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NOTES DE LA POLITIQUE.

Page 194.

<< Et la fortune presque partout obtient la place qu'on destine au « mérite et à la vertu. »

Hoc errore vulgi quum rempublicam opes paucorum non virtutes, tenere cœperunt, nomen illi principes optimatium mordicus tenent, re autem carent eo nomine. Nam divitiæ, opes vacuæ consilio, et vivendi atque aliis imperandi modo, dedecoris plenæ sunt et insolentis superbiæ; nec ulla deformior species est civitatis, quam illa in qua opulentissimi optimi putantur.

(CICERON, de Republica, I, xxxiv.)

ET DE L'ÉTAT.

Le disputer et l'enquérir n'a autre but et arrêt que les principes.

(MONTAIGNE, I. II, ch. xII. )

A la suite d'une exposition des idées de Platon et d'Aristote en morale et en politique, nous avons essayé de faire connaître le rapport qui se trouve entre ces deux sciences, de manière à montrer que l'organisation du corps social, l'institution du gouvernement devant se faire à l'image de l'organisation de l'homme, et reproduire les éléments de son activité, les lois politiques ne sont, à vrai dire, qu'une conséquence des lois morales; la condition de l'ordre en la société est la même qu'en l'individu, et ce n'est que par la connaissance de l'homme qu'on arrive à celle de l'État.

Ce principe est le fondement sur lequel s'appuie tout le système de Platon et d'Aristote; principe inhérent à leur pensée, mais qu'il est cependant nécessaire d'étudier en lui-même, afin d'en mieux comprendre l'étendue et la vérité.

Or, c'est à le dégager de toutes les idées qui l'en

veloppent, à le mettre en relief, à discerner les rapports d'où il résulte, que notre premier travail à été consacré ; et bien que, pour une attention pénétrante et réfléchie, les rapprochements que nous avons faits soient de nature à établir cette conformité de l'organisation morale de l'homme et de la constitution politique de l'État, cependant, pour achever de vous en convaincre, on va pénétrer plus avant dans l'intelligence de la société, aussi bien que découvrir les ressorts les plus cachés du moi humain, en expliquant les causes motrices de l'entendement et de la volonté. Que si vous rencontrez dans cette lecture quelques aperçus d'une compréhension difficile, je vous prie de vous souvenir que je raconte les phénomènes les plus abstraits de la pensée humaine, et aussi de me pardonner si je ne me suis pas toujours exprimé clairement sur des principes que le génie des plus grands philosophes n'a fait le plus souvent que proposer à nos méditations.

I.

Ceux qui ont l'esprit de discernement savent que le moral de l'homme se partage en deux éléments essentiels, qui sont ses deux principales puissances : l'une, qui le porte à rechercher, à connaître le vrai, le bien, son intérêt, et par suite à restreindre son désir à la mesure de son pouvoir; l'autre qui, dépourvue de connaissance, effrénée, s'abandonne à tous les caprices de sa passion. Or, à chacune de ces

facultés l'idée du bien est ce qui en éveille et en arrête la tendance et l'action; mais, selon que l'une et l'autre sont uniformes et concordantes, ou qu'aspirant à une même fin, elles ne se reposent qu'en un seul et même objet approuvé par la raison, c'est-à-dire suivant que l'entendement et la volonté, excités et déterminés par une même cause, rapportent constamment leur activité au principe d'où elle émane, on dit qu'elle est bien ordonnée; comme aussi, le moral de l'homme étant organisé en cette sorte que, sollicité par un double penchant, et comme suspendu entre deux affections contraires, il peut se contenir, et, délibérant sur la conséquence de son action, se prêter ou se refuser au charme qui l'entraîne, selon que le jugement de sa raison conspire ou s'oppose à l'inclination de sa volonté, n'est-il pas évident que pour être heureux l'homme a besoin d'intelligence, de liberté, ou de force morale, puisque ainsi, ne voulant que par son entendement, n'agissant que par sa volonté, il réunit ou concentre en un seul élan toute sa puissance dans le même attachement, et n'éprouvant ni la tristesse ni l'amertume que donnent la privation et le regret, son âme jouit de toute l'activité que comporte sa nature dirigée par la raison.

Nous conclurons de tout ce qui précède à l'égard de la morale, premièrement, que l'entendement et la volonté sont les deux puissances en qui et par qui se révèle et se produit l'être humain; - secondement, que son principe actif, le moteur de son activité, ressort de l'idée, et s'applique à la poursuite

du bien, éclairé en sa connaissance, et dirigé en son action par le raisonnement; - troisièmement, enfin, que l'étendue et l'énergie de ces puissances, ainsi que la prédominance de l'une sur l'autre, est ce qui fait la différence des organisations qui en résultent, je veux dire le caractère du moi humain, car c'est en cela que consiste l'homme : Et enim hoc ipse homo est.

Cela étant bien compris, nous entrerons maintenant dans la connaissance de l'État en appréciant les éléments qui le constituent, remontant au principe de son institution, du gouvernement, de l'autorité en général; car c'est en précisant l'origine et la fin de la société, de toute association, que nous parviendrons à déterminer l'œuvre essentielle de l'État, et par suite les divers rapports qu'il convient d'établir entre les membres de la cité et le gouvernement, de manière à ce que tous, n'agissant qu'en vue de l'objet qu'ils doivent se proposer, l'ordre et la justice émanent de ce concours, comme la vertu et le bonheur ne sont pour l'individu qu'un effet de celui de l'entendement et de la volonté.

Il est aisé de faire entendre à ceux qui ont réfléchi sur la nature de l'homme, qu'il est en lui deux causes de sociabilité : l'une par qui, recherchant la femme, il éprouve le besoin de se reproduire, l'autre, qui, née de l'amour que toute créature ressent pour ce qu'elle a créé, l'enchaîne d'abord à la mère, puis à l'enfant, qui gracieux l'attire, et faible n'en est pas moins un des liens qui le rattachent le

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