sceau de Dieu était sur elle. Elle pouvait dire avec le Prophète: «Mon père et ma mère m'ont abandonnée: mais le Seigneur m'a reçue en sa protection.»> Délaissée de toute la terre dès ma naissance,. «je fus comme jetée entre les bras de sa providence paternelle, et 20 dès le ventre de ma mère il se déclara mon Dieu.» Ce fut à cette garde fidèle que la reine sa mère commit ce précieux dépôt. Elle ne fut point trompée dans sa confiance. Deux ans après, un coup imprévu, et qui tenait du miracle, délivra la princesse des mains des rebelles. Malgré 25 les tempêtes de l'océan et les agitations encore plus violentes de la terre, Dieu, la prenant sur ses ailes, comme l'aigle prend ses petits, la porta lui-même dans ce royaume; lui-même la posa dans le sein de la reine sa mère ou plutôt dans le sein de l'Église catholique... Digne fille de saint

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1 Henri VIII (1509-1547) le fauteur du schisme entre l'Église catholique et l'État (1534-1539).

2 Voir l'introduction pour tout ce passage.

Édouard et de saint Louis,1 elle s'attacha du fond de son cœur à la foi de ces deux grands rois. Qui pourrait assez exprimer le zèle dont elle brûlait pour le rétablissement de cette foi dans le royaume d'Angleterre, où l'on en conserve encore tant de précieux monuments? Nous savons qu'elle n'eût pas craint d'exposer sa vie pour un si pieux dessein: et le ciel nous l'a ravie!...

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Après vous avoir exposé le premier effet de la grâce de Jésus-Christ en notre princesse, il me reste, Messieurs, de vous faire considérer le dernier, qui couronnera tous les 10 autres. C'est par cette dernière grâce que la mort change de nature pour les chrétiens, puisqu'au lieu qu'elle semblait être faite pour nous dépouiller de tout, elle commence, comme dit l'Apôtre, à nous revêtir et nous assurer éternellement la possession des biens véritables... Donc, 15 Messieurs, si je vous fais voir encore une fois Madame aux prises avec la mort, n'appréhendez rien pour elle: quelque cruelle que la mort vous paraisse, elle ne doit servir à cette fois que pour accomplir l'œuvre de la grâce, et sceller en cette princesse le conseil de son éternelle pré- 20 destination. Voyons donc ce dernier combat; mais encore un coup, affermissons-nous. Ne mêlons point de faiblesse à une si forte action, et ne déshonorons point par nos larmes une si belle victoire.

Voulez-vous voir combien la grâce qui a fait triompher 25 Madame a été puissante? Voyez combien la mort a été terrible. Premièrement, elle a plus de prise sur une princesse qui a tant à perdre. Que d'années elle va ravir à cette jeunesse! Que de joie elle enlève à cette fortune! Que de gloire elle ôte à ce mérite! D'ailleurs peut-elle 30 1 Édouard le Confesseur, dernier roi de la dynastie saxonne (1042-1066); saint Louis, roi de France (1226-1270).

venir ou plus prompte ou plus cruelle? C'est ramasser toutes ses forces, c'est unir tout ce qu'elle a de plus redoutable, que de joindre, comme elle fait, aux plus vives douleurs l'attaque la plus imprévue. Mais quoique, sans 5 menacer et sans avertir, elle se fasse sentir tout entière dès le premier coup, elle trouve la princesse prête. La grâce, plus active encore, l'a déjà mise en défense. Ni la gloire, ni la jeunesse n'auront un soupir. Un regret immense de ses péchés ne lui permet pas de regretter autre 10 chose. Elle demande le crucifix sur lequel elle avait vu expirer la reine sa belle-mère1 comme pour y recueillir les impressions de constance et de piété que cette âme vraiment chrétienne y avait laissées avec les derniers soupirs.

A la vue d'un si grand objet, n'attendez pas de cette 15 princesse des discours étudiés et magnifiques: une sainte simplicité fait ici toute la grandeur. Elle s'écrie: «O mon Dieu, pourquoi n'ai-je pas toujours mis en vous ma confiance?» Elle s'afflige, elle se rassure, elle confesse humblement, et avec tous les sentiments d'une profonde dou20 leur, que de ce jour seulement elle commence à connaître Dieu, n'appelant pas le connaître que de regarder encore tant soit peu le monde. Qu'elle nous parut au-dessus de ces lâches chrétiens qui s'imaginent avancer leur mort quand ils préparent leur confession, qui ne reçoivent les 25 saints sacrements que par force, dignes certes de recevoir pour leur jugement ce mystère de piété qu'ils ne reçoivent qu'avec répugnance! Madame appelle les prêtres plutôt que les médecins. Elle demande d'elle-même les sacrements de l'Église, la pénitence avec componction, l'eucha30 ristie avec crainte et puis avec confiance, la sainte onction des mourants avec un pieux empressement . . .

1 Anne d'Autriche, morte 1666.

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