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La lumière, la force, l'autorité, n'ont pas d'autres sources que sa raison ! Et ce sont ces rêves de la folie et de l'orgueil que l'on nous donne comme une merveilleuse découverte qui a rompu le charme de notre ignorance! Mais où donc était Dieu, avant la naissance du philosophe de Koenisberg? Où était la lumière? Où était le monde? L'homme ne se connaît, selon vous, que depuis un siècle, et déjà vous en faites un Dieu ! Mais s'il était la lumière des lumières, s'il était Dieu, au lieu de ne connaître que les formes et les surfaces, il connaîtrait l'essence des êtres, il connaîtrait tout. Hélas! son ignorance profonde ne lui prouve que trop sa dépendance. Il prend le fait de son existence sans que sa raison puisse en expliquer la nature, et, par cela même qu'il ne sait rien, il distingue sa raison de la raison divine, qui sait tout.

C'est à la théorie de Kant que le panthéisme actuel emprunte son crédit, trouvant, sans doute, déjà usés tous les arguments de l'ancienne philosophie. Mais qu'est-ce qu'une doctrine qui, selon vous, date d'hier, et qui ne se fonde que sur une proposition détruite par une contradiction radicale, et sur deux affirmations privées du caractère philosophique, je veux dire dé– nuée de preuves? Dieu ne se connaît que dans l'homme, dit M. Proudhon; la raison est le foyer primitif de la lumière, dit M. Cousin. A merveille, messieurs; mais quel moyen avez-vous de déterminer l'adhésion à ces deux propositions qui heurtent le sens commun? Vous ne donnez aucune raison, et l'on ne croit pas les hommes sur parole.

Kant nie tout rapport des facultés spéculatives avec les faits externes, et, effrayé lui-même de l'étrange hardiesse de son assertion, il imagine une raison pratique basée sur l'expérience. Mais l'expérience, qu'est-elle ! sinon l'application constante ou le rapport habituel de la raison avec les phénomènes externes? C'était bien la peine de faire tant de bruit pour une contradiction évidente et puérile. Affirmer l'erreur du genre humain pendant six mille ans! Que dis-je, l'erreur du genre humain! l'erreur de Dieu, puisque Dieu ne se connaît que dans l'homme, l'extinction de toute lumière, puisque la raison est la lumière des lumières! O philosophes, que n'avez-vous préconisé l'inutilité du raisonnement et du sens commun!

Kant reconnaît une raison pratique en rapport avec les faits externes. Voilà donc l'entendement humain forcément ramené aux relations avec les êtres externes et sa valeur objective hautement proclamée. C'est une

contradiction, et c'est sans doute pour cela que les sectateurs du philosophe de Konisberg ne parlent pas de cet aveu de leur maître, qui le met, en cela, d'accord avec la conscience du genre humain; ils ne s'attachent qu'à cette partie de son opinion où il représente les êtres comme des formes de notre entendement. Quoi! les êtres sont des formes de mon entendement! tous les êtres! Il n'y a donc alors qu'un homme, un seul,

moi.

Vous ignorez la nature de votre esprit, et cette ignorance ne prouve rien moins que votre participation à la divinité! Vous ignorez la nature de votre esprit, et

vous connaissez la nature de ses opérations, vous pouvez en saisir le fait ! Soit; donc votre science est nécessairement objective. Qu'est-ce, en effet, que la réflexion; qu'est-ce que la mémoire, si ce n'est l'application de l'esprit aux faits? Vous ne comprenez pas le rapport de l'esprit aux faits: je le crois bien; de quel être comprenez-vous la nature? Vous ne comprenez rien, absolument rien que les faits, et votre vie, comme celle de tout être limité, n'est qu'un rapport. Quand vous cessez d'avoir des rapports avec les êtres externes, vous cessez de vivre. Nier ces rapports, c'est nier la vie. Votre système n'est qu'une effroyable négation; et vous voulez que l'on vous choisisse pour les architectes de l'ordre social, vous qui niez même la société !

<<< Ils disent aussi que la souveraineté nationale mène » à l'anarchie, que l'homme est incapable de se gou» verner lui-même, et ils le donnent à gouverner à >> qui? A des hommes (1). » A qui voulez-vous donc qu'on le donne à gouverner? A des chevaux, comme voulait le faire Caligula? La raison, avez-vous dit à la page précédente, est souveraine en philosophie. Les philosophes ne seraient-ils donc pas des hommes? Et le grand Frédéric n'aurait pas été un impudent lorsqu'il a écrit: « Si je voulais punir un peuple, je le ferais. gouverner par des philosophes? » Ah! vous avez raison: quand on supprime l'homme et que l'on ne reconnaît pas Dieu, il ne doit rien rester.

(4) COUSIN. Introduction aux Discours politiques, p. 7.

L'union ou les rapports de l'âme et du corps sont un fait irréfragable. La nature de ces rapports, le secret de cette union vous fuient et vous échappent. Pourquoi vous en tourmentez-vous? Ils échapperont toujours aux investigations de la science, j'en ai déjà dit la raison : pour connaître la nature de ces rapports, il faudrait connaître l'essence de l'âme. Si vous saviez comment une substance intelligente vit, comment elle saisit et embrasse une substance matérielle, vous sauriez aussi comment elle se met en rapport avec une substance de même nature qu'elle; et si vous saviez tout cela, en vérité, je serais fort ébranlé par la théorie du panthéisme, car je ne conçois pas qu'un autre que Dieu puisse connaître l'essence des êtres. Et quant, au lieu de votre omniscience, c'est votre ignorance que vous invoquez comme preuve de votre divinité, n'ai-je pas le droit de dire : Vous ne touchez le monde que par une légère surface, vous ignorez sa nature, et vous affirmez qu'il n'est qu'une forme de votre intelligence? Mais si Dieu est la forme de l'entendement humain, il a eu un commencement, et dans l'entendement d'un fou, il n'est qu'une hallucination.

La définition de la raison par M. Cousin est un corollaire de la définition de Dieu par M. Proudhon. Le moi humain est Dieu; la raison humaine est la source des lumières. Lumen de lumine, Deum verum. Un troisième philosophe viendra nous affirmer que le soleil n'est que la forme du rayon visuel de l'œil. Pour qui abandonne à la suite de Kant les êtres externes, et poursuit les opérations internes de l'entendement, l'i

dée, la connaissance, la croyance sont des opérations de l'âme, donc la foi en Dieu, la religion, n'est plus une révélation externe, surnaturelle de l'être infini, mais une opération de l'entendement. La vue est une opération de l'œil; donc la manifestation des arbres, des mers, de la terre n'est qu'une opération de l'œil. Il n'y a plus d'êtres externes. Tout ce que nous avons pris jusque-là pour la mer, pour les terres, pour les astres, pour nos voisins, n'est qu'une forme de notre entendement; les flammes dévorant Rome à la voix de Néron n'étaient que l'opération de l'entendement des victimes.

Point de rapport possible entre les phénomènes internes et les phénomènes externes; car ce rapport, ce point de contact n'est pas saisi, il n'est pas compris par la raison souveraine en philosophie. Prenez garde! messieurs, vous ébranlez votre souveraineté, et vous laissez intact le fait des rapports entre les êtres, et même entre les êtres matériels et les êtres purement intellectuels. En effet, vous écrivez des livres; un livre est chose matérielle, un livre m'apporte votre pensée. C'est là un rapport entre la matière et l'esprit, vous ne pouvez le nier; car, pourquoi écrivez-vous ? En outre, vous êtes bien un être externe, car je n'ai jamais dit moi en vous; nous sommes donc deux êtres bien distincts, et nous connaissons la pensée l'un de l'autre. Cette connaissance est-elle un rapport? Oui. Pourquoi donc n'admettez-vous pas un rapport avec Dieu, si vous l'admettez avec les autres hommes, surtout après avoir déclaré que Dieu ne peut pas ne pas pos

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