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de Cicéron & de tous les grands-hommes de l'antiquité. Ils avaient tous le malheur de n'avoir pu lire la Somme de St Thomas d'Aquin. Cependant on trouve dans eux certains traits de lumière naturelle qui ne laiffent pas de faire grand plaifir.

DE

MEMMIUS A CICERON.

LETTRE PREMIERE.

J'APPRENDS avec douleur, mon cher Tullius, mais non pas avec surprise, la mort de mon ami Lucrèce. Il eft affranchi des douleurs d'une vie qu'il ne pouvait plus fupporter; fes maux étaient incurables; c'est-là le cas de mourir. Je trouve qu'il a beaucoup plus de raifon que Caton; car fi vous & moi & Brutus nous avons furvécu à la république, Caton pouvait bien lui furvivre auffi. Se flattait-il d'aimer mieux la liberté que nous tous? ne pouvait-il pas comme nous accepter l'amitié de Cefar? croyait-il qu'il était de fon devoir de fe tuer parce qu'il avait perdu la bataille de Tapfa? Si cela était, Céfar lui-même aurait dû se donner un coup de poignard après fa défaite à Dirrachium; mais il fut fe réserver pour des deftins meilleurs. Notre ami Lucrèce avait un ennemi plus implacable que Pompée, c'eft la nature. Elle ne pardonne point quand elle a porté fon arrêt; Lucrèce n'a fait que le prévenir de quelques mois; il aurait fouffert, & il ne fouffre plus. Il s'eft fervi du droit de fortir de fa maison quand elle eft prête à tomber. Vis tant que tu as une juste espérance; l'as-tu perdue? meurs; c'était-là fa règle, c'eft la mienne. J'approuve Lucrèce, & je le regrette.

Sa mort m'a fait relire fon poëme, par lequel il vivra éternellement. Il le fit autrefois pour moi; mais le difciple s'eft bien écarté du maître : nous ne fommes ni vous ni moi de fa fecte; nous fommes académiciens. C'eft au fond n'être d'aucune fecte.

Je vous envoie ce que je viens d'écrire fur les principes de mon ami, je vous prie de le corriger. Les fénateurs aujourd'hui n'ont plus rien à faire qu'à philofopher; c'eft à Céfar de gouverner la terre, mais c'eft à Cicéron de l'inftruire. Adieu.

LETTRE SECOND E.

Vous avez raifon, grand-homme, Lucrèce eft admi

rable dans fes exordes, dans fes descriptions, dans fa morale, dans tout ce qu'il dit contre la superstition. Ce beau vers,

Tantum relligio potuit fuadere malorum,

durera autant que le monde. S'il n'était pas un phyficien auffi ridicule que tous les autres, il ferait un homme divin. Ses tableaux de la fuperftition m'affec. tèrent furtout bien vivement dans mon dernier voyage d'Egypte & de Syrie. Nos poulets facrés & nos augures, dont vous vous moquez avec tant de grâce dans votre traité de la Divination, font des chofes fenfées en comparaifon des horribles abfurdités dont je fus témoin. Personne ne les a plus en horreur que la reine Cléopâtre & fa cour. C'est une femme qui a autant d'efprit que de beauté. Vous la verrez bientôt à Rome;

elle eft bien digne de vous entendre. Mais toute fouveraine qu'elle eft en Egypte, toute philofophe qu'elle eft, elle ne peut guérir fa nation. Les prêtres l'affaffineraient; le fot peuple prendrait leur parti, & crierait que les faints prêtres ont vengé Serapis & les chats.

C'eft bien pis en Syrie; il y a cinquante religions, & c'eft à qui furpaffera les autres en extravagances. Je n'ai pas encore approfondi celle des juifs, mais j'ai connu leurs mœurs: Craffus & Pompée ne les ont point affez châtiés. Vous ne les connaiffez point à Rome. Ils s'y bornent à vendre des philtres, à faire le métier de courtiers, à rogner les espèces. Mais chez eux ils font les plus infolens de tous les hommes, déteftés de tous leurs voifins, & les déteftant tous; toujours ou voleurs ou volés, ou brigands ou efclaves, affaffins & affaffinés tour-à-tour.

Les Perfes, les Scythes, font mille fois plus raifonnables; les brachmanes en comparaifon d'eux font des dieux bienfefans.

Je fais bien bon gré à Pompée d'avoir daigné, le premier des Romains, entrer par la brèche dans ce temple de Jérufalem qui était une citadelle affez forte; & je fais encore plus de gré au dernier des Scipions d'avoir fait pendre leur roitelet, qui avait ofé prendre le nom d'Alexandre.

Vous avez gouverné la Cilicie, dont les frontières touchent prefque à la Palestine; vous avez été témoin des barbaries & des fuperftitions de ce peuple; vous l'avez bien caractérisé dans votre belle oraison pour Flaccus. Tous les autres peuples ont commis des crimes, les Juifs font les feuls qui s'en foient vantés. Ils font tous nés avec la rage du fanatisme dans le cœur,

comme les Bretons & les Germains naiffent avec des cheveux blonds. Je ne ferais point étonné que cette nation ne fût un jour funeste au genre-humain.

Louez donc avec moi notre Lucrèce d'avoir porté tant de coups mortels à la fuperftition. S'il s'en était tenu là, toutes les nations devraient venir aux portes de Rome couronner de fleurs fon tombeau.

LETTRE

J'ENTRE

TROISIEME.

y

'ENTRE en matière tout d'un coup cette fois-ci, & je dis, malgré Lucrèce & Epicure, non pas qu'il a des dieux, mais qu'il exifte un DIEU. Bien des philofophes me fiffleront, ils m'appelleront efprit faible; mais comme je leur pardonne leur témérité, je les fupplie de me pardonner ma faiblesse.

Je fuis du fentiment de Balbus dans votre excellent. ouvrage de la Nature des dieux. La terre, les aftres, les végétaux, les animaux, tout m'annonce une intelligence productrice.

Je dis avec Platon: (fans adopter fes autres principes:) Tu crois que j'ai de l'intelligence parce que tu vois de l'ordre dans mes actions, des rapports, & une fin; il y en a mille fois plus dans l'arrangement de ce monde: juge donc que ce monde eft arrangé par une intelligence fuprême.

On n'a jamais répondu à cet argument que par des fuppofitions puériles; perfonne n'a jamais été affez abfurde pour nier que la fphère d'Archimède, & celle de Poffidonius, foient des ouvrages de grands mathématiciens elles ne font cependant que des images

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