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avons à décider; il s'agit de savoir si la vertu existe ou n'existe pas justice, clémence, modération, modestie, La Rochefoucauld nous ravit tout, comment nous laisseroit-il un ami? En effet, l'anéantissement de l'amitié étoit une conséquence nécessaire de l'anéantissement de toutes les vertus, puisque l'amitié ne peut exister qu'entre les hommes vertueux. La vertu, dit énergiquement un vieil auteur, en parlant des amis, la vertu est l'outil avec lequel on les fait. Mais une fois le système de La Rochefoucauld détruit, la conséquence opposée nous reste et nous disons: L'amitié existe parcequ'il est des ames vertueuses. Dira-t-on que l'auteur des Maximes n'a pas nié l'existence de l'amitié? je réponds: l'amitié se compose d'actes de dévouement, et vous la composez d'actes d'amour-propre et d'intérêt; je puis donc en conclure qu'elle n'existe pas pour vous. Que dans un certain monde l'amitié soit un commerce de politique et de bienséance où l'on s'oblige par honneur et par intérêt, je le crois; mais n'estelle jamais que cela? voilà la question. Si vous me répondez, elle n'est jamais que cela, je vous demande alors ce que vous comprenez de la dernière pensée du pauvre Eudamidas, lorsque, près d'expirer, il léguoit sa mère et sa fille à ses deux amis. Je vous supplie de me dire quel sentiment pénétroit l'ame de Dubreuil, lorsque, sur son lit de mort, il disoit à Pehmeja : Mon ami, pourquoi tout ce monde dans ma chambre? il ne devroit y avoir que vous; ma maladie est contagieuse.... Que m'importe? dites-vous; ce sont des exceptions. J'attendois cette dernière parole. Eh bien! j'ose l'affirmer, n'y eût-il qu'une exception à votre déplorable système, seule elle seroit la vérité, seule elle seroit l'image de l'homme au milieu des êtres corrompus, le trait de lumière à travers les ténèbres; j'y verrois le genre humain tout entier. La vertu est naturelle, c'est le vice qui ne l'est pas : elle nait avec nous sous le nom d'innocence; il vient avec l'âge, la corruption et l'avilissement. Le vice, si l'on peut s'exprimer ainsi, nous est ajouté; loin d'être l'ordre de la nature, il ne fait que le détruire; et au milieu de toutes les iniquités du monde, il suffiroit d'un sentiment généreux pour nous révéler ce que nous sommes et nous apprendre ce que nous devrions être.

LXXXVI.

Notre défiance justifie la tromperie d'autrui.

LXXXVII.

Les hommes ne vivroient pas long-temps en société, s'ils n'étoient les dupes les uns des autres.

Si les hommes étoient assez éclairés pour n'être jamais dupes, la vérité, qui est le plus grand des biens, loin de briser le nœud qui les unit, le resserreroit encore en leur montrant combien ils ont besoin les uns des autres.

XC.

Nous plaisons plus souvent dans le commerce de la vie par nos défauts que par nos bonnes qualités.

Ceci ne veut pas dire, sans doute, que l'avarice sait mieux plaire que la générosité, la colère que la douceur, la paresse que l'activité, et la débauche que la sagesse. Une pareille assertion seroit absurde. Mais, dites-vous, le vice peut se donner des apparences aimables, et il est des défauts qui déparent la vertu. J'entends! il y a des fripons polis et d'honnêtes gens incivils; et dans les uns, vous estimez la politesse; dans les autres, vous blâmez la grossièreté. Cela est juste. Ainsi, même à vos yeux, ce n'est pas le vice qui charme, c'est la qualité qui le cache; ce n'est pas la vertu qui éloigne, c'est le défaut qui la gâte. L'homme vicieux vous plaît par une qualité d'honnête homme, et l'honnête homme vous déplaît par un défaut d'homme vicieux. Pour être vrai voilà tout ce qu'il falloit dire; mais est-il bien sûr que l'auteur n'ait voulu dire que cela? (Voyez les notes des Maximes 455 et 251.)

XCIII.

Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples.

Maxime qui flétriroit l'humanité si elle n'étoit démentie par l'expérience. Les empreintes que laisse le vice ne s'effacent que par le repentir, et il est plus rare qu'on ne pense de voir de bons préceptes sortir d'une ame corrompue. Celui qui a dégradé sa vie et qui ne se relève pas, ne sauroit parler dignement de la vertu; et le vice qui a pénétré jusqu'à la moelle de ses os, le condamne à donner toujours de tristes exemples. Mais Dieu a voulu que nous apprissions quelque chose du temps et du malheur; il a voulu aussi que tous les hommes ne flétrissent pas leur

Maxime qui pourroit entrer dans le code des fri-jeunesse, afin que parmi nous il se trouvât des vieilpons vulgaires, quoiqu'elle semble dérobée à la haute politique du temps, mais qu'on s'étonne de trouver dans un traité de morale.

■ DUVAIB, Traité de la Consolation, livre I.

lards qui eussent acquis le droit de calmer dans les autres les passions qu'ils avoient vaincues dans euxmêmes. Comme des dieux tutélaires, impuissants pour le mal, ils nous montrent jusqu'au terme que la vertu a des graces que rien ne sauroit effacer.

C'est ainsi que vous quittâtes la terre, vénérable Sully, divin Fénelon, et toi aussi, ô mon maître! lorsque déja penché vers la tombe, tu répandois autour de toi la persuasion et la sagesse qui respirent dans tes ouvrages avec l'amour du genre humain et celui de la Divinité!

XCV.

La marque d'un mérite extraordinaire est de voir que ceux qui l'envient le plus, sont contraints de le louer.

XCVIII.

Chacun dit du bien de son cœur, et personne n'en ose dire de son esprit.

Cette maxime est généralement vraie; mais l'auteur s'est plu à la contredire dans le portrait qu'il a tracé de lui-même : J'ai de l'esprit, dit-il, j'écris bien en prose, je fais bien les vers, et je suis peu sensible à la pitié! On ne peut dire plus de bien de son esprit, ni médire plus franchement de son cœur. CII.

L'esprit est toujours la dupe du cœur.

Foible imitation de cette grande pensée de l'Écriture: toute folie vient du cœur, c'est-à-dire de la déviation de nos sentiments. L'esprit juge seul de la convenance des choses de la vie; le cœur a seul la conscience de ce qui est au-delà: c'est lui qui aime, c'est lui qui croit. Mais si, venant à s'égarer, il s'at

se porter vers les biens célestes qu'il est appelé à
connoître, aussitôt le voilà en proie aux folles agita-
tions, aux ambitieux desirs, à tous les vices, à toutes
les passions qui éteignent la vertu; il égare l'esprit,
il le trompe, il lui donne sa folie, et, pour parler le
langage de La Rochefoucauld, il le fait sa dupe.
En résumé, il est vrai de dire que tout l'esprit qui
est au monde devient inutile à l'homme qui a des
passions, et point de volonté pour les combattre,

Montesquieu s'est saisi de cette pensée dans son fameux Dialogue d'Eucrate et de Sylla, et l'a mise en action de manière qu'elle forme presque seule la politique profonde du dictateur romain. Ce n'est point un foible éloge de La Rochefoucauld que de montrer dans ces deux lignes le type d'une des plus belles pages de notre langue; mais pour que rien ne manque à cet éloge, nous citerons ce passage; c'est Sylla qui parle : « J'allois faire la guerre à Mithri« date, et je crus détruire Marius à force de vain-tache à des intérêts purement matériels, au lieu de « cre l'ennemi de Marius. Pendant que je laissois ce « Romain jouir de son pouvoir sur la populace, je << multipliois ses mortifications, et je le forçois tous « les jours d'aller rendre grace aux dieux des suca cès dont je le désespérois. Je lui faisois une guerre « de réputation plus cruelle cent fois que celle que a mes légions faisoient au roi barbare. Il ne sortoit « pas un seul mot de ma bouche qui ne marquât « mon audace; et mes moindres actions, toujours « superbes, étoient pour Marius de funestes pré« sages. Enfin, Mithridate demanda la paix; les « conditions étoient raisonnables; et si Rome avoit « été tranquille, ou si ma fortune n'avoit pas été « chancelante, je les aurois acceptées. Mais le mau« vais état de mes affaires m'obligea de les rena dre plus dures; j'exigeai qu'il détruisit sa flotte, « et qu'il rendit aux rois, ses voisins, tous les états « dont il les avoit dépouillés. Je te laisse, lui dis-je, a le royaume de tes pères, à toi qui devrois me re« mercier de ce que je te laisse la main avec laquelle « tu as signé l'ordre de faire mourir, en un jour, << cent mille Romains: Mithridate resta immobile, a et Marius, au milieu de Rome, en trembla!» | Qu'on relise la maxime de La Rochefoucauld, et l'on verra qu'elle est tout entière dans ce passage. Il a dit: Voici la marque d'un génie extraordinaire; Montesquieu a tracé le caractère, et lui a donné le mouvement.

XCVI.

Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingratitude que celui qui lui a fait du bien.

Quelle que soit la cause de l'ingratitude, elle ne peut excuser les ingrats. (Voyez la note de la Maxime 223.)

Cette Maxime a exercé la sagacité des amis de La Rochefoucauld; madame de Schomberg en a donné une explication ingénieuse que nous rapporterons ici. « Je ne sais, écrivoit-elle à l'auteur, si vous l'en<< tendez comme moi, mais je l'entends, ce me sem«<ble, bien joliment, et voici comment : c'est que « l'esprit croit toujours, par son habileté et par ses << raisonnements, faire faire au cœur ce qu'il veut; << mais il se trompe, il en est la dupe; c'est toujours << le cœur qui fait agir l'esprit; l'on sert tous ses «< mouvements, malgré que l'on en ait, et l'on les «< suit, même sans croire les suivre. » Terminous, en faisant remarquer au moins une exception à cette règle générale. La vanité est aveugle et rend crédule, et il arrive assez souvent, soit qu'on aime, soit qu'on n'aime pas, qu'une louange délicate rend le cœur dupe de l'esprit.

CXXIV.

Les plus habiles affectent toute leur vie de blåmer les finesses, pour s'en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt.

L'auteur dit avec plus de justesse, quelques lignes plus loin : Les finesses et les trahisons ne viennent que du manque d'habileté.

CXXVII.

Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin que les autres.

La Rochefoucauld en a dit la raison dans cette autre pensée: On peut être plus fin qu'un autre, mais non plus fin que tous les autres.

CXXXI.

Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l'amour, c'est de faire l'amour.

J.-J. Rousseau a dit quelque part qu'il n'auroit voulu de Ninon ni pour maîtresse ni pour amie. Sans doute il avoit appris de la Maxime de La Rochefoucauld, ce que La Rochefoucauld lui-même avoit appris de l'expérience et de Ninon.

CXXXIV.

On n'est jamais si ridicule par les qualités que l'on a, que par celles que l'on affecte d'avoir.

La Rochefoucauld étoit l'homme le plus poli et le

plus ami des bienséances'. Il détestoit l'affectation, et ce genre de travers lui a paru si ridicule qu'il l'a critiqué dans cinq Maximes. Mais il trouvoit aussi tant de charme à la vertu opposée, que pour l'exprimer il a enrichi notre langue d'une locution nouvelle. Dire d'une personne qu'elle est vraie3, c'est faire entendre qu'elle est simple et naturelle. La Rochefoucauld trouva cette heureuse expression pour louer et peindre en même temps le caractère de madame de La Fayette.

CXL.

Un homme d'esprit seroit souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots.

Vauvenargues en a dit la raison dans cette autre Maxime Les gens d'esprit seroient presque seuls sans les sots qui s'en piquent.

CXLIII.

C'est plutôt par l'estime de nos propres sentiments que nous exagérons les bonnes qualités des antres, que par l'estime de leur mérite; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsqu'il semble que nous leur en donnons.

Il y a dans cette Maxime plus de subtilité d'esprit que de véritable observation. On loue par surprise, par ignorance, par admiration, par persuasion; on loue sans intérêt des princes qu'on n'a jamais vus, des sages, des savants, des héros, qu'on ne sauroit ni juger ni envier, mais qui plaisent, mais qu'on

Mémoires de Segrais, p. 22.

Dans les Maximes 133, 134, 372, 451, 457. 3 Mémoires de Segrais, p. 56.

aime, mais qu'on admire; on loue enfin une belle action parcequ'elle touche, un bon mot parcequ'il amuse, et la louange part plus souvent d'une satisfaction qu'on éprouve, que de l'espérance d'une louange qu'on voudroit recevoir.

CLI.

Il est plus difficile de s'empêcher d'être gouverné, que de gou

verner les autres.

Thémistocle, montrant son fils, disoit que c'étoit le plus puissant homme de la Grèce : « Pour ce que « les Athéniens commandent au demourant de la « Grèce, je commande aux Athéniens, sa mère à « moi, et lui à sa mère 1. »

CLV.

Il y a des gens dégoûtants avec du mérite, et d'autres qui plaisent avec des défauts.

Vérité commune présentée d'une manière pin'est pas le mérite qui dégoûte, et que ce ne sont quante mais insidieuse, car s'il est certain que ce pas les défauts qui plaisent, il falloit le dire; mais l'auteur n'avoit d'autre but que de peindre un travers de société. Ceci n'est donc point une Maxime de morale, c'est une de ces observations de mœurs qu'il jette de temps à autre au milieu de son livre comme pour dérouter son lecteur; et il suffit, pour s'en convaincre, de lire la Maxime 273, qui est le développement nécessaire de celle-ci. (Voyez les notes des Maximes 90 et 251.)

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D'après une remarque de Segrais, cette Maxime fut faite à l'occasion de madame de Montausier, à qui la cour fit oublier tous ses anciens amis. La tournure de la pensée, telle que l'auteur l'a refaite, paroît empruntée de Tacite, qui disoit, en parlant d'un empereur romain: Il eût paru digne de l'empire s'il n'avoit jamais régné.

CLXVIII.

L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.

point inconnues à La Rochefoucauld, seulement il n'entroit pas dans son plan de les dire: mais puisqu'il ne sondoit le cœur humain que pour en dévoiler les foiblesses, pourquoi n'a-t-il pas parlé de cette autre sorte de curiosité que Plutarque définissoit un desir de savoir les tares et imperfections d'autrui, qui est un vice ordinairement conjoinct avec envie et malignite'?

CLXXVII.

La persévérance n'est digne ni de blâme ni de louange, parcequ'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments, qu'on ne s'ôte et qu'on ne se donne point.

Quel jugement porteriez-vous d'un moraliste qui viendroit vous dire : Le vice n'a rien d'odieux, la vertu n'a rien de louable? Les crimes de Sylla, la sagesse de Caton, choses égales, choses indifférentes, qui ne méritent ni blâme ni louange, car elles fu

L'espérance qui nous console, celle qui nous rend plus prompt à entreprendre les choses belles et louables, ne nous trompe pas, car elle donne force, courage, vertu; c'est tout ce qu'elle promet. Mais l'espérance qui nous arrache sans cesse au présent pour nous jeter dans un avenir lointain et incertain, celle qui accroît nos desirs, irrite nos vices, flatterent l'effet d'un pouvoir que l'homme ne peut channos passions, doit toujours être déçue, car elle promet le bonheur qu'elle ne peut nous donner : c'est une ambition déguisée qui augmente sa convoitise de tout ce qu'elle reçoit. Alexandre distribue ses trésors à son armée, et ne se réserve que l'espérance: espérance orgueilleuse et trompeuse, que la conquête du monde entier ne put assouvir.

CLXX.

ger? Telle est cependant la traduction littérale de la Maxime de La Rochefoucauld. D'un mot il anéantit la conscience, la raison et la liberté. Il dit à l'homme vicieux : Tu n'es pas coupable; à l'homme vertueux : Tes actions sont sans mérite; à ceux qui furent grands par la sagesse, et qui ne reçurent de leurs siècles d'autres récompenses que le mépris et la mort: Vous ne fites point de sacrifices; et à Socrate, qui pour acquérir la vertu fut obligé de vaincre tous ses pen

Il est difficile de juger si un procédé net, sincère et honnête, chants, de maîtriser toutes ses passions: Tu n'eus est un effet de probité ou d'habileté. point de volonté !

CLXXXII.

Oui; mais aussi c'est être véritablement habile que d'être honnête et sincère. Ce qui nous est demandé par la vertu nous eût été commandé par poisons entrent dans la composition des remèdes. La prudence notre intérêt.

CLXXIII.

Il y a diverses sortes de curiosité : l'une d'intérêt, qui nous porte à desirer d'apprendre ce qui nous peut être utile; et l'autre d'orgueil, qui vient du desir de savoir ce que les autres ignorent.

Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les

les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie.

Les vices n'entrent point dans la composition de la vertu, car ils ne pourroient y entrer sans la détruire; mais il est quelquefois dans les actions les plus criminelles un certain mélange de sentiments nobles et généreux, ce qui explique l'éblouissement du vulgaire. « Lorsque les vices vont au bien, dit Vauvenargues, c'est qu'ils sont mêlés de quelques vertus, de patience, de tempérance, de courage ou de modération. »

Ce n'est ni l'intérêt, ni l'orgueil, qui inspirent la curiosité du génie. Dieu mit dans notre ame le besoin de la vérité, et un sentiment d'amour pour arriver à elle. Que Pythagore sacrifie une hécatombe après la découverte du carré de l'hypothénuse; qu'Archimède s'élance du bain et coure dans les rues de Syracuse, heureux de pouvoir reconnoître la quantité d'or que renferme la couronne du roi Hiéron; qu'assis au sommet du cap Sunium, Platon s'exalte par la contemplation des choses morales et divines; la curiosité qui éveille leur ame, la volupté Qui méditeroit utilement cette grande vérité, sequi les pénètre, ont une autre origine que l'orgueil│roit en état de réfuter souvent l'auteur des Maximes:

ou l'intérêt. De pareils ravissements ne peuvent être donnés par le vice! Sans doute ces vérités n'étoient

CLXXXIII.

Il faut demeurer d'accord, à l'honneur de la vertu, que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par

les crimes.

PLUTARQUE, De la Curiosité.

on sent qu'il redevient homme toutes les fois qu'il dans ce système; il suffit de le mettre à nu pour le sort de son siècle.

CLXXXV.

Il y a des héros en mal comme en bien.

L'auteur a pris soin de se réfuter lui-même en disant : « Quelque éclatante que soit une action, elle << ne doit pas passer pour grande lorsqu'elle n'est « pas l'effet d'un grand dessein. » (Maxime 460.)

CXCI.

On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie, comme des hôtes chez qui il faut successivement loger; et je doute que l'expérience nous les fit éviter, s'il nous étoit permis de faire deux fois le même chemin.

Les passions sont inconstantes, le vice ne l'est pas; il croît, au contraire, avec le temps, qui est le grand remède des premières. « C'est un fâcheux «< compagnon; dit Plutarque, il n'y a point de di<< vorce avec lui. Il adhère aux entrailles de celui <«< dont il s'est emparé, lui demeurant attaché jour « et nuit. » Pour bien entendre la pensée de La Rochefoucauld, il faut donc substituer le mot passion au mot vice. C'est ainsi que l'esprit de système dénature tout, fait tout confondre; car c'est l'usage des passions, et non les passions elles-mêmes qui font le vice ou la vertu. L'expérience qui nous apprendroit à éviter nos passions au lieu de nous apprendre à en faire un bon usage, nous ôteroit par

cela seul tous vices et toutes vertus: elle effaceroit l'homme. Mais si, en naissant, il nous étoit donné de choisir entre les résultats de la vertu et ceux du vice, nous choisirions évidemment la vertu, car nous voulons être heureux, et le vice rend misérable. « C'est, dit encore Plutarque, une chose infruc<< tueuse, stérile et ingrate. Ceux qui s'y abandon<<< nent n'ont besoin d'aucun dieu ni d'aucun homme « qui les punissent. Leur vie suffit assez étant tra«vaillée de toute méchanceté 2. »

CC.

La vertu n'iroit pas si loin, si la vanité ne lui tenoit compagnie.

Comment la vanité donneroit-elle la puissance des grandes choses, elle qui rapetisse tous les nobles sentiments qu'elle n'étouffe pas? Ce qui abaisse l'homme l'élèvera-t-il? et, pour aller bien loin dans le sentier de la vertu, faudra-t-il nous y laisser conduire par le vice? Heureusement pour l'humanité, tout est faux

I PLUTARQUE, Du Vice et de la Vertu.

2 PLUTARQUE, Des Délais de la Justice divine, §§ 22, 25.

réfuter. C'est dans les inspirations de notre cœur qu'il faut chercher le mobile des actions qui l'honorent. Amour de la patrie, amour maternel, amour de Dieu et des hommes, voilà ce qui fait les actions sublimes. Et quel autre sentiment eût pu vous conduire aux Thermopyles, noble Léonidas! Et toi, généreux Régulus, quel autre sentiment eût pu te ramener à Carthage? Ah! lorsque la France vit tomber le brave d'Assas sous le fer qu'il pouvoit détourner, lorsqu'elle vit Rotrou courir au-devant de la mort qui l'attendoit dans sa patrie, l'évêque de Belzunce et le chevalier Rose au milieu des pestiférés de Marseille, elle donna à leur vertu d'autres compagnons que l'orgueil et la vanité! Elle les récompensa par une reconnoissance qui n'étoit point une envie de recevoir de plus grands bienfaits '.

CCV.

L'honnêteté des femmes est souvent l'amour de leur réputation et de leur repos.

L'innocence et l'amour du devoir composent l'honnêteté des femmes. Pour être sages et heureuses, il faut qu'elles ignorent le mal et qu'elles vivent obscures et aimées. Celles qui, avec de la beauté, conservent dans le monde une vertu sans tache, méritent d'être honorées; car l'amour de la réputation et du repos ne fera jamais une femme sage, si elle n'y joint l'amour de la vertu.

CCXI.

Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on ne chante qu'un certain temps.

L'auteur reproduit cette pensée dans la Maxime 294. (Voyez la note de cette Maxime.)

CCXVIII.

L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu.

Oui! comme celui des assassins de César, qui se prosternoient à ses pieds pour l'égorger plus sûrement. Cette pensée, pour être brillante, n'en est pas plus juste. Dira-t-on jamais d'un filou qui prend la livrée d'une maison pour faire son coup plus commodément, qu'il rend hommage au maître de la maison qu'il vole? Non couvrir sa méchanceté du dangereux manteau de l'hypocrisie, ce n'est point honorer la vertu, c'est l'outrager en profanant ses enseignes; c'est ajouter la lâcheté et la fourberie à tous les autres vices; c'est se fermer pour jamais tout

I Maximes 225 et 298.

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