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O raison humaine, que tu es petite, que tu es faible, que tu es aveugle dès que la lumière divine t'abandonne, ou bien dès que tu es assez téméraire pour te soustraire à la lumière divine! Tu ne rencontres plus que le faux au lieu du vrai, le vain au lieu du solide, l'absurde au lieu du raisonnable; et, voulant paraître sérieuse lors même que tu n'es pas impie, tu n'es que ridicule !

La théorie de Descartes fut soutenue par Gassendi, à l'exception près que les particules ou les atomes dans lesquels Dieu morcela la matière première n'étaient pas égaux comme ceux de Descartes, mais très-différents par la grandeur, la figure et le mouvement; et que c'est de cette différence spécifique des atomes que résulta la différence des corps de la première naissance. En attendant, les atomes de Gassendi avaient des formes et par conséquent des parties, ce qui n'empêcha pas ce fervent disciple de Descartes de renchérir, en fait d'absurdité, sur son propre maître, en affirmant que les atomes, tout en ayant des parties, étaient simples et indivisibles.

Je ne saurais souscrire au jugement du docteur Menjot sur Descartes; mais ce que je ne puis m'empêcher de dire est : qu'une philosophie contre laquelle se sont, au fond, inscrits un Bossuet, un Fénelon, un Pascal, un Huet, un Arnauld, un Leibnitz, les plus grands hommes du dix-septième siècle, et qui par-dessus tout a été condamnée à Rome, ne peut être adoptée sans crainte par des catholiques, ni louée sans réserve.

La haute intelligence de Newton ne fut pas plus heureuse. En partant du même principe de Descartes, c'est-à-dire ne se contentant pas de l'histoire sublime de la création telle que les auteurs inspirés nous l'ont tracée, Newton adopta dans toutes ses excentricités la théorie de Descartes. Seulement, pour compléter ce monstrueux enfantement de la raison philosophique, il y ajouta que les particules de la matière première étaient mobiles d'elles-mêmes, solides, impénétrables, plus dures que les corps les plus durs que nous connaissons, et que lorsque les différentes agglomérations de ces particules formèrent les corps célestes, elles déployèrent une double force proportionnée à leur masse, l'une centripète, par laquelle les planètes s'attirent les unes vers les autres et vers leurs centres; et l'autre centrifuge, qui, en les obligeant à fuir par la tangente, les retient à une distance respectueuse qu'elles ne sauraient dépasser; et c'est par là qu'elles ne s'arrêtent jamais dans leur mouvement.

Pour Leibnitz, que Buffon a suivi et expliqué plus tard, la matière primitive, la seule chose que Dieu ait créée, n'était, au commencement, qu'un tas immense d'atomes de feu indivisibles et impénétrables concentrés dans le soleil. Mais voilà qu'un beau jour une comète, sortant on ne sait d'où, en choquant obliquement et avec une immense violence le soleil, emporta la six-cent-cinquantième

partie de sa substance, et c'est de ces débris que se formèrent les planètes et la terre. Cependant, la terre primitive, que le Platon du nord appelle protogée, n'était qu'un corps ardent qui, après avoir consommé toute la matière combustible qu'il renfermait en lui-même, devint opaque, et toute sa surface se convertit en cristal. En même temps toute l'humidité qui s'était échappée de la terre et élevée en vapeur y retomba en pluie torrentielle qui, en cassant par sa violence la surface cristalline de notre globe, pénétra dans ses entrailles, le rendit fécond, et y forma les corps qui s'y trouvent. Mais bien entendu que ces corps ne sont formés que d'atomes indivisibles, n'ayant pas de parties, et qui, par la double force newtonienne d'attraction et de répulsion dont ces atomes sont dotés, s'arrêtent à une certaine distance les uns des autres et forment le continu. Par conséquent le continu, ajoute le père Boskovick, n'est qu'apparent, n'y ayant pas de continu réel dans la nature; et par conséquent aussi les corps ne sont que des phénomènes fantasmagoriques, de vraies illusions.

Ces hypothèses parurent à Malebranche aussi injurieuses à l'action créatrice de Dieu qu'elles sont souverainement ineptes et ridicules. Mais Malebranche n'a évité un extrême que pour tomber dans un autre. Pour compenser la cause première de l'injustice avec laquelle Descartes, Newton et

Leibnitz l'avaient traitée en ne lui accordant que la création de la matière brute, et ayant attribué aux causes secondes la formation de tous les corps, Malebranche soutint au contraire que non-seulement c'est Dieu seul qui a tout fait, et que les causes secondes n'ont rien produit à l'origine du monde, mais aussi que c'est Dieu seul qui a continué et continue à tout faire toujours; que les causes secondes ne sont que des occasions de l'action de la cause première, et qu'elles n'ont pas d'action véritable à elles dans la reproduction et la conservation des êtres. En sorte que, pour Malebranche, ce n'est pas l'eau qui rafraîchit, ce n'est pas le feu qui brûle, ce n'est pas la lumière qui éclaire, ce ne sont pas les aliments qui nourrissent, ce n'est pas le couteau qui coupe; mais c'est Dieu qui, directement, rafraîchit à l'occasion de l'eau, brûle à l'occasion du feu, éclaire à l'occasion de la lumière, nourrit à l'occasion des aliments, et coupe les corps à l'occasion du couteau. Et puisque les sens nous attestent, et l'humanité entière croit que les causes secondes agissent réellement par ellesmêmes, Malebranche a été forcé d'admettre que les sens nous trompent toujours, et que l'humanité entière s'est toujours trompée et se trompe toujours en reconnaissant une action propre aux êtres créés; c'est-à-dire que la matière n'a pas d'être réel; que les corps ne sont que des apparences; que le monde n'est qu'une lanterne magique où

tout nous fait illusion; et par là Malebranche, sans en avoir l'intention, n'a fait qu'évoquer le spectre de l'idéalisme et du scepticisme.

Je vous épargne l'ennui d'entendre Valérius de Suède essayant de faire comprendre comment c'est de la lumière combinée avec la matière que se sont produits le feu et l'eau; que c'est de l'eau transformée que sont sortis l'air et la terre, et que tous les solides n'ont d'autre base que l'eau. Je vous fais grâce aussi de l'exposition des systèmes de Stalh, de Crawford, de Cheele, de Wiston, de Burnet, s'efforçant, eux aussi, d'expliquer, chacun à sa manière, la formation des corps primitifs, et la cause de la fécondité de la terre. On peut conjecturer, sans le moindre scrupule, que ces philosophes de second étage n'ont pas été plus heureux dans l'explication de phénomènes où le génie de Descartes, de Newton, de Leibnitz a pitoyablement échoué.

7. Ce que, dans le but que nous nous sommes proposé dans cette Conférence, il nous importe le plus de constater, est que tout cela n'est que la restauration des systèmes des philosophes du paganisme sur l'origine des choses; c'est la restauration des absurdités grossières de Thalès, de Phérécide, d'Héraclite, d'Hippon, d'Anaximandre, d'Empédocle, de Pythagore, et surtout c'est la restauration de la philosophie atomiste de Démocrite, de Leucippe, d'Épicure. Car, afin qu'il

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