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monstruosités. Le système de Kant est aussi explicite que celui de Fichte: « L'ordre est la régularité dans les phe»nomènes, ce que nous nommons nature est donc notre » propre ouvrage. Nous ne trouverions pas cet ordre dans >> les objets si nous ne l'y avions mis. En effet, l'unité ha» turelle doit être une unité nécessaire, c'est-à-dire une » certaine unité à priori de l'enchaînement des phéno» mènes. Or, comment pourrions-nous produire une unité » synthétique à priori, si nous n'avions dans les sources >> primitives de notre esprit des raisons subjectives d'une >> semblable unité; si ces conditions subjectives n'étaient >> en même temps valables objectivement, puisqu'elles >> sont les fondements de la possibilité de connaître en gê»néral un objet dans l'expérience (1)? » Le monde extérieur n'a donc de réalité que celle que lui donne le moi.

Nous voici revenus aux illusions du Vedanta, en partant d'un point opposé. Le panthéisme ancien nie l'homme, le panthéisme moderne nie Dieu. On ne trouve que cela dans la Critique de la raison pure de Kant, dans la Théorie de la science de Fichte, dans le Système de l'idéalisme transcendental de Schelling, dans la Phénoménologie et dans la Logique de Hegel, dans la Métaphysique de Herbart. Kant admet, à l'aide de sa raison pratique, une certaine objectivité du monde externe; Fichte ne fait du monde externe qu'une forme de son entendement: il tire toutes choses de son acte primitif pur; il ne se se pose pas en petit homme.

Nous avons vu comment le panthéisme se formule en français : « Dieu est l'intelligence universelle... qui ne >> parvient que dans l'homme à se connaître et à dire >> moi. » Il s'insinue d'abord doucement dans les œuvres (1) Logique transcendentale.

de M. Cousin: « Une cause absolue et une substance ab>> solue sont identiques dans l'essence, toute cause absolue » devant être substance en tant qu'absolue, et toute sub» stance absolue devant être cause pour pouvoir se mani>> fester. De plus, une substance absolue doit être unique >> pour être absolue deux absolus sont contradictoires, et >> l'absolue substance est une ou n'est pas. On peut même » dire que toute substance est absolue en tant que sub>> stance, et par conséquent une. Car des substances rela>>tives détruisent l'idée même de substance, et des sub>>> stances finies, qui supposent au delà d'elles une substance » encore à laquelle elles se rattachent, ressemblent fort à >> des phénomènes. L'unité de la substance dérive donc de >> l'idée même de la substance, laquelle dérive de la loi de » la substance (1). »

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Il ne peut y avoir qu'une substance. Est-elle matérielle ou est-elle spirituelle? M. Cousin le passe sous silence. Toute substance est absolue. Or, toute substance absolue doit être cause pour pouvoir se manifester. Mais s'il ne peut y avoir qu'une substance, de quoi peut-elle être cause? A quelle nouvelle substance la substance absolue se manifestera-t-elle ? L'unité est la loi de la substance. Il est permis d'avoir une opinion; mais embrasser dans quatre lignes deux opinions qui se heurtent et qui se détruisent, comme celles de cause et d'unité, ne ressemble guère au phénomène d'une substance absolue qui ne comporte pas la contradiction. Comment peut-il y avoir dés manifestations possibles s'il n'y a pas de substances relatives?

Bientôt nous verrons la lumière jaillir de la raison humaine comme de son unique foyer. Encore une petite dif(1) Cousin, Fragments philosophiques, 2o édition, pages 23 et 24.

ficulté si la substance est unique et infinie, en faveur de qui jaillit cette lumière?

Le panthéisme réduit tout ce qui est à l'unité absolue, et c'est là, disent les panthéistes, le résultat incontestable de l'observation psychologique. Entrez dans les profondeurs de l'étude psychologique, et vous y découvrirez nettement ce que tous les hommes sentent, voient et connaissent la distinction bien tranchée de chaque individu. Un homme cache sa pensée à un autre homme, il ne sépare pas sa raison propre de sa personnalité, mais il sépare nécessairement dans son idée sa raison et sa personnalité de la raison et de la personnalité des autres hommes. M. Cousin lui-même fait cette séparation, séparation cruelle et humiliante pour nous, puisqu'il n'attribue la souveraineté qu'à la raison en philosophie, d'où il suit que la raison du profane vulgaire n'est point souveraine. Il est vrai que nous n'avons pas cette prétention, car nous connaissons la faiblesse de notre fragile raison. « La raison et ses lois, se >> rattachant à la substance, » ne peuvent être ni une modification ni un effet du moi, puisqu'elles sont l'effet immédiat de la manifestation de la substance absolue; donc la raison établit un rapport avec mon intelligence, comme la lumière du soleil établit un rapport avec mon œil. Vous établissez vous-même les relations de substances, après les avoir niées, et ce n'est pas ma raison que vous appellerez la manifestation de la substance absolue. Ma raison personnelle est trop faible pour mériter ce titre pompeux, et vous dites que c'est la connaissance profonde de la psychologie qui apprend à ne pas voir de substances relatives. C'est, au contraire, l'idée d'unité absolue qui est en contradiction avec les faits primitifs. L'idée de nombre est

dans toutes les langues et de tous les temps; vous ne pouvez vous empêcher de l'employer vous-même: Vous parlez de rapports, d'équations jusque dans vos démonstrations. AA, dit Fichte, et ce ne sont pas seulement des phénomènes, de simples modifications que nous comptons; ce sont des réalités. Mais vous croyez si peu à cette réalité identique d'une seule substance, que vous ne laisseriez pas passer une pièce d'or de votre poche dans la poche de votre voisin sans réclamer. Pourquoi réclamer? Des substances relatives détruisent l'idée même de substance; vous n'êtes qu'une même substance, une même personne; donc votre fortune est celle de toute, de l'unique substance. C'est une folie de l'univers d'avoir cru à la multiplicité des êtres, car la raison se rattache à la substance; il n'y a qu'une substance, donc il n'y a qu'une raison et par conséquent qu'un entendement.

Si la raison n'est que la manifestation de la substance absolue, expliquez-moi le désaccord de votre raison et de la mienne, expliquez-moi la guerre dans la substance absolue, car la guerre suppose deux volontés; la volonté aussi est rattachée à la substance : vouloir, causer, être, pour nous expressions synonymes. Il y a donc deux êtres, puisqu'il y a deux volontés. Il y a deux êtres relatifs, deux êtres substantiels, donc des substances relatives. En vous distinguant de moi, pouvez-vous n'affirmer qu'un être? Poussez votre système jusqu'à sa dernière conséquence, faites disparaître toutes les formes, car l'absolu ou l'infini n'en supportent pas; faites disparaître les noms, il ne faut qu'un nom à une seule substance, à un seul être; faites disparaître toutes les distinctions, une distinction est une comparaison, une comparaison est une relation.

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Vous repoussez l'idée de substances relatives; mais comme l'acte est le caractère de la nature des êtres, Vous l'avez dit vous-même, la substance, dont l'unité est la nature, doit avoir en tout l'unité pour caractère: Avec l'unité absolue et nécessaire, l'activité elle-même n'est nullement possible; Dieu est tout: qué peut-il avoir à faire et sur quoi peut-il agir? Il n'y a plus rien sur quoi puissent se porter les désirs, les affections; on est seul et l'on est absolu, infini, on possède tout; rien n'est possible au delà de ce qui est.

Dans cette théorie, on réduit toutes les langues de l'univers à ce mot: moi. Hors du moi il n'y a rien, ni ĉitoyen, ni patrie, ni époux, ni religion, ni Dieu, ni juste, ni injuste. Le moi est absolu, il contient tout. Essayez d'appliquer la qualification de bon, de vertueux, à l'homme qui n'aime rien hors de lui. On n'est bon, on n'est vertueux que parce que l'on aime hors de soi. Il faudrait donc, sous l'empire du panthéisme, retrancher de l'idiome humain tous les mots relatifs à la vertu, à la bonté, à l'amour. Le vice est le contraire de la vertu; si la vertu n'existe pas, elle ne peut pas avoir un contraire. Avec l'idée de substance unique, absolue, on ne peut pas avoir l'idée de vice; le vice est une négation.

L'adoption du panthéisme amène forcément, logiquement, la destruction des langues et de l'intelligence.

Le sensualisme le plus grossier, l'égoïsme le plus profond, sont les déductions de cette théorie. Hors de vous, vous ne voyez rien, vous ne pensez à rien. Votre unique besoin est de tout vous assimiler, de tout absorber. On peut définir l'égoïsme : le système de l'absorption universelle par le moi! C'est un système d'identification dëfini

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