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monde, vinrent couvrir tous les pays policés de leur ignorance et de leur férocité. Les lois, les mœurs, les arts, les vertus, la religion même, tout périt ou se pervertit. Les hommes ne sont plus ni dans l'état de barbarie, ni dans celui de civilisation; mais dans un état nouveau et encore indéfini, composé uniquement de ce que ceux-ci avaient de mauvais.

Cependant du sein de tant de maux, s'élève une institution secourable et glorieuse. De nouveaux Alcide, de nouveaux Thésée combattent les oppresseurs, comme les autres combattaient les monstres. Le genre humain se retrouve, encore une fois, sous la protection des hommes forts et généreux. Je les vois se consacrer à la défense des faibles; s'associer, sous le simple empire des sermens, des cérémonies et des fêtes; de barbares, devenir des héros; polir leurs moeurs, sans les lumières; former, sur chaque point de l'Europe, une confédération armée, contre les abus de ces tyrannies féodales, dont ils étaient à la fois les fondateurs, les réparateurs et les martyrs. Heureux, s'ils eussent connu ce qui est vraiment noble et grand!

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Ces intrépides paladins étaient tout à l'amour et à l'honneur; mais jamais l'amour n'eut tant de folie, ni l'homme tant de faux principes.

Influence diverse de ces deux institutions.

MAINTENANT, comparons tous les beaux caractères, dont les annales des nations nous ont conservé les faits et la gloire, dans ces deux époques; l'une de la chute des répu→ bliques antiques, l'autre du premier développement de la civilisation moderne; et observons l'influence diverse de ces deux

institutions. Nous verrons que, dans ces époques, elles président aux vertus, qu'elles modifient les caractères; qu'elles en forment jusqu'à la couleur.

Par le stoïcisme, nous voyons des actions simples, grandes, sévères, qui paraissent passer et le devoir et les forces de l'homme.

Par la chevalerie, des actions brillantes et héroïques, où je ne sais quoi hors du bon sens; je ne sais quelle folie de l'âme fait admirer et aimer des choses, qu'on désapprouve et qui affligent.

La première de ces institutions rapportait tout à la conscience.

La seconde, à la gloire.

Celle-ci avait sanctifié le nom de vertu. Celle-là a consacré le nom d'honneur. Le stoïcisme, placé au sein de la tyrannie et de la corruption, avait besoin de conduire les hommes, violemment, par l'idée d'une perfection presque impossible. La chevalerie, ayant à tirer les hommes des mœurs barbares, avait besoin de séduire l'imagination, autant que de l'étonner. Aussi elle mêlait des idées de fêtes et de plaisirs à toutes les prouesses qu'elle exigeait ; et elle appelait le luxe par ses vertus même.

Le stoïcisme, sorti originairement des vertus républicaines et des méditations philosophiques, avait une sublimité extraordinaire, et ne convenait qu'à des âmes singulièrement fortes.

La chevalerie, née dans les monarchies et pour les monarchies, se guidant par le sentiment et non par la raison, soumettait à ses lois par les passions; et s'étudiait autant de donner des grâces que de la grandeur aux vertus. Aussi a-t-elle fait de bien plus vastes

progrès. L'Europe est devenue sa conquête ; elle y a tout changé dans les mœurs, de même que la féodalité avait tout transformé dans les lois.

Le Stoïcisme a cessé depuis long-temps; plus on a voulu ranimer l'esprit de chevalerie, plus il s'est éteint: on n'aurait plus, avec ces mobiles, que l'hypocrisie de l'austérité ou une jonglerie de la générosité. C'est que ces doctrines ne sont pas plus en accord avec un nouveau cours de choses, d'idées et de mœurs, qu'elles ne l'étaient, avant leur naissance, avec le règne des institutions républicaines.

Quand le régime social a, par lui-même, de la force pour le bien; on n'a pas besoin de ces ressorts, hors de la nature ou hors de la raison ; ils ne viennent, que lorsqu'ils sont des correctifs salutaires.

Les Grecs du temps de Lycurgue et de Solon; les Romains, jusqu'à la destruction de Carthage, eurent un principe des vertus publiques et domestiques, sans la secte de Zénon. Mais, après que les poëtes et les artistes, les théologiens de ces temps-là, eurent trop prolongé l'enfance de l'esprit humain

par ces terrestres représentations, dont ils peuplaient le ciel, on sentit le besoin de relever les âmes par l'idéalisme de l'académie et l'austérité du portique.

Lorsque la morale religieuse, exagérant la religion, détruisait la société par l'inutile cruauté des macérations, par une humilité sans bon sens, par une abnégation contre nature, il fallait bien ramener au service public, par l'exaltation de la gloire, et à la vie humaine, par le culte des dames; et c'est ce qui fit survivre l'esprit de la chevalerie à son temps et à ses causes.

Aujourd'hui, il y a, pour les hommes éclairés, si ce n'est encore pour les peuples, une morale, une doctrine, une sorte de religion nouvelle, par une plus grande connaissance des principes et des intérêts sociaux; par le développement de ces idées libérales et de ces affections philanthropiques, nées de l'application des lumières à l'amélioration des destinées humaines; et ce ressortlà en vaut bien un autre. A chaque temps, ce qui lui est propre.

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