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du vestibule, qu'on le tue, sur les marches, d'un coup de pistolet.

Santerre est nommé commandant général à sa place. Il était alors à peu près six heures du matin.

Déjà, sur plusieurs points, les fédérés formaient leurs colonnes pour marcher contre le château.

Quelle était sa défense? Quelques compagnies suisses et les 300 volontaires.

A la vérité, les bataillons de la garde nationale arrivaient de toutes parts et remplissaient la cour, le jardin et les terrasses, et l'artillerie était là avec ses canons.

Mais pouvait-on compter sur la garde nationale? c'est ce dont le roi voulut s'assurer.

« Pour cette fois, » dit-il, » je consens que mes amis me défendent. Ma cause est celle de tous les bons citoyens; je ne me séparerai pas d'eux. »

Il s'apprête donc à aller passer en revue ses défenseurs; la reine, étouffant avec bien de la peine ses sanglots, reste dans les salons, et il descend dans la cour.

Le tambour bat aux champs, et quelques cris de Vive le roi se font entendre, dominés et étouffés par le cri de Vive la nation! Si dans la cour le bataillon des FillesSaint-Thomas fait éclater son zèle pour la défense du roi, les autres bataillons, en général, restent muets et froids. Dans le jardin, d'un côté au cri de Vive la nation! se mêle celui de Vive Péthion! de l'autre le roi est accueilli par un morne silence. Sur la terrasse du bord de l'eau, les artilleurs crient avec fureur : A bas le veto! à bas le traître! et même, dans le jardin, un homme le menaça de son poignard.

Le roi voit qu'il ne peut compter sur la garde nationale, et peut-être alors au fond du cœur donna-t-il un regret à Lafayette. Il rentre, accablé de douleur et d'inquiétude, dans le palais, où les 300 volontaires royalistes et un grand nombre de gardes nationaux des Filles-Saint

Thomas l'attendaient, prêts à périr pour lui. Alors, des fenêtres, on vit les artilleurs de la garde nationale retourner leurs canons contre le château, en criant: A bas le tyran!

En cet instant la nouvelle de l'assassinat de Mandat arrive au château.

Cette nouvelle était pour la famille royale un arrêt de

mort.

Dans l'attente de l'émeute qui allait arriver en armes, le désordre aux alentours du palais ne cessait de croître; le cri de Vive le roi! ne s'entendait plus dans la cour et dans le jardin; mais seulement celui de Vive la nation! et d'autres encore plus significatifs.

Il est huit heures.

Dans le salon paraît enfin, comme représentant l'autorité départementale de Paris, le procureur général syndic du département, Roederer, revêtu de son écharpe.

S'adressant au roi, il lui peint, sous les couleurs les plus effrayantes, la fureur du peuple; il déclare que le =danger est au-dessus de toute expression; que la garde nationale fidèle est peu nombreuse; que le reste appartient à l'émeute et tirera sur le château; que toute la famille royale et tous ceux qui étaient auprès d'elle seront infailliblement égorgés, si le roi ne prend sur-le-champ un parti décisif. Quel parti? se réfugier au sein de l'Assemblée.

« Quoi! » s'écrie la reine, « le roi demanderait un refuge à des hommes qui peut-être, à l'heure même, prononcent sa déchéance! Si nous ne pouvons sauver notre vie, sauvons du moins notre honneur.

- Eh quoi! madame, dit Roederer, << vous voulez donc la mort du roi, de vos deux enfants, de Madame Elisabeth, la vôtre, celle de toutes les personnes qui sont ici pour vous défendre?

-Ah! que ne puis-je, » répliqua la reine,» appeler tous les dangers sur ma tête! »

Le roi, jusque-là plongé dans un silence morne, dit Ræderer:

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N'est-il pas évident que les plus ardents fauteurs de l'insurrection siégent dans cette Assemblée, à laquelle yous voulez que je confie tout ce que j'ai de plus cher?Sire, l'Assemblée vous saura gré d'avoir évité une sanglante catastrophe. »

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Le roi était ébranlé; il prononça ces paroles : « Puissentils se souvenir qu'aucun sacrifice ne m'a coûté pour prévenir l'effusion du sang! Sommes-nous donc abandonnés?» s'écria la reine; « n'y a-t-il plus aucun moyen de défense? Aucun,» reprit Roederer. « Que le sang ne soit pas versé!» dit le roi. Sa résolution était prise. Les volontaires étaient au désespoir; un des commandants des Filles-Saint-Thomas, Boscari, veut tenter un dernier effort, et conjure Louis XVI de prévenir l'attaque des insurgés, qui ne seraient prêts que dans deux heures; de former avec les Suisses un bataillon carré, de se faire jour les armes à la main, et de rejoindre la route de Rouen, ville bien disposée où commandait La Rochefoucauld-Liancourt. «Ce parti serait excellent, si j'étais seul, » répondit le roi; mais ma famille !... »

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L'avis de Roederer l'emporte. Le roi, après un court silence, dit à la reine: Partons; et, comme toutes les personnes présentes faisaient éclater la douleur la plus vive, Marie-Antoinette, pour les consoler, leur dit, quoique trop sûre du contraire : « Nous reviendrons bientôt. » Le roi et sa famille, pour se rendre à l'Assemblée, sortent de leur palais, et, entre deux haies de gardes nationaux, arrivent jusqu'à l'escalier de la terrasse des Feuillants. Là une multitude immense s'oppose un instant à leur passage, et il fallut, pour qu'on leur laissât le chemin. libro, l'intervention de Roederer.

. Le roi conduisait sa sœur, Roederer avait l'honneur de donner le bras à la reine; puis venait Madame Royale avec

sa gouvernante; un garde national portait le prince royal dans ses bras.

C'est ainsi qu'on arriva dans la salle de l'Assemblée.

En entrant, le roi dit : « Je suis venu ici pour éviter un grand crime qui allait se commettre; je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu'auprès de vous, messieurs. »

La présence du roi avait plongé dans une stupeur passagère l'Assemblée satisfaite et inquiète à la fois de ce triomphe, qui dépassait son espoir; aussi, malgré tout son esprit, le président, Vergniaud, ne put faire que cette réponse absurde: « que l'Assemblée ferait son devoir, qui était de mourir pour la défense des autorités constituées. » Et déjà l'immense clameur des bandes qui envahissaient le palais arrivait dans la salle. La Gironde voyait avec joie que l'occasion était arrivée de prononcer la suspension ou la déchéance; elle ignorait encore l'assassinat du commandant général, et l'intrusion d'une municipalité jacobine, et elle croyait que l'insurrection allait s'arrêter, satisfaite de sa victoire.'

Sous prétexte que la Constitution ne lui permettait pas de délibérer en présence du roi, elle le fit placer, avec sa famille, dans la loge vide du journal le Logographe, derrière le fauteuil du président; c'était une cage de 12 pieds en carré et de 6 pieds de haut, dont les murs blancs réfléchissaient les rayons du soleil et en redoublaient l'ardeur.

A peine la famille royale avait-elle abandonné le château, que les gardes nationaux et la plupart des volontaires accourus à sa défense l'avaient quitté. Les Suisses aussi se disposaient à l'abandonner. Les bandes insurgées arrivent de toutes parts en poussant des cris sauvages. Un groupe de Marseillais s'approche des Suisses sous prétexte de fraterniser, en attire cinq dans ses rangs et les égorge 1. A l'instant même les Suisses répondent

1. M. de Conny, Histoire de la Révolution.

à cette attaque par une décharge de mousqueterie qui met cette multitude en fuite. Vainqueurs pour quelques moments, les Suisses s'emparent des canons des Marseillais: le Carrousel est évacué. Au même instant, le commandant des Suisses, Salis, à la tête d'un détachement, s'avance, sous une grêle de coups de fusil, jusqu'à la porte de l'Assemblée, et là s'empare de trois pièces de canon qu'il fait rouler sur la terrasse du château. Il était alors dix heures du matin; les Marseillais et la foule ameutée fuyaient dans toutes les directions, et le remous de cet immense reflux se faisait sentir jusqu'à la place de la Bastille.

L'Assemblée, qui voit les avenues de son palais au pouvoir des gardes du roi, est en proie à l'agitation la plus vive; plusieurs membres veulent fuir, et sont forcés de reprendre leurs places. Les décharges du canon faisaient trembler les vitres. Chaque décharge portait la mort dans l'âme si sensible de Louis. Les députés, se pressant devant sa loge, lui demandent avec anxiété s'il a donné l'ordre à ses gardes d'exterminer le peuple. Hélas! » répond-il, « je n'ai donné aucun ordre. » On le supplie de faire cesser le feu. Il envoie d'Hervilly au château pour ordonner aux Suisses de cesser le feu; et il signe un ordre qui retient dans le lieu de leur résidence ou arrête dans leur marche les compagnies suisses casernées à Rueil et à Courbevoie.

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Tel fut le dernier acte de Louis XVI comme roi.

L'émeute cependant avait repris courage et accourait de nouveau à la charge; les Marseillais arrivent sur le Carrousel avec de nouveaux canons que dans leur fureur inexpérimentée ils tirent contre les fenêtres du château sans pouvoir briser que les toits. Les Suisses, qui ont reçu l'ordre porté par d'Hervilly, font vainement signe qu'ils renoncent à combattre. On se précipite sur eux, dans la cour et dans le jardin, qu'envahissent les bandes armées. Alors commence un carnage horrible et sans pitié : ils se

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