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tant de mal, et le persuadèrent si fortement à qui ne l'avoit pas entendue, qu'ils crurent pouvoir insinuer au public, ou que les caractères faits de la même main étoient mauvais, ou que s'ils étoient bons, je n'en étois pas l'auteur, mais qu'une femme de mes amies m'avoit fourni ce qu'il y avoit de plus supportable: ils prononcèrent aussi que je n'étois pas capable de faire rien de suivi, pas même la moindre préface; tant ils estimoient impraticable à un homme même qui est dans l'habitude de penser, et d'écrire ce qu'il pense, l'art de lier ses pensées et de faire des

transitions.

Ils firent plus : violant les lois de l'Académie Françoise, qui défendent aux académiciens d'écrire ou de faire écrire contre leurs confrères, ils lâchèrent sur moi deux auteurs associés à une même gazette (1): ils les animèrent, non pas à publier contre moi une satire fine et ingénieuse, ouvrage trop audessous des uns et des autres, « facile à manier, et « dont les moindres esprits se trouvent capables », mais à me dire de ces injures grossières et personnelles, si difficiles à rencontrer, si pénibles à prononcer ou à écrire, sur-tout à des gens à qui je veux

(1) Mercure galant.

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croire qu'il reste encore quelque pudeur et quelque soin de leur réputation.

Et en vérité je ne doute point que le public ne soit enfin étourdi et fatigué d'entendre depuis quelques années de vieux corbeaux croasser autour de ceux qui, d'un vol libre et d'une plume légère, se sont élevés à quelque gloire par leurs écrits. Ces oiseaux lugubres semblent par leurs cris continuels leur vouloir imputer le décri universel où tombe nécessairement tout ce qu'ils exposent au grand jour de l'impression; comme si on étoit cause qu'ils manquent de force et d'haleine, ou qu'on dût être responsable de cette médiocrité répandue sur leurs ouvrages. S'il s'imprime un livre de mœurs assez mal digéré pour tomber de soi-même et ne pas exciter leur jalousie, ils le louent volontiers, et plus, volontiers encore ils n'en parlent point: mais s'il est tel que le monde en parle, ils l'attaquent avec furie; prose, vers, tout est sujet à leur censure, tout est en proie à une haine implacable qu'ils ont conçue contre ce qui ose paroître dans quelque perfection, et avec les signes d'une approbation publique. On ne sait plus quelle morale leur fournir qui leur agrée; il faudra leur rendre celle de la Serre ou de Desmarets, et s'ils en sont crus, revenir au Pédagogue Chrétien, et à la Cour Sainte. Il paroît

une nouvelle satire écrite contre les vices en général, qui d'un vers fort et d'un style d'airain enfonce ses traits contre l'avarice, l'excès du jeu, la chicane, la mollesse, l'ordure, et l'hypocrisie, où personne n'est nommé ni désigné, où nulle femme vertueuse ne peut ni ne doit se reconnoître; un Bourdaloue en chaire ne fait point de peintures du crime ni plus vives ni plus innocentes: il n'importe, c'est médisance, c'est calomnie: voilà depuis quelque temps leur unique ton, celui qu'ils emploient contre les ouvrages de mœurs qui réussissent; ils y prennent tout littéralement, ils les lisent comme une histoire, ils n'y entendent ni la poésie ni la figure, ainsi ils les condamnent : ils y trouvent des endroits foibles; il y en a dans Homère, dans Pindare, dans Virgile, et dans Horace; où n'y en a-t-il point? si ce n'est peut-être dans leurs écrits. Bernin n'a pas manié le marbre, ni traité toutes ses figures d'une égale force; mais on ne laisse pas de voir, dans ce qu'il a moins heureusement rencontré, de certains traits si achevés tout proche de quelques autres qui le sont moins, qu'ils découvrent aisément l'excellence de Fouvrier: si c'est un cheval, les crins sont tournés d'une main hardie, ils voltigent et semblent être le jouet du vent; l'œil est ardent, les naseaux soufflent le feu et la vie ; un ciseau de maître s'y retrouve en

mille endroits; il n'est pas donné à ses copistes ni à ses envieux d'arriver à de telles fautes par leurs chefs-d'œuvre; l'on voit bien que c'est quelque chose de manqué par un habile homme, et une faute de Praxitele.

Mais qui sont ceux qui, si tendres et si scrupuleux, ne peuvent même supporter que, sans blesser et sans nommer les vicieux, on se déclare contre le vice? sont-ce des chartreux et des solitaires? sont-ce les jésuites, hommes pieux et éclairés? sont-ce ces hommes religieux qui habitent en France les cloîtres et les abbayes? Tous au contraire lisent ces sortes d'ouvrages, et en particulier, et en public, à leurs récréations; ils en inspirent la lecture à leurs pensionnaires, à leurs élèves ; ils en dépeuplent les boutiques, ils les conservent dans leurs bibliothèques : n'ont-ils pas les premiers reconnu le plan et l'économie du livre des Caractères? n'ont-ils pas observé que de seize chapitres qui le composent il y en a quinze qui s'attachent à découvrir le faux et le ridicule qui se rencontrent dans les objets des passions et des attachements humains, ne tendent qu'à ruiner tous les obstacles qui affoiblissent d'abord, et qui éteignent ensuite dans tous les hommes la connoissance de Dieu qu'ainsi ils ne sont que des préparations au seizième et dernier chapitre, où

l'athéisme est attaqué et peut-être confondu, où les preuves de Dieu, une partie du moins de celles que les foibles hommes sont capables de recevoir dans leur esprit, sont apportées, où la providence de Dieu est défendue contre l'insulte et les plaintes des libertins? Qui sont donc ceux qui osent répéter contre un ouvrage si sérieux et si utile ce continuel refrain, « C'est médisance, c'est calomnie? » Il faut les nommer, ce sont des poëtes. Mais quels poëtes ? Des auteurs d'hymnes sacrées ou des traducteurs de psaumes, des Godeau où des Corneille? Non, mais des faiseurs de stances et d'élégies amoureuses, de ces beaux esprits qui tournent un sonnet sur une absence ou sur un retour, qui font une épigramme sur une belle gorge, et un madrigal sur une jouissance. Voilà ceux qui, par délicatesse de conscience, ne souffrent qu'impatiemment qu'en ménageant les particuliers avec toutes les précautions que la prudence peut suggérer, j'essaie dans mon livre des mœurs de décrier, s'il est possible, tous les vices du cœur et de l'esprit, de rendre l'homme raisonnable et plus proche de devenir chrétien. Tels ont été les Théobaldes, ou ceux du moins qui travaillent sous eux et dans leur atelier.

Ils sont encore allés plus loin; car, palliant d'une politique zélée le chagrin de ne se sentir pas à leur

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