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Voltaire de combattre publiquement fon opinion; et cette oppofition n'altéra point leur amitié.

L'ouvrage qui fuit eft un extrait ou plutôt une critique des inftitutions phyfiques de cette femme célèbre ; c'est un modèle de la manière dont on doit combattre les ouvrages de ceux

que

l'on eftime; les opinions y font attaquées fans ménagement, mais l'auteur qui les foutient y eft refpecté. Il ferait difficile que l'amour propre le plus délicat fût bleffé d'une pareille critique.

L'extrait de la pièce fur le feu eft plus un éloge qu'une critique. Les opinions de Mme du Châtelet s'éloignaient moins de celles de M. de Voltaire

La differtation fur les changemens arrivés dans le globe parut sans nom d'auteur, et l'on ignora long-temps qu'elle fût de M. de Voltaire. M. de Buffon ne le favait pas lorfqu'il en parla dans le premier volume de l'Histoire naturelle avec peu de ménagement. M. de Voltaire, que les injures des naturaliftes ne ramenèrent point, perfista dans fon opinion. Au reste, il ne faut pas croire que les vérités d'hiftoire naturelle que M. de Voltaire a combattues dans cet ouvrage, fufsent auffi bien prouvées dans le temps où il s'occupait de ces objets, qu'elles l'ont été de nos jours.

On donnait gravement les coquilles foffiles pour des preuves, des médailles du déluge de Noé; ceux qui étaient moins théologiens les fesaient fervir de base à des systêmes dénués de probabilité, contredits par les faits, ou contraires aux lois de la mécanique. Depuis et avant Thales, on a expliqué de mille façons différentes la formation d'un univers dont on connaît à peine une petite partie.

Bacon, Newton, Galilée, Boyle, qui nous ont guéris de la fureur des fyftêmes en phyfique, ne l'ont point diminuée en hiftoire naturelle. Les hommes renonceront difficilement au plaisir de créer un monde. Il fuffit d'avoir de l'imagination et une connaissance vague des phénomènes que l'on veut expliquer; on eft difpensé de ces travaux minutieux et pénibles qu'exigent les obfervations, de ces longs calculs, de ces méditations profondes que demandent les recherches mathématiques. On bannit ces reftrictions, ces petits doutes qui importunent, qui gâtent la rondeur des phrases les mieux arrangées : et fi le fyflême réuffit, fi l'on en impose à la multitude, fi l'on a le bonheur de n'être qu'oublié des hommes vraiment éclairés, on a pris encore un bon parti pour fa gloire. Newton furvécut près de quarante ans à la publication du livre des principes; et Newton mourant ne comptait pas vingt disciples hors de l'Angleterre il n'était pour

le refte de l'Europe qu'un grand géomètre. Un fyftême abfurde, mais impofant, a prefqu'autant de partisans que de lecteurs. Les gens oififs aiment à croire, à faifir des résultats bien prononcés ; le doute, les reftrictions les fatiguent; l'étude les dégoûte. Quoi ! il faudra plusieurs années d'un travail affidu pour se mettre en état de comprendre deux cents pages d'algèbre, qui apprendront feulement comment l'axe de la terre fe meut dans les cieux; tandis qu'en cinquante pages bien commodes à lire, on peut favoir, fans la moindre peine, quand et comment la terre, les planètes, les comètes, &c. &c. ont été formées.

M. de Voltaire attaqua la manie des fyftêmes; et c'est un service important qu'il a rendu aux fciences. Cet efprit de fyftême nuit à leurs progrès, en présentant à la jeuneffe des routes fauffes où elle s'égare, en enlevant aux vrais favans une partie de la gloire qui doit être réservée aux travaux utiles et folides. Prétendre qu'il a répandu le goût des fciences, c'eft dire que la Princeffe de Clèves, et les Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste ont encouragé l'étude de l'hiftoire; c'eft confondre la connaissance des fciences avec l'habitude de prononcer des mots scientifiques, l'amour de la vérité avec la paffion des fables, et le goût de linftruction. avec la vanité de paraître instruit. Cette manie

des fyftêmes nuit enfin au progrès de la raifon en général, qu elle corrompt, en apprenant aux hommes à fe contenter de mots, à prendre des hypothèses pour des découvertes, des phrases pour des preuves, et des rêves pour des vérités.

Les ouvrages où M. de Voltaire s'éleva contre cette philofophie font donc utiles, malgré quelques erreurs; car les erreurs particulières font peu dangereufes, et ce font feulement les fauffes méthodes qui font funeftes.

DEDICATOIRE

A MADAME

LA MARQUISE DU CHATELET,

DE L'EDITION DE 1745.

MADAME,

LORSQUE RSQUE je mis pour la première fois votre nom respectable à la tête de ces élémens de philofophie, je m'inftruifais avec vous. (*) Mais vous avez pris depuis un vol que je ne peux plus fuivre. Je me trouve à préfent dans le cas d'un grammairien qui aurait préfenté un effai de rhétorique à Démofthenes ou à Cicéron. J'offre de fimples élémens à celle qui a pénétré toutes les profondeurs de la géométrie tranfcendante, et qui feule parmi nous a traduit et commenté le grand Newton.

(*) Voyez l'épître XLIV à madame du Châtelet, dans le volume d'Epitres.

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