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dant ces peintures n'ont ni la fadeur, ni le ton maniéré de nos élégantes pastorales du XVIe siècle. On voit que le poète de village n'a pas adopté ce genre comme un thème de fantaisie; il l'a conçu tout naturellement par la vie qu'il mène et l'aspect journalier des objets qui l'environnent. Ce sont parfois aussi des chants religieux, parfois des scènes de mœurs assez grotesques. Le village a son polichinelle, comme les places des grandes villes, tant ce polichinelle est un personnage important, et vraiment populaire. Celui que j'ai vu maintes fois se promener à travers nos campagnes, n'a pas, il est vrai, la face aussi enluminée, ni le chapeau aussi bien brodé que son frère de Paris. Sa culotte est souvent déchirée, et le galon manque par-ci par-là, même à sa veste des dimanches. Hélas! il a eu dans ses courses plus d'une intempérie à subir; un coup de vent lui a emporté le toit de sa maison; l'eau d'une gouttière a ruisselé sur sa tête et lui enlevé le fard de ses joues; une chute de voiture lui a cassé un bras ou une jambe, et comme il parle à un public assez turbulent, il s'enroue à crier trop fort, et à boire de l'eau-de-vie. Mais je vous le donne bien comme le plus savant et le plus espiègle des polichinelles ; il sait toutes les histoires du canton, tous les secrets du ménage. Jamais magicien n'a connu tant de choses; jamais le diable Asmodée n'a publié ses découvertes avec autant d'impertinence; aussi le rappelle-t-on souvent à l'ordre, et j'en ai vu un arrêté pour ses méfaits par la main du gendarme et du garde-champêtre, ces deux censures exécutives de toute bonne administration. Je vous assure que le pauvre polichinelle avait alors l'air très piteux; il penchait la tête tristement, comme pour faire son acte de contrition; et en effet il y avait bien de quoi: il avait mal parlé du gouvernement, et s'était même laissé aller, dans son excès de zèle, jusqu'à crier : Vive Louis XVII! La sentence portée fort à propos contre lui par un conseil municipal intelligent, parut lui servir de leçon.

Toutes ces poésies de nos paysans franc-comtois ne peuvent guère être traduites, car la naïveté de la pensée y est intimement liée à celle du langage. Cependant j'essaierai de rendre cette petite pièce qui est une véritable idylle complète à la manière de Théocrite: «Viens ici, petit mouton, viens, que je t'embrasse. Que n'es-tu un berger gentil, pour que je sois ta

maîtresse? Regarde; ma sœur aînée, on l'appelle : Ma poulette. Mais pour moi quelle douleur! Je suis encore trop petite.

« Caché derrière un buisson, un berger des plus beaux s'avance tout à coup, et lui dit : Ma poulette. La pauvre fille reste tout étonnée, car elle s'aperçoit, quoique enfant, qu'elle n'est pas trop petite (1). »

La suivante n'offre-t-elle pas un sentiment vrai et naïvement exprimé? «< Quand j'étais aimé de ma Claudine, rien ne manquait à mon bonheur : sa peine faisait ma peine; ses plaisirs étaient mes plaisirs. Nous nous disions souvent que nous nous aimerions sans cesse. Mais voyez, elle en aime un autre. Ma Claudine oublie nos amours.

<< Elle a le pied joli, les mains blanches, les cheveux tressés avec soin elle est toute mince de taille, et, sur ma foi, joliment mise. Elle est vive comme une souris, et chante comme un rossignol; mais, hélas! cette perfide fait à présent le bonheur d'un autre. »

En s'avançant vers le midi, le patois de la Franche-Comté s'amollit et devient plus musical et plus doux. C'est ainsi que dans la Bresse, on y retrouve déjà je ne sais quel mélodieux retentissement du provençal :

Vettia veni lo zouli ma;
Lou clés de ma méia z'a;
Vettia veni lo zouli ma;
Z'a lou clés de ma méia.

Oua, lou clés de ma méia z'a.
Pindu à ma centura.

<< Voici venir le joli mois; j'ai les clefs de mon amie; voici venir le joli mois; j'ai les clefs de mon amie, oui, j'ai les clefs de mon amie, pendues à ma ceinture. »

C'est une chanson que les jeunes gens de la Bresse chantent

(1) Véni cai, pitet maouton;
Véni, que dge tu caressa!
Que n'é te berdgi megnon
Per que seye ta metressa, etc.

le premier dimanche du mois de mai, en s'arrêtant devant les principales maisons du village. Une jeune fille marche en avant; elle est couverte de guirlandes de fleurs et de rubans, et on l'appelle la reine. Un jeune homme l'accompagne portant un petit arbre chargé de fleurs; on leur donne du vin, des œufs, quelquefois de l'argent, et toute la joyeuse caravane se partage ce tribut volontaire.

L'étude des patois de nos provinces a été long-temps dédaignée. Sous l'empire, le gouvernement commença cependant à en comprendre l'importance; une circulaire fut envoyée à tous les préfets, pour leur demander un specimen du patois de chaque département. Les premières recherches dont on pouvait attendre de grands résultats, furent interrompues par les événemens politiques, mais elles ont été continuées depuis avec beaucoup de zèle par la société des antiquaires de France. La plupart des membres de cette savante société, en choisissant un point spécial, sont parvenus à donner sur ce sujet des détails curieux, des documens d'un haut intérêt. Un jour, en compulsant tous les travaux auxquels ils se sont livrés, en recherchant les dissertations éparses sur le dialecte de telle ou telle province, il sera facile de composer une œuvre d'ensemble, où l'on embrasserait successivement tous les idiomes de la France. Il est temps de se livrer à ce genre d'études, car nos patois s'en vont. L'usage de la langue écrite pénètre chaque jour de plus en plus dans les campagnes. L'unité de la France, prêchée si éloquemment par M. Michelet, fait sans cesse de nouveaux progrès, et ces progrès se manifestent surtout par l'unité du langage. Les vieilles coutumes de nos provinces s'effacent et entraînent avec elles le vieil idiome. Si Racine revenait aujourd'hui à Uzès, il ne se plaindrait plus, comme il le faisait il y a un siècle, de ne pouvoir être compris sans le secours d'un interprète; car au midi comme au nord de la France, le paysan et l'ouvrier compren→ nent maintenant et parlent au besoin le français. Le languedocien et le provençal étaient autrefois des langues écrites, des langues célèbres; elles sont tombées avec le pouvoir des comtes de Toulouse et des comtes de Provence. Il leur est arrivé ce qui est arrivé au plat allemand, au wallon, au dialecte de la Frise, à toutes les langues qui n'étaient plus soutenues ni par la majorité de la nation, ni par l'imprimerie. Elles sont devenues le

partage du peuple, qui les a recueillies par tradition, qui les conserve par habitude, qui peu à peu les délaissera pour employer la langue générale du pays. Il y a là cependant des trésors de linguistique que nous regretterons; et avant de les laisser se perdre, il serait peut-être bon d'en sauver les débris, comme on tâche de sauver les restes d'un château dont le genre de construction informe nous rappelle l'esprit d'une époque, et dont les tours élevées au-dessus de la montagne donnent un point de vue plus pittoresque au paysage.

M. Émile Souvestre a publié dernièrement dans la Revue des deux mondes, des notices curieuses sur les poètes de Bretagne; on pourrait étendre cette intéressante exploration aux autres provinces, et l'on en viendrait ainsi à recueillir un grand nombre de poésies, souvent très remarquables, et presque toujours inconnues. J'en donnerai seulement une idée en citant les œuvres de Goudouli, le poète toulousain, les chansons béarnaises de Despourrins, les noëls en patois bourguignon de La Monnoye.

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Pierre Goudouli, plus connu sous le nom de Goudelin, naquit à Toulouse en 1579, et mourrut en 1649. Il était le contemporain du Tasse et de Guarini, et il y a du coloris de l'Aminta et du Pastor fido dans ses poésies. C'était le fils d'un chirurgien qui, après lui avoir fait donner une assez bonne éducation chez les jésuites, ne lui laissa qu'un patrimoine assez mince, et Goudouli ne songea nullement à l'agrandir, pas plus qu'à le conserver. Il trouva beaucoup plus commode de faire comme La Fontaine, de manger le fonds avec le revenu; car c'était un bon et joyeux enfant du midi, qui eût pu passer aussi, comme La Fontaine, des journees entières à rêver sous un arbre, et ne pas s'apercevoir qu'il pleuvait. Il avait cependant appris assez de grec et de latin pour se permettre d'être pédant tout à son aise; il avait étudié, hélas! bien à contre-cœur, mais enfin il avait étudié jusqu'au bout la jurisprudence, et s'était même fait recevoir avocat au parlement. Mais une fois arrivé là, il crut avoir montré assez de résolution et de courage. La déesse de la poé

sie, et celle de la paresse, et une foule d'autres divinités non moins aimables, vinrent le prendre, et le bon Goudouli s'abandonna complètement à leurs séductions. Je ne sache pas qu'il se soit jamais mis en frais d'éloquence pour résoudre une question de droit; mais, en revanche, il s'y est mis souvent pour prouver que le vin est la meilleure des choses, et que l'amour faisait sa première, sa plus constante occupation.

C'était l'ame de toutes les fêtes, et le convive obligé de toutes les joyeuses réunions. Le comte de Carmaing, gouverneur de la province, ne se lassait pas de le voir, et d'entendre ses gais couplets et ses fines réparties. Plus d'une fois, dit-on, quand il fut enfermé à la Bastille, par ordre du cardinal de Richelieu, il reprit, pour se consoler, les vers de Goudouli, et les lut à Bassompierre, son compagnon d'infortune. M. de Montmorency, l'un des grands seigneurs de la contrée, avait aussi conçu une affection toute particulière pour le poète. Il eût pu lui être d'un grand secours pour améliorer son sort, mais Goudouli se trouvait si bien ! Quelles places eût-il pu solliciter, je vous le demande, tant qu'il avait encore un reste d'enclos, une moitié de champ à vendre? Un jour un de ses amis vint le trouver, et lui représenta très gravement combien il avait tort de vendre une de ses vignes. Eh! mon bon ami, lui répond Goudouli, que veux-tu donc que j'en fasse de cette vigne ? Il y pleut comme à la rue.

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A force de rogner ainsi mois par mois son patrimoine, le pauvre Goudouli en vint bientôt à n'avoir pas la moindre ressource. Alors, par un de ces exemples de magnanimité, comme on n'en a pas souvent montré aux poètes, le conseil de Toulouse rétablit pour lui le prytanée antique, et Goudouli fut entretenu aux frais de la ville. Un siècle et demi plus tard, cette même ville lui rendait un hommage encore plus solennel. En 1808, ses cendres furent transférées de l'église des Carmes dans celle de la Daurade. Ce fut une cérémonie toute littéraire et toute religieuse. Les cloches des vieilles cathédrales sonnèrent pour le triomphe de Goudouli, comme autrefois les cloches du Capitole pour le couronnement de Pétrarque. De nouvelles fleurs tombèrent sur son cercueil, et son buste fut porté au Panthéon de Toulouse, à côté des hommes illustres de son temps, et non loin de Clémence Isaure, la muse du Languedoc.

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