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SCENE V.

MITHRIDATE, MONIME, XIPHARÈS,

MITHRIDATE.

VENEZ, inon fils, venez, votre père eft trahi.

Un fils audacieux infulte à ma ruine,

Traverse mes deffeins, m'outrage, m'affaffine
Aime la Reine, enfin, lui plaît & me ravit

Un cœur que

fon devoir à moi feul affervit.

Heureux, pourtant heureux, que, dans cette difgrace,
Je ne puiffe accufer que la main de Pharnace ;
Qu'une mère infidelle, un frère audacieux,

Vous préfentent en vain leur exemple odieux.

Oui, mon fils, c'eft vous feul fur qui je me repofe ;,
Vous feul qu'aux grands deffeins que mon cœur fe propose,
J'ai choifi, dès long-teins, pour digne compagnon,
L'héritier de mon fceptre, & fur-tout de mon nom,
Pharnace, en ce moment, & ma flamme offensée,
Ne peuvent pas tout feuls occuper ma pensée.
D'un voyage important les foins & les apprèts,
Mes vaiffeaux qu'à partir il faut tenir tout prêts;
Mes foldats, dont je veux tenter la complaifance,
Dans ce même moment demandent ma présence.
Vous, cependant ici, veillez pour mon repos ;
D'un rival infolent arrêtez les complots.

Ne quittez point la Reine; &, s'il fe peut, vous-même
Rendez-la moins contraire aux vœux d'un Roi qui l'aime.
Détournez-la, mon fils, d'un choix injurieux.

Juge fans intérêt, vous la convaincrez mieux.
En un mot, c'est affez éprouver ma foiblesse.
Qu'elle ne pouffe point cette même tendresse

(Que fais-je?) à des fureurs, dont mon cœur outragé Ne fe repentiroit qu'après s'être vengé.

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QUE

XIPHARÈS.

UE dirai-je, Madame; & comment dois-je entendre Cet ordre, ce difcours que je ne puis comprendre? Seroit-il vrai, grands Dieux! que, trop aimé de vous, Pharnace eût, en effet, mérité ce courroux? Pharnace auroit-il part à ce défordre extrême ?

MONIM E.

Pharnace?O Ciel, Pharnace! Ah,qu'entends-je moi-même? Ce n'eft donc pas affez que ce funefte jour

A tout ce que j'aimois m'arrache fans retour,

Et

que

de mon devoir, efclave infortunée,

A d'éternels ennuis je me voie enchaînée ?

Il faut qu'on joigne encor l'outrage à mes douleurs.
A l'amour de Pharnace on impute ines pleurs.

Malgré toute ma haine, on veut qu'il m'ait fû plaire.
Je le pardonne au Roi, qu'aveugle fa colère,
Et qui de mes fecrets ne peut être éclairci.

Mais vous, Seigneur, mais vous, me traitez-vous ain?

XIPHARÈS.

Ah, Madame, excufez un amant qui s'égare ;
Qui, lui-même lié par un devoir barbare,

Se voit prêt de tout perdre, & n'ofe1se venger!
Mais des fureurs du Roi que puis-je enfin juger?
Il fe plaint qu'à fes vœux un autre amour s'oppose.
Quel heureux criminel en peut être la cause ?
Qui? Parlez.

MONIM E.

Vous cherchez, Prince, à vous tourmenter, Plaignez votre malheur, fans vouloir l'augmenter. XIPHARÈS.

Je fais trop quel tourment je m'apprête moi-même.
C'eft peu de voir un père époufer ce que j'aime;
Voir encore un rival honoré de vos pleurs,
Sans doute c'eft pour moi le comble des malheurs.
Mais, dans mon défefpoir, je cherche à les accroître.
Madame, par pitié, faites-le-moi connoître :
Quel eft-il, cet amant ? Qui dois-je soupçonner?

MONIM. E.

Avez-vous tant de peine à vous l'imaginer!

Tantôt, quand je fuyois une injufte contrainte,
A qui, contre Pharnace, ai-je adressé ma plainte?

Sous

Sous quel appui tantôt mon cœur s'est-il jetté?
Quel amour ai-je, enfin, fans colère écouté ?

XIPHARÈS.

O Ciel! Quoi, je ferois ce bienheureux coupable
Que vous avez pu voir d'un regard favorable ?`
Vos pleurs pour Xipharès auroient daigné couler ›

MONIM E.

Oui, Prince, il n'est plus tems de le diffimuler,
Ma douleur, pour se taire, a trop de violence.
Un rigoureux devoir me condamne au filence;
Mais il faut bien enfin, malgré fes dures loix,
Parler pour la première & la dernière fois.

pas,

Vous m'aimez dès long-tems. Une égale tendresse,
Pour vous, depuis long-tems, m'afflige & m'intéresse.
Songez depuis quel jour ces funeftes appas
Firent naître un amour qu'ils ne méritoient
Rappellez un espoir qui ne vous dura guère ;
Le trouble où vous jetta l'amour de votre père;
Le tourment de me perdre, & de le voir heureux;
Les rigueurs d'un devoir contraire à tous vos vœux:
Vous n'en fauriez, Seigneur, retracer la mémoire,
Ni conter vos malheurs, fans conter mon hiftoire.
Et, lorfque ce matin j'en écoutois le cours,
Mon cœur vous répondoit tous vos mêmes difcours.
Inutile, ou plutôt funefte fympathie!

Trop parfaite union par le fort démentie!

Ah! par quel foin cruel le Ciel avoit-il joint

Deux coeurs que l'un pour l'autre il ne deftinoit point?

Tome II.

K

Car, quel que foit vers vous le penchant qui m'attire,
Je vous le dis, Seigneur, pour ne plus vous le dire,
Ma gloire me rappelle & m'entraîne à l'Autel,
Où je vais vous jurer un filence éternel.
J'entends, vous gémiffez. Mais telle est ma mifère :
Je ne fuis point à vous; je suis à votre père.
Dans ce deffein, vous-même, il faut me foutenir,
Et de mon foible cœur m'aider à vous bannir.
J'attends, du moins, j'attends de votre complaifance,
Que déformais, par-tout, vous fuirez ma présence,
J'en viens de dire affez pour vous perfuader
Que j'ai trop de raifons de vous le commander,
Mais, après ce moment, fi ce cœur magnanime
D'un véritable amour a brûlé pour Monime,
Je ne reconnois plus la foi de vos difcours,
Qu'au foin que vous prendrez de m'éviter toujours.

XIP HARÈS.

Quelle marque, grands Dieux, d'un amour déplorable!
-Combien, en un moment, heureux & miférable!
De quel comble de gloire & de félicités,

Dans quel abyme affreux vous me précipitez!

Quoi, j'aurai pu toucher un cœur comme le vôtre a
Vous aurez pu m'aimer ? Et cependant un autre
Poffédera ce cœur dont j'attirois les vœux ?
Père injufte, cruel, mais d'ailleurs malheureux!
Vous voulez que je fuie, & que je vous évite?
Et cependant le Roi m'attache à votre fuite,
Que dira-t-il?

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