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La première de ces institutions rapportait tout à la conscience.

La seconde, à la gloire.

Celle-ci avait sanctifié le nom de vertu. Celle-là a consacré le nom d'honneur. Le stoïcisme, placé au sein de la tyrannie et de la corruption, avait besoin de conduire les hommes, violemment, par l'idée d'une perfection presque impossible. La chevalerie, ayant à tirer les hommes des mœurs barbares, avait besoin de séduire l'imagination, autant que de l'étonner. Aussi elle mêlait des idées de fêtes et de plaisirs à toutes les prouesses qu'elle exigeait ; et elle appelait le luxe par ses vertus même.

Le stoïcisme, sorti originairement des vertus républicaines et des méditations philosophiques, avait une sublimité extraordinaire, et ne convenait qu'à des âmes singulièrement fortes.

La chevalerie, née dans les monarchies et pour les monarchies, se guidant par le sentiment et non par la raison, soumettait à ses lois par les passions; et s'étudiait autant de donner des grâces que de la grandeur aux vertus. Aussi a-t-elle fait de bien plus vastes

progrès. L'Europe est devenue sa conquête ; elle y a tout changé dans les mœurs, de même que la féodalité avait tout transformé dans les lois.

Le Stoïcisme a cessé depuis long-temps; plus on a voulu ranimer l'esprit de chevalerie, plus il s'est éteint: on n'aurait plus, avec ces mobiles, que l'hypocrisie de l'austérité ou une jonglerie de la générosité. C'est que ces doctrines ne sont pas plus en accord avec un nouveau cours de choses, d'idées et de mœurs, qu'elles ne l'étaient, avant leur naissance, avec le règne des institutions républicaines.

Quand le régime social a, par lui-même, de la force pour le bien, on n'a pas besoin de ces ressorts, hors de la nature ou hors de la raison; ils ne viennent, que lorsqu'ils sont des correctifs salutaires.

Les Grecs du temps de Lycurgue et de Solon; les Romains, jusqu'à la destruction de Carthage, eurent un principe des vertus publiques et domestiques, sans la secte de Zénon. Mais, après que les poëtes et les artistes, les théologiens de ces temps-là, eurent trop prolongé l'enfance de l'esprit humain

par ces terrestres représentations, dont ils peuplaient le ciel, on sentit le besoin de relever les âmes par l'idéalisme de l'académie et l'austérité du portique.

Lorsque la morale religieuse, exagérant la religion, détruisait la société par l'inutile cruauté des macérations, par une humilité sans bon sens, par une abnégation contre nature, il fallait bien ramener au service public, par l'exaltation de la gloire, et à la vie humaine, par le culte des dames; et c'est ce qui fit survivre l'esprit de la chevalerie à son temps et à ses causes.

Aujourd'hui, il y a, pour les hommes éclairés, si ce n'est encore pour les peuples, une morale, une doctrine, une sorte de religion nouvelle, par une plus grande connaissance des principes et des intérêts sociaux; par le développement de ces idées libérales et de ces affections philanthropiques, nées de l'application des lumières à l'amélioration des destinées humaines; et ce ressortlà en vaut bien un autre. A chaque temps, ce qui lui est propre.

II.

15

L'HOPITAL ET SULLY.

Ces Portraits ont été écrits en 1782; retouchés en 1816.

Tous deux vécurent dans les guerres civiles; mais l'un les vit commencer, l'autre les vit finir.

Tous deux furent des ministres et des hommes d'État; mais l'un avait éminemment le génie de la législation, l'autre le génie des affaires.

Tous deux eurent une vertu ferme et sévère; mais je vois dans l'un les qualités de cette ancienne noblesse, dont il descendait, relevées par une vaste application, un grand sens, un caractère énergique ; je vois dans l'autre une âme nourrie dans la méditation des grandes pensées et des grandes actions de l'antiquité, à laquelle il appartenait, même par sa figure, où l'on croyait reconnaître l'effigie d'Aristote; et où l'on sentait une dignité extraordinaire.

Tous deux furent les censeurs et les réfrénateurs d'une cour et de leur siècle mais ici leur gloire n'est pas égale : l'un n'eut que des désordres à réprimer; l'autre eut des massacres publics à prévenir.

Quel imposant spectacle que celui de L'Hôpital, retenant, seul, pendant sept ans, ce torrent de fureurs prêt à se déborder; parlant hardiment de justice et d'humanité dans une cour, où ces mots sacrés ressemblaient à des cris de sédition; démentant et accusant dans les assemblées nationales et dans les conseils des rois, toutes les maximes coupables ou dangereuses; contenant le génie factieux des Guises; se soumettant l'âme noire et faible de Médicis; captivant, par le respect involontaire qu'il inspirait, les deux rois qu'il servit rien ne put rendre la liberté à tant de cœurs avides de crimes, que son exil. Eh! quel était donc cet homme qui exerçait ainsi tout l'ascendant de la vertu? c'était le fils d'un proscrit et le petit-fils d'un Juif. Telle fut la destinée de L'Hôpital à la

cour.

Celle de Sully y fut bien différente; il était l'ami du meilleur de nos rois. Mais ce

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