majefté des Dieux. Et pour moilorfque je voi dans Homere les playes, les ligues, les fupplices, les larmes, les emprisonnemens des Dieux, & tous ces autres accidens où ils tombent fans ceffe, il me femble qu'il s'eft efforcé autant qu'il a pû de faire des Dieux de ces Hommes qui furent au fiege de Troye, & qu'au contraire, des Dieux mefmes il en fait des hommes. Encore les fait-il de pire condition: car à l'égard de 2 nous, quand nous fommes malheureux, au moins avons-nous la mort qui eft comme un port affuré pour fortir de nos miferes: au lieu qu'en reprefentant les Dieux de cette forte, il ne les rend pas proprement immortels, mais eternellement miferables. 2 Y Il a donc bien mieux reuffi lors qu'il nous a peint un Dieu tel qu'il eft dans toute fa ma jelté, & fa grandeur, & fans mélange des chofes terreftres: comme dans cet endroit qui a efté remarqué par plufieurs avant moi, où il dit en parlant de Neptune : Neptune ainsi marchant dans ces vaftes campagnest Iliad.1.13, Il attelle fon char, & montant fierement 3 Ainfi le Legiflateur des Juifs, qui n'eftoft pas un Homme ordinaire, ayant fort bien conceu la grandeur & la puiffance de Dieu, L5 l'ave l'a exprimée dans toute fa dignité, au commencement de fes Loix, par ces paroles. Dieu dit: Que la lumiere fe faffe, & lalumiere fe fit. Que la Terre fe faffe, la Terrefut faite. Je penfe, mon cher Terentianus, que vous ne ferés pas fâché que je vous rapporte encore ici un paffage de noftre Poete, quand il parle des hommes; afin de vous faire voir combien Homere eft heroique lui-mesme, en peignant le caractere d'un Heros. Une épaiffe obfcurité avoit couvert tour d'un coup l'armée des Grecs, & les empéchoir de combattre. En cet endroit Ajax ne sçachant plus quelle refolution prendre, s'écrie: Iliad.1.17. Grand Dieu chasse la nuit qui nous couvre les yeux. Et combats contre nous à la clarté des Cieux. Voilà les veritables fentimens d'un Guerrier tel qu'Ajax. Il ne demande pas la vie ; un Heros n'eftoit pas capable de cette baffeffe: mais comme il ne voit point d'occafion de fignaler fon courage au milieu de Pobfcurité, il fe fàche de ne point combattre: il demande donc en hafte que le jour paroiffe, pour faire au moins une fin digne de fon grand coeur, quand il devroit avoir à combattre Jupiter mefine. En effet Homere en cet endroit eft comme un vent favorable qui feconde l'ardeur des Combattans: caril ne fe remue pas avec moins de violence, que s'il eftoit épris auffi de fureur, Iliad 15. Telque Mars en couroux au milieu des batailles. Mais Mais je vous prie de remarquer, pour plu- Là gift le grand Ajax, & l'invincible Achille.* Cefort des paroless de Neftor dans l'O jamais il s'arreste, nife repofe. On n'y remarque point cette foule de mouvemens & de paffions entaffées les unes furles autres. Il' n'a plus cette inefme force, & s'il faut ainst parler, cette mefme volubilité de Difcours fi propre pour l'action, & mélée de tant d'images naïves des chofes. Nous pouvons dire que c'eft le reflus de fon efprit qui comme un grand Ocean fe retire & deferte ses rivages. A tout propos il s'égare dans des imaginations & des fables incroiables. Je n'ai pas oublié pourtant les defcriptions de Tempeftes qu'il fait, les avantures qui arriverent à Ulyffe chez Polypheme, & quelques autres endroits qui font fans doute fort beaux. Mais cette vieilleffe dans Homere, aprés tout,c'eft la vieilleffe d'Homere: joint qu'en tous ces endroits-là il y a beaucoup plus de fable & de narration que d'action. Je me fuis eftendu là deffus, comme j'ai déja dit: afin de vous faire voir que les genies naturellement les plus élevés tombent quelquefois dans la badinerie, quand la force de leur efprit vient à s'efteindre. Dans ce rang on doit mettre ce qu'il dit du fac où Eole enferma les vents, & des Compagnons d'Ulyffe changez par Circé en pourceaux, que Zoile appelle de petits Cochons lar moians. Il en eft de mefme des Colombes qui nourrirent Jupiter, comme un pigeon: de la difette d'Ulyffe qui fut dix jours fans manger aprés fon naufrage, & de toutes ces abfurditez qu'il conte du meurtre des Amans de Penelope. Car tout ce qu'on peut dire à l'avantage de ces fictions c'eft c'eft que ce font d'affez beaux fonges, &, fi vous voulez, des fonges de Jupiter mefme. Ce qui m'a encore obligé à parler de l'Odys-fée, c'eft pour vous montrer que les grands Poëtes, & les Ecrivains celebres, quand leur efprit manque de vigueur pour le Patheti que, s'amufent Ordinairement à peindre les moeurs. C'est ce que fait Homere ; quand il decrit la vie que menoient les Amans de Penelope dans la maifon d'Ulyffe. En effet toute cette defcription eft proprement une efpece de Comedie où les differens caracteres: des Hommes font peints.. CHAPITRE VIIL De la. Sublimité qui fe tire des Cir- Oions fi nous n'avons point encore quelque autre moien par où nous puif-fions rendre un difcours Sublime. Je dis donc, que comme naturellement rien n'arrive au monde qui ne foit toûjours accompagné de certaines circonstances, ce fera un fecret infaillible pour arriver au Grand, fr nous fçavons faire à propos le choix des plus confiderables, & fi en les liant bien enfemble nous en formons comme un corps. Ear d'un cofté ce choix, & de l'autre cet amas de circonftances choifies attachent fortement l'efprit. Ainfi, quand Sapho veut exprimer les fureurs de l'Amour, elle ramaffe de tous coftez les accidens qui fuivent & qui ac L.7 com |