Recueillirent leurs droits, tandis que la Fortune Il vendit son tabac, son sucre, sa cannelle Ce qu'il voulut, sa porcelaine encor : On ne parlait chez lui que par doubles ducats; Un sien ami, voyant ces somptueux repas, Lui dit : Et d'où vient donc un si bon ordinaire? Et d'où me viendrait-il que de mon savoir-faire? Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins, qu'au talent Un vaisseau mal frété périt au premier vent; Un troisième au port arrivant, Rien n'eut cours ni débit : le luxe et la folie Enfin, ses facteurs le trompant, Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie (1), Son ami, le voyant en mauvais équipage, Lui dit: D'où vient cela? De la Fortune, hélas! Consolez-vous, dit l'autre; et, s'il ne lui plaît pas (1) Chère succulente et joyeuse. Mais je sais que chacun impute, en cas pareil, Et si de quelque échec notre faute est suivie, Chose n'est ici plus commune. Le bien, nous le faisons; le mal, c'est la Fortune : XV. Les Devineresses (1). C'est souvent du hasard que naît l'opinion; Sur gens de tous états: tout est prévention, Une femme, à Paris, faisait la pythonisse: Pour se faire annoncer ce que l'on désirait (2). Quelques termes de l'art, beaucoup de hardiesse, (1) Cette fable a trait à l'histoire d'une prétendue sorcière qui fit courir tout Paris à ses consultations. Par allusion au même fait, Vizé et Thomas Corneille ont donné, en 17, une comédie intitulée la Devineresse, ou les faux Enchantements. (2) Les Parisiens du xixe siècle ne sont point guéris complétement de la crédulité sotte dont se moque ici La Fontaine. On se souvient de mademoiselle Lenormand; et l'on peut lire chaque jour, à la quatrième page des journaux sérieux, les annonces des somnambules, des pythonisses et des cartomanciennes. L'esprit humain a des maladies incurables. Du hasard quelquefois, tout cela concourait, Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats, L'oracle était logé dedans un galetas : Là, cette femme emplit sa bourse, Et, sans avoir d'autre ressource, D'une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville, L'autre femelle avait achalandé ce lieu. Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire: Point de raisons fallut deviner et prédire, : Mettre à part force bons ducats, Et gagner malgré soi plus que deux avocats. Dans une chambre tapissée, On s'en serait moqué la vogue était passée L'enseigne fait la chalandise. (1) Féminin de devin. Ne s'emploie plus. (2) Un manche de balai, parce que dans la croyance populaire les sorcières se rendaient au sabbat en traversant les airs sur un manche de balai. (3) Et sa metamorphose, c'est-à-dire la pratique tenebreuse de ceux qui se rendent à cette réunion diabolique, et qui s'y transforment en divers ani maux. J'ai vu dans le palais une robe mal mise XVI. Le Chat, la Belette, et le petit Lapin (1). Du palais d'un jeune lapin Dame belette, un beau matin, (1) Doni, Filosofia morale, 1594, in-8°, fol. 121, réimprimé dáns Guillaume, Recherches sur les auteurs dans lesquels La Fontaine a pu trouver les sujets de ses Fables. Besançon, 1822, in-8°, p. 34; il Topo, la Lepre, il Gallo. Contes et Fables indiennes de Bidpaï et de Lokman, traduits d'Ali Tchélébi-ben-Saleh; ouvrage commencé par feu M. Galland, continué et fini par Cardonne, 1778, in-12, t. II, p. 342. Le Chat et la Perdrix. Bidpaï, que La Fontaine appelle, comme on l'a vu, Pilpay, est un philosophe indien auquel les Persans et les Arabes ont attribué un recueil d'apologues intitulé par eux Calila et Dimna, des noms de deux chacals qui sont les personnages les plus importants d'une partie considérable du livre. C'est en 1644, pour la première fois, que parut une version française des Apologues de Bidpaï, faite directement d'après une langue orientale. Le Livre des lumières de David Sahid est la traduction de la version persane du Livre de Calila et Dimna; et cet ouvrage doit être signalé parce qu'il a fourni à La Fontaine plusieurs de ses belles fables. Voici le titre de cette traduction française: Le Livre des Lumières, ou la Conduite des roys, composé par le sage Pilpay, Indien; traduit en françois par David Sahid d'Ispahan, ville capitale de la Perse. A Paris, chez Siméon Piget, 1644, petit in-8°. Plus de vingt ans après, en 1666, le P. Poussines, savant jésuite, donna, sous le titre d'Exemples de la sagesse des anciens Indiens, une traduction latine du Calila et Dimna, composée sur la version grecque de Siméon Seth. Le grand volume in-folio qui recèle ce travail n'a point échappé à la curiosité de La Fontaine, et on trouve dans son recueil plusieurs fables qu'il n'a pu puiser qu'à cette source. Le Directorium humanæ vitæ, de Jean de Capoue, est un livre beaucoup trop rare pour que l'on puisse croire que La Fontaine l'ait consulté. (Loiseleur-DesloNCHAMPS, Essai sur les Fables indiennes, 1838, in-8°, p. 23 et suiv.) Voir: Calila et Dimna, ou Fables de Bidpaï, en arabe, précédées d'un Mémoire sur l'origine de ce livre et sur les diverses traductions qui en ont été faites en Orient, par M. Sylvestre de Sacy. Voir également : Essai sur les Fables indiennes, par LoiseleurDeslonchamps. Paris, Techener, 1838, in-8°. — Quant aux fables de Lokman, M. de Sacy les considère comme modernes et empruntées à la rédaction grecque des fables ésopiques. Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée. Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours, O dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître? Que l'on déloge sans trompette, C'était un beau sujet de guerre Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant! A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Jean lapin allégua la coutume et l'usage : (1) Encore de l'actualité. Les modernes théoriciens de la propriété se seraient-ils inspirés, par hasard, des théories de la belette? (2) Nom tiré de Rabelais. « Nous avons ici, près la Villaumère, un vieux poëte; c'est Raminagrobis, lequel en seconde nopce espousa la grande gourre, dont naquit la belle Bazoche. » Pantagruel, liv. III, ch. xxi. (3) Catta mitis, la chatte caressante. |