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j'ai actuellement fous les yeux, mille & mille vers mefurés, comme j'entends que les vers François peuvent l'être. Je n'en cherchois que quelques exemples, j'en ai trouvé fans nombre; & je ne propofe aux jeunes Poëtes que d'eflayer par réflexions ce que leurs maîtres ont fait par un fentiment exquis de la cadence & de l'harmonie.

Commençons par nous retracer les 2 piés de l'Afclepiade,

fans changer la mefure de ces deux nombres, on peut les remplacer par Pun de ces équivalens.

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Le mouvement n'eft plus le même, & les piés du vers font égaux.

Aū sẽin tămūltňeux dě li guerre civile.

Volt.

Un Roi victorieux écrāsě měs serpens. of Volt. Ils sōnt ēnsĕvēlis fous lă mâssě pěsante. Quin. Põurgtõi l'äfsăsiner ? qu'a-t'il fait à à quel titre ?

Racine..

Suppofons enfuite que dans le premier hémistiche le dactile ou l'équivalent prenne la place du fpondée, & le fpondée celle du dactile, comme dans

ce vers:

L'Indifferent atis n'en fera point jaloux. Quin

Suppofons encore le fecond hémiftiche compofé d'un dipirriche & d'un fpondée, ou d'un fpondée, & d'un dipirriche, comme dans ces exemples:

Et je lui porte enfin mōn coeur ă děvŏrēr. Racine. Vient enflammer mon fang ět děvõiěr môn coẻ ur.

Quin

Les combinaifons commencent à fe multiplier; mais ce n'eft pas tout. Nous avons obfervé que le repos de l'Afclepiade eft moitié vuide & moitié rempli par la fyllabe longue qui fufpend l'hémiftiche: or ce repos peut être tout en filence, & il l'eft communément dans notre façon de réciter. Alors le premier hémiftiche fe faifit de la fixiéme fyllabe, & devient par-là fufceptible des mêmes nombres que le fecond. Dans cette fuppofition chaque hémistiche peut donc être divifé de deux manières: en 2 & 4, & en 3 & 3..

Divifion en 2 & 4.

Enfîn jě mě děrõbe à la joie importune.

Racine.

Ce que la nuit dēs tēms enferme dans fes voiles Laf Leur cours ne change point ět võus ǎvěz chânge.

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Lě mŏměnt õù jě parle est dějă lõin dě mõi.
Să crōupě sẽ recourbe en replis tōrtueux.
Le quadrupede ĕcume et son oeil étincelle.
Mais lě zěphir léger et l'ōndě fugitive.
Animě l'univērs ět vit dans tous les cœurs.

Boil. Racine.

Laf.

Quin.

Volt.

Ces deux divifions peuvent fe combiner ensemble, & c'eft encore un moyen de multiplier les formules du vers. Mais voici une fource de variété bien plus féconde, & qui n'a pas d'exemple chez les Anciens.

Il y a, même dans le langage familier, des petits repos ou filences: ces repos font plus marqués dans la déclamation poëtique, & ils occupent

des tems fenfibles dans la mesure du vers. Si donc le Poëte favoit en apprécier la valeur, comme fait le Mu ficien, il pourroit, avant ce filence, n'employer qu'un pié de trois tems, un iambe, par exemple, au-lieu d'un anapefte, ou un chorée à la place d'un dactile.

Oui, je viens dans fon temple adorer l'Eternel,
Je viens, felon l'usage antique & folemnel.

On voit
que le fecond vers commence
par un iambe; mais aux trois tems de
l'iambe fe joint un tems de filence qui
remplit la mesure. Observez au con-
traire que fi dans le premier vers on
met un filence après oui, comme cela
fe peut, oui, je viens dans fon temple;
l'oreille ne fent plus le nombre de l'a-
napefte: le tems de la virgule eft de
trop. Il n'en eft pas de même dans
l'exemple fuivant.

Oui, c'eft Agamemnon, c'eft ton Roi qui
t'éveille.

La premiere Mufe a befoin du filence, mesure qui de l'iambe fait l'anapefte: oui, c'est Agamemnon. Le filence remplit de même la mesure de l'iambe dans le troifième pié de ce vers.

Je fouhaite, jě craīns, jě vēux, jë mě repēns,

Ces petits repos, femés dans nos vers, y feroient ce qu'ils font en mufique; mais il faut favoir les compter à propos; & l'art de les faire valoir est un des preftiges de la lecture.

La 6e. & la 12e. fyllabe prolongée pour foutenir la voix femblent devoir altérer le nombre; mais obfervez que l'une & l'autre font fuivies d'un filence, & c'eft dans ce vuide que s'étend le fon, de maniére que la mesure précédente n'en retient que la moitié: voilà pourquoi cette mefure (a) tient la place de celle-ci,

u.

Tout cela demande une oreille attentive; mais mon deffein n'eft pas de prouver qu'on puiffe faire des vers harmonieux fans peine (6) T'ofe dire feulement, que pour qui faura manier la langue, la liberté du choix, entre les combinaisons innombrables que je propofe, rend nos vers mefurés aumoins auffi faciles que Pétoient ceux des Latins.

On peut réduire nos vers Héroi

(a) Ce pié s'appelle crétique.

(b) Anguftam effe vitam voluit (Deus) paucifque licere. (Vida.)

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