Page images
PDF
EPUB

néanmoins nous ne sommes pas encore arrivés. Il s'agit de savoir lequel des deux, du père ou de la mère de lady Dorothée, était de sang royal; si c'était le lord Méthuen, ou seulement Jeanne Stuart, fille du comte d'Athol. Nous savons déjà, et d'une manière positive, que le lord Méthuen, marié en premières noces avec la reine Marguerite, se nommait Henri Stewart. Or, Stewart ou Stuart, c'est la même chose. Ce mot, qui veut dire intendant ou sénéchal, demeura la qualification héréditaire de la dynastie royale qui remplaca la maison de Bailleul, dans la personne de Robert II, depuis qu'un ancêtre des rois de cette dynastie, Walter devint haut stewart, ou haut sénéchal d'Écosse, sous le règne de David Jer. Il est donc fort probable que Henri Stewart, comte de Méthuen, appartenait à la famille royale, fort nombreuse à cette époque. Il était de la maison des lords Avandale et des Stuart de Bath, et son petit-neveu, Jacques Stuart de Doune, reçut du roi Jacques VI la tutelle des deux filles du premier régent, Jacques Stuart, comte de Moray, ce qui n'aurait pas eu lieu si ce Stuart de Doune, et par conséquent le comte de Méthuen, son grand-oncle, n'avaient pas été de la famille du régent, c'est-à-dire de la famille royale. Cependant, comme ce ne sont là que de fortes présomptions, et non point des preuves formelles, il faut nous retourner vers la seconde femme du lord Méthuen, vers cette lady Jeanne Stuart, fille du comte d'Athol, et mère de lady Dorothée.

N'oublions pas qu'il s'agit maintenant de trouver comment les comtes d'Athol étaient parens des rois d'Écosse. Ici la difficulté, qui se trouve serrée de près, sera enfin tout-à-fait vaincue. Les comtes d'Athol pouvaient être du sang royal par les femmes ou par les hommes. Or, en tournant un peu la matière qui nous occupe, ce qui importe peu, pourvu que nous arrivions au but, nous trouvons qu'un comte de Sommerset, sir John Seymour, nom qui est une corruption de Saint-Maur, en Normandie, d'où cette famille est originaire, mort le 21 avril 1410, de son mariage avec une sœur de sir Edmund Holland, comte de Kent, laissa quatre fils et deux filles. L'aînée de ces filles, Jeanne, épousa le roi Jacques Ier. De ce mariage sortirent les souverains d'Écosse qui portèrent successivement le nom de Jacques, et par conséquent Jacques VI lui-même, par sa mère Marie Stuart, fille de Jacques V. Or, cette même Jeanne

Sommerset, après la mort de son mari Jacques Ier,

assassinéle 20 février 1437, épousa en secondes noces Jacques Stuart, lord Lorne, un des ancêtres des comtes d'Athol, et en eut des enfans. Donc les descendans de Jacques Ier et ceux du lord Lorne étaient utérins ; donc, enfin, la mère du troisième comte de Gowrie et le roi Jacques VI étaient parens par les femmes.

Reste en définitive la parenté des comtes d'Athol et des rois d'Écosse, du côté des hommes, laquelle n'est plus maintenant, comme ou eût dit dans l'école, qu'un argument ad exuberantiam. Or, et à cause de cela même peut-être, il nous est arrivé précisément de trouver cette parenté, qui est décisive, quand nous n'en avions presque plus besoin, et lorsque nous nous étions donné assez de mal pour débrouiller toute cette généalogie; néanmoins, le travail étant fait, nous le laissons. Voici donc comment les comtes d'Athol et les rois d'Écosse étaient parens du côté des hommes. Un bisaïeul de ce roi Robert II qui commence la dynastie des Stuart, Alexandre, grand sénéchal d'Écosse, eut deux fils, James et John. James fut grand-père de Robert II, et sa postérité masculine finit à Jacques V, père de Marie Stuart. John eut quatre fils, 1o Alexandre, ancêtre des comtes d'Angus; 2o Alan, ancêtre des ducs de Lennox ; 3° Walter, ancêtre des comtes de Galloway; 4o James, ancêtre des comtes d'Athol. Voilà enfin comment Jeanne Stuart, fille du comte d'Athol, mère de lady Dorothée Méthuen, et grand'mère du comte de Gowrie, était du sang royal d'Écosse. Ce n'est pas sans raison, ou dans l'unique but de dresser un arbre généalogique, que nous avons éclairci l'origine royale des lord de Ruthven; on verra par la suite de cette histoire qu'il était nécessaire d'établir cette parenté pour arriver l'intelligence complète de la

castastrophe à laquelle nous arrivons.

Il y avait seize ans que le lord William, premier comte de Gowrie, avait été décapité à Stirling; il y en avait vingt-cinq que le lord Patrick, revenu de l'exil, était mort à Ruthven-Castle; les deux aînés de la maison de Ruthven, John et Alexandre, remplis, à ce qu'il va paraître, d'une même pensée, d'une terrible pensée, crurent que le moment d'une grande chose était venu, et ils la tentèrent.

Le 5 août de l'année 1600, à six heures du matin, Alexandre, Maître de Ruthven, sortit de la petite ville de Perth et se dirigea

à l'est, vers le château de Falkland. Il était à cheval et suivi seulement de son frère André. De Perth à Falkland, il y a dix milles, Falkland était la demeure où les rois d'Écosse passaient habituellement l'été. C'était une résidence magnifique, ayant à sa gauche le loch Levin, à sa droite le loch Rossey; à l'ouest, une vallée charmante où vingt petites rivières viennent se jeter dans l'Edin; à l'est, les lomonds de Falkland, et derrière eux le Levin, qui va se jeter dans la mer après avoir traversé en diagonale tout le comté de Fife. Le château avait une enceinte demi-circulaire, armée de quatre tours, lesquelles, jointes aux cinq autres qui s'élevaient à l'est, de l'une à l'autre aile, faisaient de Falkland une espèce de Thèbes béotienne. Le parc était à l'ouest du château, ceint d'une muraille, ceinte elle-même (des deux lits de la Maspy et de l'Edin. Le comté de Fife, où se trouve Falkland, était l'ancien domaine de ce comte Macduf, si célèbre dans la chronique écossaise par sa guerre contre Macbeth. Il y avait même encore, à l'époque ou nous reporte cette histoire, sur la limite occidentale du comté, et sur le chemin de Perth, une croix qu'on nommait la croix de Macduf, Macduf's cross, qui était un asile, comme Thésée en ouvrit un sur l'Acropolis d'Athènes, et Romulus sur le mont Aventin. Seulement, il n'y avait que les descendans de Macduf qui fussent protégés par la croix. Les membres de sa famille, jusqu'au neuvième degré, qui avaient pu se réfugier auprès d'elle, étaient dès ce moment inviolables, même après un parricide. Alexandre de Ruthven passa devant cette croix en allant à Falkland; et peut-être lui vint-il dans l'esprit une idée triste, le regret de n'être pas de la famille de Macduf.

Quand il arriva à Falkland, le roi était parti pour la chasse. Il se dirigea vers l'endroit où retentissaient comme une musique lointaine les cris de la meute, et il eut bientôt rencontré le roi. En ce moment, Jacques était seul, c'est-à-dire séparé de sa suite par quelque accident de la chasse. Alexandre l'aborda avec une familiarité pleine de respect, comme pouvait le faire un homme de son rang et de sa considération à la cour. D'après un court récit de cette entrevue, qui se trouve dans le journal de Pierre L'Estoile, il paraît que le Maître de Ruthven et le roi, qui étaient tous deux jeunes et qui étaient parens, commencèrent la conversation par la difficulté qu'il y a à ne pas s'en

nuyer, quand on a des passions, des idées, des caprices de vingt ans, et que ce sont passions, idées, caprices, de roi et de gentilhomme. On disserta sur les moyens de dissiper cet ennui, et sur l'argent qu'il fallait pour employer ces moyens. Le roi trahit naïvement les secrets domestiques de sa bourse, et puis le lord mit pareillement à nu les misères de la sienne, une bourse de cadet. Toutefois, en achevant cette confidence, le lord reprit, en souriant d'un sourire de triomphe, que Dieu n'oubliait pas les siens, et qu'il avait eu le bonheur de s'être trouvé fort à son insu au nombre des élus de Dieu. Le roi ayant demandé le mot de cette énigme, le lord regarda autour de lui, et commença à voix basse un récit assez long, et qui les fit singulièrement se rapprocher l'un de l'autre.

Le Maître de Ruthven dit en somme que, la veille, 4 août, rôdant à l'aventure dans le parc de Gowrie-House, il avait aperçu tout d'un coup un homme qui se mit à fuir; que l'ayant poursuivi vivement et l'épée à la main, il l'avait enfin atteint et fait prisonnier. Cet homme portait un vase de terre, et ce vase de terre était plein d'or. L'ayant menacé de le tuer, s'il n'expliquait l'origine de ce trésor, l'homme avait répondu qu'il l'avait pris dans un lieu secret du parc, où il y avait encore d'autres vases pareils, et qu'il montrerait à Sa Seigneurie, puisque tel était son bon plaisir. Là-dessus, il avait conduit cet homme au château; il l'y avait fait entrer sans être vu de personne, et il l'avait enfermé seul dans une salle écartée et sans autre issue que la porte dont il avait la clef. Craignant que s'il communiquait cette merveilleuse trouvaille au comte son frère, celui ci ne gardât tout le trésor pour lui, comme ayant été trouvé dans un de ses domaines, il avait mieux aimé venir se mettre à la discrétion du roi, lequel en prendrait sa part comme suzerain de toutes les seigneuries de l'Écosse, et en laisserait une autre part, une part honnête, au sujet loyal et fidèle qui servait si à propos sa majesté. Il conclut en disant qu'il fallait que le roi vînt sur-le-champ à Gowrie-House, afin d'interroger l'homme et de s'emparer du trésor.

Le roi loua fort Dieu de cette découverte, et approuva de tout point la conduite du Maître de Ruthven. Discutant entre eux sur l'origine probable de ce trésor, Alexandre penchait à croire que c'était quelque dépôt datant peut-être des croisades; le roi,

que c'était quelque nouvelle machination des papistes, qui venaient encore troubler son royaume et lui susciter des rébellions. Un point sur lequel ils furent d'accord sans discussion, c'est qu'il fallait déterrer le trésor jusqu'au dernier vase, et se le partager en bons parens qu'on était. Alexandre voulait qu'on partît sur-le-champ; le roi demanda qu'on attendît la fin de la chasse, pour ne point trop éveiller les soupçons. Alexandre voulait encore que le roi vînt seul avec lui; Jacques refusa. Enfin, la chasse finit. Le roi et le Maître de Ruthven prirent côte à côte le chemin de Perth, causant avec chaleur sur le nombre probable de vases qui étaient enfouis dans le parc de Gowrie-House, et suivis, à une petite distance, du duc de Lennox, fils d'Esme Stuart, de Thomas Erskine, comte de Marr, du lord Ramsay, du lord Herreis, d'André de Ruthven, et d'un petit nombre d'autres.

[ocr errors]

Le roi et sa suite arrivèrent à Perth à une heure après midi. A l'entrée de la ville, André Ruthven prit les devans pour aller annoncer au comte de Gowrie l'arrivée de sa majesté. Le comte était à table avec quelques gentilshommes de sa maison; il se leva comme surpris et charmé de cette nouvelle, et il alla recevoir le roi à la porte de sa maison. Le comte mit un genou en terre, en remerciant sa majesté de la visite qu'elle daignait faire à son sujet ; et Jacques, pris sans doute de quelque vertige, ne vit pas qu'on le recevait à Gowrie-House, comme on l'avait reçu autrefois à Ruthven-Castle. Le roi ayant accepté à dîner, il se plaça au haut bout de la table, sous le dais seigneurial. Tout le monte resta debout et découvert pendant le dîner du roi. Le Maître de Ruthven se tenait à ses côtés; Jacques interrompait de temps en temps la verve de son appétit de chasseur, pour lui demander à voix basse quand est-ce donc qu'il verrait l'homme et son trésor ? Alexandre répondait qu'il fallait attendre la fin du repas de sa majesté, et que tous les gentilshommes eussent reçu congé de se mettre à table. A quelques instans de là Jacques n'eut plus faim; il se leva, et fit signe aux personnes de sa suite qu'elles eussent à commencer leur dîner. Le comte de Gowrie reprit sa place de maître et seignenr; les échansons, pages, écuyers et maîtres-queux se croisèrent en tous sens; et le roi dit à Alexandre de le mener à la dérobée voir le trésor. Ils sortirent de la salle, faisant mine de causer. Une fois

« PreviousContinue »