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Ce philofophe recueillit pendant fa vie toute la gloire qu'il méritait; il n'excita point l'envie, parce qu'il ne put avoir de rival. Le monde favant fut fon disciple; le refte l'admira fans ofer prétendre à le concevoir. Mais l'honneur que vous lui faites aujourd'hui eft, fans doute, le plus grand qu'il ait jamais reçu. Je ne fais qui des deux je dois admirer davantage, ou Newton, l'inventeur du calcul de l'infini, qui découvrit de nouvelles lois de la nature, et qui anatomifa la lumière, ou vous, Madame, qui, au milieu des diffipations attachées à votre état, poffédez fi bien tout ce qu'il a inventé. Ceux qui vous voient à la cour ne vous prendraient affurément pas pour un commentateur de philofophie; et les favans, qui font affez favans pour vous lire, fe douteront encore moins que vous defcendiez aux amusemens de ce monde, avec la même facilité que vous vous élevez aux vérités les plus fublimes. Ce naturel et cette fimplicité, toujours fi eftimables, mais fi rares avec des talens et avec la fcience, feront au moins qu'on vous pardonnera votre mérite. C'eft en général tout ce qu'on peut espérer des personnes avec lefquelles on paffe la vie : mais le petit nombre d'efprits supérieurs, qui fe font appliqués aux mêmes études que vous, aura pour vous la plus grande vénération, et la poftérité vous regardera avec étonnement. Je ne fuis pas furpris que des perfonnes de votre fexe aient régné glorieufement fur de grands empires. Une femme avec un bon confeil peut gouverner comme

Augufte; mais pénétrer par un travail infatigable dans des vérités dont l'approche intimide la plupart des hommes, approfondir dans fes heures de loifir ce que les philofophes les plus inftruits étudient fans relâche, c'eft ce qui n'a été donné qu'à vous, Madame; et c'eft un exemple qui fera bien peu imité, &c.

DE PHILOSOPHIE

DE NEWTON,

DIVISÉS EN TROIS PARTIE S.

PREMIERE PART I E.

CHAPITRE PREMIER.

DE DIE U.

Raifons que tous les efprits ne goûtent pas. Raifons des matérialifles.

NEWTON

EWTON était intimement perfuadé de l'exiftence d'un Dieu, et il entendait par ce mot, non-feulement un Etre infini, tout-puiffant, éternel et créateur, mais un maître qui a mis une relation entre lui et fes créatures car fans cette relation, la connaiffance d'un Dieu n'eft qu'une idée ftérile qui femblerait inviter au crime, par l'efpoir de l'impunité, tout raifonneur né pervers.

Auffi ce grand philofophe fait une remarque fingulière à la fin de fes principes : c'eft qu'on ne dit point mon éternel, mon infini, parce que ces attributs n'ont rien de relatif à notre nature; mais on dit, et on doit

dire mon Dieu; et par - là il faut entendre le maître et le confervateur de notre vie, l'objet de nos pensées. Je me fouviens que dans plufieurs conférences que j'eus en 1726 avec le docteur Clarke, jamais ce philofophe ne prononçait le nom de DIEU qu'avec un air de recueillement et de refpect très-remarquable. Je lui avouai l'impreffion que cela fefait fur moi; et il me dit que c'était de Newton qu'il avait pris infenfiblement cette coutume, laquelle doit être en effet celle de tous les hommes.

Toute la philofophie de Newton conduit néceffairement à la connaiffance d'un Etre fuprême, qui a tout créé, tout arrangé librement. Car fi le monde eft fini, s'il y a du vide, la matière n'exifte donc pas néceffairement; elle a donc reçu l'exiftence d'une caufe libre. Si la matière gravite, comme cela eft démontré, elle ne paraît pas graviter de fa nature, ainfi qu'elle eft étendue de fa nature; elle a donc reçu de DIEU la gravitation. (1) Si les planètes tournent en un fens plutôt qu'en un autre, dans un espace non réfiftant, la main de leur créateur a donc dirigé leurs cours en ce fens avec une liberté abfolue.

Il s'en faut bien que les prétendus principes phyfiques de Defcartes conduisent ainfi l'efprit à la connaiffance de fon créateur. A DIEU ne plaise que, par une calomnie horrible, j'accuse ce grand homme d'avoir

(1) Ce raisonnement n'eft pas rigoureux; il eft poffible que la gravitation foit effentielle à la matière, comme l'impenetrabilite, quoique cette propriété générale nous frappe moins, et ait été observée plus tard. L'équation qui a lieu entre l'ordonnée d'une parabole et fon aire, eft auffi effentielle à cette courbe que fa relation avec la fous-tangente, quoique l'on ait connu la parabole et cette feconde propriété longtemps avant de connaître la première,

méconnu la fuprême Intelligence à laquelle il devait tant, et qui l'avait élevé au-deffus de prefque tous les hommes de fon fiècle ! Je dis feulement que l'abus qu'il a fait quelquefois de fon efprit, a conduit fes difciples à des précipices dont le maître était fort éloigné; je dis que le fyftême cartéfien a produit celui de Spinofa ; je dis que j'ai connu beaucoup de personnes que le cartéfianifme a conduites à n'admettre d'autre Dieu que l'immenfité des chofes, et que je n'ai vu au contraire aucun newtonien qui ne fût théiste dans le fens le plus rigoureux.

Dès qu'on s'eft perfuadé, avec Defcartes, qu'il eft impoffible que le monde foit fini, que le mouvement eft toujours dans la même quantité; dès qu'on ofe dire : Donnez-moi du mouvement et de la matière, et je vais faire un monde; alors, il le faut avouer, ces idées semblent exclure, par des conféquences trop juftes, l'idée d'un Etre feul infini, feul auteur du mouvement, feul auteur de l'organisation des substances.

Plufieurs perfonnes s'étonneront ici peut-être que, de toutes les preuves de l'exiftence d'un Dieu, celle des causes finales fût la plus forte aux yeux de Newton. Le deffin, ou plutôt les deffins variés à l'infini, qui éclatent dans les plus vaftes et les plus petites parties de l'univers, font une démonstration qui, à force d'être sensible, en eft prefque méprifée par quelques philosophes; mais enfin Newton penfait que ces rapports infinis, qu'il apercevait plus qu'un autre, étaient l'ouvrage d'un artisan infiniment habile. (2)

(2) Cette preuve eft regardée par tous les théiftes éclairés comme la feule qui ne foit pas au-dessus de l'intelligence humaine; et la difficulté entre eux et les athées fe réduit à favoir jufqu'à quel point

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